La Convention sur le génocide de 1948, trente ans après le génocide des Tutsi
Par Hervé Ascensio, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IREDIES)*
A l’heure de son soixante-quinzième anniversaire, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée à Paris par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948, apparaît comme un monument du droit international[1]. Elle a posé une définition du génocide en tant que crime de droit international faisant aujourd’hui autorité et impose aux Etats parties de prévenir et punir le génocide[2]. L’incrimination implique qu’aucun acte génocidaire ne doit être commis, obligation pesant aussi bien sur les individus que sur les Etats[3]. La communauté internationale espérait ainsi, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, avoir franchi une étape déterminante en inscrivant le « refus du droit à l’existence de groupes humains entiers »[4] dans une catégorie juridique et en mettant en place un régime destiné à en garantir la non-commission. Le génocide commis en 1994 contre les Tutsi du Rwanda, par son ampleur mais aussi par une forme d’aveuglement de la communauté internationale de cette époque face à ses prémisses, a brutalement rappelé qu’un traité, certes primordial, ne suffit pas.
La Convention de 1948 pose un cadre devant être complété tant sur le plan normatif qu’institutionnel pour assurer son effectivité. Face à la situation au Rwanda en 1994, le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé le Tribunal pénal international ad hoc pour le Rwanda (TPIR), second de son espèce après celui créé pour l’ex-Yougoslavie l’année précédente (TPIY), dont les fonctions ont été poursuivies par une juridiction nommée « Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux »[5]. Ce dernier, toujours en activité, mène à leur terme les procédures engagées, veille à la bonne exécution des peines prononcées et devra juger les accusés encore fugitifs, dont l’un des derniers, Fulgence Kayishema, a été arrêté en Afrique du Sud le 24 mai 2023[6]. Des procès se sont également tenus devant les juridictions internes, au Rwanda et ailleurs, et se poursuivent aujourd’hui. La justice française a ainsi condamné le 28 juin 2023 un cinquième individu pour le génocide des Tutsi[7]. On mesure ainsi les avancées considérables de la justice pénale internationale depuis le début des années 1990, y compris l’adoption en 1998 du traité créant la Cour pénale internationale ; mais ce n’est pas la seule forme d’effectivité à rechercher.
Porter un regard contemporain sur la Convention de 1948 et sur les développements survenus depuis le génocide des Tutsi suppose d’observer aussi d’autres évolutions institutionnelles, notamment au sein des Nations Unies, et de s’interroger sur le soudain attrait exercé par la Cour internationale de Justice. En effet, l’organe judiciaire principal des Nations Unies, qui juge les litiges entre Etats, est actuellement saisi de quatre affaires sur le fondement de l’article IX de la Convention de 1948. Au différend opposant depuis 2019 la Gambie au Myanmar à propos des exactions commises dans ce dernier Etat contre les Rohingyas, se sont ajoutées une affaire opposant l’Ukraine à la Russie à propos des allégations de génocide formulées par celle-ci pour justifier le déclenchement de son « opération militaire spéciale » le 24 février 2022, puis l’affaire opposant depuis la fin 2023 l’Afrique du Sud à Israël à propos du sort de la population palestinienne de la bande de Gaza dans le cadre de l’opération militaire déclenchée après les crimes commis par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023, puis encore depuis 1er mars 2024 une affaire opposant le Nicaragua à l’Allemagne à propos de l’obligation de prévention en lien avec la situation dans les territoires palestiniens occupés, y compris Gaza.
Ces affaires en cours ont déjà donné lieu à des décisions importantes sur l’application de la Convention et ses interactions avec le reste du droit international. Elles ont par ailleurs incité un nombre inédit d’Etats à présenter des observations en tant que tiers intervenants, ce qui manifeste l’importance que revêt à leurs yeux la Convention de 1948. Il faut cependant souligner que toutes ne représentent qu’un aspect de situations soulevant d’autres questions de conformité au droit international et incluent des faits susceptibles d’autres qualifications que le génocide, tout en constituant des crimes internationaux d’une particulière gravité[8]. Précisons que, parallèlement, la Cour pénale internationale, qui poursuit des individus et non des Etats, est saisie des trois situations concernées, sous un angle différent et étroit s’agissant des Rohingyas, de manière plus large s’agissant des deux autres.
Responsabilité devant le juge pénal national ou international de l’individu accusé d’avoir commis des actes génocidaires, à laquelle s’ajoute la responsabilité devant le juge interétatique de l’Etat qui aurait commis ou n’aurait pas prévenu ou réprimé un génocide : ces voies de droit distinctes comportent bien des difficultés. Elles ont néanmoins conduit, depuis trente ans, à un renforcement de la portée de la Convention de 1948. Cet article tentera un bilan des avancées comme des obstacles en se penchant sur les trois fonctions qui sont celles de la Convention, à savoir qualifier (I), réprimer (II) et prévenir (III).
I. Qualifier
L’infraction pénale de génocide n’existait pas encore au moment du génocide des Juifs d’Europe, ni dans l’immédiat après-guerre. On sait que le mot a été forgé en 1944 par Raphaël Lemkin dans son célèbre ouvrage Axis Rule in Occupied Europe afin de désigner un phénomène criminel dont la singularité n’avait pas été perçue jusqu’alors. Il fut assez vite utilisé en ce sens, y compris dans certains procès d’après-guerre[9], mais non en tant que catégorie juridique. Il en va de même, depuis au moins les années 1990, avec la purification ethnique qui désigne un phénomène criminel de grande ampleur liant discrimination et territoire. Toutefois, s’agissant du génocide, les Etats ont rapidement jugé nécessaire d’élaborer une définition commune, permettant une qualification qui emporte des effets de droit.
La définition du génocide en tant qu’infraction pénale est en effet la principale réalisation de la Convention de 1948. Celle-ci en fait non seulement un « crime du droit des gens » en son article premier, ce que d’autres textes internationaux avaient déjà envisagé, mais surtout le définit en ses articles II et III aux fins de son incrimination, c’est-à-dire de son entrée dans le droit pénal. L’entrée dans le droit pénal comporte elle-même un double niveau : le droit pénal relevant de l’ordre juridique international et le droit pénal interne de chaque Etat partie. L’article V en témoigne en mettant à la charge des Etats une obligation de prendre les mesures législatives nécessaires, c’est-à-dire d’incriminer le génocide dans leur ordre juridique, ce qui participe tant de la prévention que de la répression.
Il s’agit là de l’enjeu majeur de la ratification de la Convention, y compris de nos jours, car si tout Etat est bien sûr libre d’incriminer le génocide sans y être partie, il est tenu de le faire s’il le devient, et ce au moins dans les termes prévus par celle-ci. Or, sans l’effort législatif résultant de la ratification, on constate que les codes pénaux restent souvent lacunaires. On rappellera à cet égard que la Convention lie actuellement 153 Etats, nombre qui pourrait être plus élevé si on le compare avec d’autres conventions comme la Convention de 1984 sur la torture ou celle de 1989 sur les droits de l’enfant[10]. D’où des appels réguliers à la ratification, tel celui lancé par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans sa résolution 2150 (2014) adoptée à l’occasion du vingtième anniversaire du génocide au Rwanda[11]. Le suivi attentif de la transposition en droit interne a ensuite toute son importance, car les retards ou discordances définitionnelles entravent non seulement les poursuites dans l’Etat concerné mais également la coopération judiciaire entre Etats.
Sur le plan international, l’incrimination a suivi un chemin différent, car la généralisation qu’elle implique s’accommode mal du cadre conventionnel et la Convention n’a pas établi de juridiction pénale internationale. Quant au premier point, la Cour internationale de Justice a estimé dès 1951, dans un avis consultatif, que « les principes qui sont à la base de la Convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien conventionnel »[12]. Il en résulte que l’interdiction du génocide, tel que défini par la Convention, et la coopération nécessaire pour en assurer la prévention et la répression font partie du droit international coutumier. La même Cour reconnaîtra, en 1996, que l’ensemble des droits et obligations résultant de la Convention sont opposables erga omnes, c’est-à-dire qu’ils s’imposent à tous les Etats et peuvent être invoqués par chacun d’eux contre un autre[13], puis, en 2006, que l’interdiction du génocide relève du de jus cogens, ce qui en fait une norme d’un rang supérieur aux autres et indérogeable[14]. Ces affirmations sont utiles s’agissant de la responsabilité étatique et de la coopération judiciaire.
Quant aux implications pénales, elles résultent, dans l’ordre international, de l’adoption d’une série d’instruments juridiques, notamment ceux créant des juridictions pénales internationales ou hybrides, et qui reproduisent à l’identique la définition de la Convention de 1948 ou y renvoient[15]. Est-ce à dire que la définition de 1948 est devenue intangible ? A tout le moins fait-elle consensus, même si certains aspects continuent à être débattus en doctrine : la restriction du groupe victime à certains critères censés refléter de façon objective la stabilité et la permanence, la restriction à la destruction physique ou biologique du groupe[16], le contexte criminel objectif peu perceptible car condensé dans la seule formulation du dol spécial, le lien avec le crime contre l’humanité[17]. Toute catégorie de la pensée est faite de restrictions : une extension la banalise et en dilue les effets attendus ; une rigueur excessive lui fait perdre son utilité. Les choix faits par la communauté internationale dans les années 1990 à ce sujet afin de lutter contre l’impunité sont clairs : la définition de 1948 est confirmée et les précisions, voire les compléments, sont laissés à la seule interprétation juridictionnelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de relever que l’imperfection la plus flagrante de la définition de 1948, à savoir celle portant sur l’élément dit contextuel, a été discrètement corrigée, dans le système de la Cour pénale internationale, par un texte complémentaire, les Eléments des crimes, lesquels ne sont officiellement qu’une aide pour l’interprétation et l’application du Statut[18].
La jurisprudence internationale a beaucoup apporté durant les trente dernières années, et celle du Tribunal pénal international pour le Rwanda au premier chef. Il a été la première juridiction internationale à condamner un individu, Jean-Paul Akayesu, pour génocide. Le jugement, confirmé en appel, offre notamment des précisions sur la manière dont les violences sexuelles sont susceptibles de compter parmi les actes génocidaires[19]. D’autres juridictions internationales ou hybrides ont eu recours à la qualification de génocide et ont pu s’appuyer sur la jurisprudence relative au génocide des Tutsi, tout en apportant des précisions à leur tour. Celle du TPIY est notable pour avoir admis qu’un génocide pouvait, à certaines conditions, être commis dans une zone géographique limitée et avoir interprété l’expression « en partie », rapportée à la destruction d’un groupe, comme devant affecter une part « substantielle » de ce groupe, ce qui s’apprécie par un ensemble de critères[20]. La Cour internationale de Justice a retenu la même interprétation en se référant à la jurisprudence des deux tribunaux ad hoc[21].
Indépendamment de l’interprétation des éléments de définition du génocide, la qualification d’un génocide en particulier est aussi un enjeu majeur, sur un plan symbolique bien sûr, notamment à l’égard des victimes, mais aussi pour les effets qu’elle emporte en termes de responsabilité individuelle ou étatique et de lutte contre le négationnisme[22].
L’examen attentif de la situation dans son ensemble lors des premières affaires portées devant le TPIR ont permis de démontrer l’existence d’un génocide commis contre les Tutsi au Rwanda entre le 6 avril et le 17 juillet 1994. En 2006, ce génocide a été qualifié de « fait de notoriété publique » par la chambre d’appel[23]. Un tel constat épargnait au procureur le lourd travail consistant à refaire, dans chaque procès, la même démonstration de l’existence du génocide dans son ensemble, et lui permettait de se concentrer sur les seuls faits reprochés à l’accusé. Ce type de constat est à manier avec prudence dans un cadre judiciaire car, corrélativement, il limite les moyens de défense de l’accusé et l’on peut s’interroger sur l’assimilation faite en 2006 entre une qualification juridique et un « fait »[24]. La chambre d’appel a justifié son constat par les rapports officiels ayant conduit à la création même du TPIR, par la publication de nombreux ouvrages et articles allant en ce sens, par des résolutions onusiennes et rapports d’Etats et d’organisations non gouvernementales, par des décisions de juridictions nationales, ainsi que par les éléments de preuve précédemment recueillis et analysés par les chambres de première instance du TPIR. Le constat judiciaire portant sur l’ensemble du génocide des Tutsi a donc été le point ultime d’un processus de qualification parfaitement convergent et impliquant diverses formes d’autorité.
Le constat judiciaire n’est pas allé jusqu’au fait notoire dans le cas du génocide commis à Srebrenica en juillet 1995, mais a été fait dans le cadre de plusieurs procès menés par le TPIY. Il l’a également été par la Cour internationale de Justice, qui s’est notamment appuyée sur les décisions de ce tribunal en raison de la qualité des preuves alors apportées et de leur examen dans le cadre d’une procédure contradictoire. Son arrêt de 2007 confirme la qualification de génocide pour les évènements de Srebrenica, tout en l’écartant pour d’autres crimes commis en d’autres lieux de Bosnie-Herzégovine ; elle n’impute cependant pas la commission du génocide à la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (RFY), mais conclut que cet Etat a violé son obligation de prévenir et réprimer le génocide[25]. La jurisprudence ultérieure du TPIY et du Mécanisme poursuivant ses fonctions va dans le même sens s’agissant de la qualification du génocide pour Srebrenica et de la non-qualification pour d’autres crimes, souvent très graves, commis en d’autres lieux à d’autres périodes[26].
S’agissant des crimes commis au Cambodge par le régime des Khmers rouges entre 1975 et 1979 et couramment qualifiés de « génocide »[27], les chambres extraordinaires cambodgiennes ont retenu pour la plus grande partie d’entre eux la qualification de crime contre l’humanité plutôt que génocide, car les personnes visées n’appartenaient pas à un groupe distinct des auteurs selon les critères limitativement énumérés par la Convention de 1948. Cependant, pour les crimes commis à partir de 1977 contre les minorités cham et vietnamienne, la condition relative au groupe était satisfaite, ce qui a conduit à une qualification de génocide[28].
Comme on le voit, un autre aspect de l’enjeu de la qualification est l’hypothèse où le juge constate une absence de génocide. Ce constat négatif a également son importance, mais il faut souligner qu’il présente un intérêt variable selon sa motivation. S’il est dû à l’absence d’un élément empêchant la qualification de génocide dans son ensemble, il a une portée générale, sans d’ailleurs exclure d’autres qualifications, parfois tout aussi graves comme celle de crime contre l’humanité prenant la forme de l’extermination. Le constat négatif a une portée moindre s’il s’explique, dans une affaire donnée, par l’absence des faits sous-jacents reprochés ou par la non-implication de l’accusé. De plus, la non-qualification peut résulter d’une insuffisance de preuve apportée, dans un procès pénal, par l’accusation, ou, dans un litige entre Etats, par le requérant. Enfin, elle intervient à un certain moment dans le temps et ne saurait couvrir des évènements ultérieurs.
Ces remarques conduisent à s’interroger sur l’intérêt de l’affaire opposant actuellement l’Ukraine à la Russie devant la Cour internationale de Justice, ou du moins ce qu’il en reste. Dans son arrêt du 2 février 2024, la Cour a scindé le litige en deux, s’estimant compétente pour une éventuelle qualification de non-commission d’un génocide dans la région du Donbas, mais pas pour juger des actions de la Russie qu’elle justifie par un supposé génocide[29]. Or, l’Ukraine souhaitait surtout engager la responsabilité de la Russie pour son intervention militaire, après que la Cour aurait constaté, à titre liminaire, la fausseté de l’allégation de génocide. Dès lors, un constat de non-commission risque d’apporter peu, d’autant que la preuve d’un fait négatif suppose la pleine coopération des deux parties avec la Cour dans l’obtention et la soumission des éléments de preuve. La qualification juridique négative déconnectée de son enjeu, à savoir les moyens disponibles ou indisponibles pour la prévention et la répression, risque de s’avérer vaine.
II. Réprimer
Les méthodes destinées à la répression tiennent une place importante dans la Convention de 1948, tout en pouvant décevoir un lecteur contemporain par comparaison avec des conventions plus récentes en matière pénale – voire avec certaines plus anciennes. Comme on l’a vu, elle oblige les Etats parties à légiférer, préalable imposé par le principe nullum crimen sine lege. Mais elle reste timide s’agissant des titres de compétence juridictionnelle : l’article VI se borne à prévoir la compétence du seul juge de l’Etat sur le territoire duquel le crime a été commis ou celle d’une « cour criminelle internationale », inexistante en 1948 et restée dans les limbes pendant des décennies.
On sait que le génocide des Tutsi du Rwanda a convaincu de la nécessité de créer en 1994 un tribunal pénal international, expérience qui a grandement contribué à l’aboutissement des travaux sur l’institution d’une cour pénale internationale permanente. De même, le nombre des génocidaires et la fuite d’une partie d’entre eux hors du Rwanda a convaincu de l’intérêt de recourir à d’autres titres de compétence du juge national, y compris la compétence dite « universelle », c’est-à-dire en l’absence de lien de rattachement territorial, personnel ou réel entre les faits donnant lieu à poursuites et l’Etat du for. La pratique a été implicitement encouragée par le TPIR, puisque l’article 8 de son statut évoque la compétence concurrence des juridictions nationales de tous les Etats et qu’il a renvoyé à la justice française deux affaires dont il était initialement saisi[30].
Depuis lors, la compétence universelle s’est développée[31]. Elle constitue un titre de compétence utile non seulement pour juger des fugitifs et alléger la tâche des juridictions internationales, mais aussi, et peut-être tout particulièrement, lorsque le contexte politique empêche à la fois le bon fonctionnement de la justice de l’Etat territorialement compétent et la saisine d’une juridiction internationale. Pour autant, il ne faut pas cacher la difficulté de telles procédures s’agissant de l’accès aux témoins et autres éléments de preuve, de la compréhension du contexte, des problèmes de traduction et du respect des droits de la défense. Cela conduit à insister sur l’importance de la coopération entre les différents systèmes judiciaires.
Une nouvelle convention, adoptée le 26 mai 2023 par une conférence où soixante-dix Etats étaient représentés, constitue à cet égard une avancée majeure : la Convention pour la coopération internationale en matière d’enquête et de poursuite du crime de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et autres crimes internationaux, dite Convention de Ljubljana-La Haye, ou encore « MLA » – pour Mutual Legal Assistance[32]. La grande majorité des articles porte sur la coopération judiciaire internationale ; mais son contenu va au-delà de ce que suggère son intitulé.
Dans la Convention sur le génocide de 1948, la coopération judiciaire n’est abordée, brièvement, qu’à propos de l’extradition (article VII), en renvoyant à la législation nationale et aux accords spécifiques en matière d’extradition. La Convention de 2023 comporte, elle, de nombreux articles prévoyant et détaillant les conditions d’une demande d’entraide judiciaire, d’une demande d’extradition ou le transfert de détenus entre les Etats parties ; elle permet la constitution d’équipes d’enquête communes ; elle établit un cadre juridique pour la confiscation et la restitution des produits du crime.
Mais la Convention de Ljubljana-La Haye aborde d’autres thèmes, et ce pour l’ensemble des crimes internationaux dont le génocide. Son article 8 étend les titres de compétence des juridictions nationales : sont obligatoires, en sus de la compétence territoriale, la compétence personnelle active et la compétence sur les engins selon l’immatriculation ; sont autorisées la compétence personnelle passive, celle concernant les apatrides résidents permanents, la compétence universelle découlant de la présence sur le territoire et de la non-extradition. Elle prévoit un droit de toute personne de saisir les autorités compétentes (article 12), une obligation d’enquêter et, le cas échéant, de poursuivre ou d’extrader (articles 13 et 14) et ajoute à la responsabilité des individus celle des personnes morales – selon les modalités propres à chaque ordre juridique (article 15). Elle reconnaît également des droits aux victimes, notamment un droit de participer aux procédures et un droit à la réparation conformément au droit national (article 83).
Ainsi, au regard des standards usuels dans les conventions en matière pénale, cette convention comble entièrement les lacunes de la Convention de 1948 en matière de répression – elle en fait autant pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Comme pour toute nouvelle convention, il conviendra de suivre avec attention le nombre des ratifications, que l’on espère élevé, et la date de son entrée en vigueur, que l’on espère proche.
Il faut également mentionner certaines évolutions institutionnelles survenues dans le cadre des Nations Unies et destinées à pallier, de manière transitoire, les carences de la répression. Ont ainsi été créés des organes d’enquête, parfois qualifiés de mécanismes « pré-juridictionnels », pour des situations où des crimes très graves ont été commis, sans réaction du système judiciaire local et sans que la Cour pénale internationale ait pu s’en saisir, ou s’en saisir pleinement, jusqu’à présent : Syrie, crimes de l’EEIL (Daech) en Iraq, Myanmar[33]. Leur fonction va nettement au-delà des rapports d’institutions internationales synthétisant les informations disponibles et formulant des recommandations : ils permettent la collecte et la conservation des preuves avec un degré d’exigence technique les rendant aptes à un usage judiciaire ; ils contribuent à la structuration de la coopération judiciaire internationale. On soulignera que les trois mécanismes créés correspondent à des situations où une qualification de génocide a été envisagée pour certaines des exactions commises : contre les Yézidis en Iraq et en Syrie, contre les Rohingyas au Myanmar.
Une autre moyen de lutter contre l’absence de poursuites ou de coopération judiciaire est offert par la Convention de 1948 : c’est la voie du litige interétatique, porté devant la Cour internationale de Justice sur le fondement de son article IX. Il connaît un regain d’intérêt, malgré les limites résultant de la convention. Dans son arrêt de 2007 qui constate la commission d’un génocide à Srebrenica, la Cour a rappelé que seul l’Etat sur le territoire duquel le crime a été commis a l’obligation, en vertu de la Convention, d’exercer sa compétence juridictionnelle ; dès lors, l’inaction des juridictions de la RFY n’engageait pas sa responsabilité au titre de la Convention, puisque les faits n’avaient pas eu lieu sur son territoire mais en Bosnie-Herzégovine[34]. Toutefois, la Cour a conclu à une violation par la RFY de son obligation de réprimer le génocide pour une autre raison, à savoir son manque de coopération avec le TPIY, et cela grâce à une interprétation actualisée de la référence à une « cour criminelle internationale » à l’article VI[35]. La coopération dite verticale entre un Etat et une juridiction pénale internationale compétente est donc une obligation en vertu de la Convention de 1948, pour autant que l’Etat concerné a par ailleurs reconnu cette compétence – en l’espèce dans le cadre des accords de paix de Dayton.
Dans l’actuel litige opposant la Gambie au Myanmar, la requête gambienne mentionne, parmi les griefs, l’absence d’enquête et de poursuites[36]. Si la Cour devait, lors de la phase portant sur le fond, conclure à la commission d’un génocide, la configuration serait en quelque sorte inverse par rapport à l’affaire précédente s’agissant de l’obligation de réprimer. La responsabilité du Myanmar ne pourrait être engagée pour sa non-coopération avec la CPI, n’étant pas partie à son statut ni n’ayant reconnu sa compétence d’une autre manière, fût-ce indirectement via son appartenance à l’ONU faute de saisine de la CPI par le Conseil de sécurité[37] ; mais elle pourrait l’être au titre de la Convention de 1948 pour l’inaction de ses propres juridictions, puisque les crimes ont été commis sur son territoire.
III. Prévenir
La prévention, malgré sa présence dans l’intitulé de la Convention à égalité avec la répression, en est le parent pauvre. Elle est mentionnée seulement à l’article premier, par lequel les Etats parties « s’engagent à prévenir et punir » le génocide, et à l’article VIII qui permet à un Etat de saisir les organes compétents des Nations Unies pour que ceux-ci prennent les « mesures qu’ils jugent appropriées » pour prévenir et réprimer le génocide, sans autre précision[38]. Les dispositions relatives à la répression contribuent évidemment aussi à la prévention, par leur effet dissuasif, qu’il s’agisse de l’incrimination dans les codes pénaux nationaux ou des poursuites et éventuelles condamnations prononcées par les juridictions nationales contre des génocidaires. Mais c’est tout de même bien peu.
Il est loisible à cet égard de comparer la Convention sur le génocide avec une convention postérieure qui a une certaine parenté avec elle et la complète en partie : la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965. Celle-ci contient des obligations de mener des politiques publiques destinées à prévenir la discrimination raciale, elle-même comprise très largement comme incluant les discriminations fondées sur la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique. La lutte contre les discours de haine en fait notamment partie. Cette convention établit un comité chargé d’en assurer le suivi, tandis que la Convention de 1948 n’a pas de volet institutionnel propre.
Des développements notables ont cependant eu lieu depuis vingt ans, d’une part dans le cadre des organes onusiens, d’autre part en raison de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice. Dans le premier cas, cela conduit à s’interroger sur un possible renforcement du lien établi par l’article VIII de la Convention entre celle-ci et les organes politiques onusiens, dans le second sur la fonction et les limites de l’article IX, qui donne compétence à la Cour internationale de Justice pour trancher les litiges portant sur les obligations des Etats au titre de la Convention, y compris en matière de prévention du génocide.
Lors de la préparation du génocide des Tutsi, une opération de maintien de la paix avait été déployée par l’ONU au Rwanda et des alertes furent transmises à New York sans succès ; les Casques bleus encore présents sur le terrain, mais en nombre réduits, au début du génocide furent alors impuissants à l’enrayer. De même, les Casques bleus déployés dans l’enclave de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine ne purent empêcher le massacre survenu en juillet 1995. Ces évènements ont laissé des traces durables au sein des Nations Unies. Dans son Rapport du Millénaire de 2000, Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations Unies, s’interrogeait sur la manière de réagir face à de telles situations, « qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains »[39]. Il ouvrait ainsi une réflexion sur la « responsabilité de protéger » les populations, incombant tant aux Etats qu’aux organisations internationales et qui devait aboutir en 2005 à un sommet mondial et un document final adopté par l’Assemblée générale[40]. Si l’expression est quelque peu passée de mode en doctrine, l’idée a poursuivi son chemin sur le plan institutionnel.
Au sein du Secrétariat général des Nations Unies a été créé en 2004 un poste de conseiller spécial pour la prévention du génocide, dont l’action est appuyée par le Bureau de la prévention du génocide et de la responsabilité de protéger[41]. Il a notamment la charge d’un mécanisme d’alerte rapide, qui s’ajoute à d’autres procédures d’évaluation portant sur des violations graves des droits de l’homme menées par le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies. L’évaluation du risque de génocide repose sur un ensemble de quatorze facteurs exposés dans un document intitulé « Cadre d’analyse des atrocités criminelles – Outil de prévention », adopté en 2014[42]. Le terme retenu a priori, à savoir celui d’« atrocités criminelles », montre un souci de ne pas s’enfermer dans la seule qualification, positive ou négative, de génocide, tout en prenant en compte les aggravations possibles de la situation. Cela montre aussi que la qualification juridique est en réalité un processus faisant intervenir différentes institutions et que, au stade du mécanisme d’alerte, on se situe forcément en deça du standard requis devant un juge.
La responsabilité de protéger a également joué un rôle dans la création de certains organes d’enquête, lorsque l’initiative en a été prise par l’Assemblée générale ou le Conseil des droits de l’homme. La compétence du Conseil de sécurité au titre du maintien de la paix n’y fait désormais plus obstacle et la règle majoritaire en vigueur au sein de ces autres organes permet de dépasser un éventuel blocage du Conseil, résultant par exemple du veto d’un membre permanent. Par ailleurs, le Conseil de sécurité lui-même est devenu sensible aux questions de prévention. Dans sa résolution 2150 (2014), adoptée à l’occasion du vingtième anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda, il demandait ainsi aux Etats d’élaborer des programmes éducatifs « pour graver dans l’esprit des générations futures les leçons du génocide » et invitait le Secrétaire général à renforcer les mécanismes d’alerte rapide onusiens.
Ces inflexions institutionnelles devraient inciter à une interprétation évolutive de la Convention dans le sens d’un renforcement du lien entre les obligations qu’elle contient et la coopération multilatérale, lien suggéré par le préambule et par l’article VIII de la Convention. Qui plus est, l’obligation de coopérer, notamment en vue de prévenir le génocide, est, si l’on suit la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, une obligation universelle[43]. Dès lors, on pourrait estimer que, face à des atrocités criminelles en cours, le recours à des mesures de prévention au titre de la Convention devrait s’inscrire dans un processus multilatéral pour lequel les instances onusiennes offrent des outils d’analyse pertinents. A défaut, l’action unilatérale d’un Etat à l’égard d’un autre Etat accusé de génocide devrait s’appuyer sur des éléments de preuve solides, à soumettre et à discuter dans les instances onusiennes.
Parallèlement, des précisions importantes ont été apportées par la Cour internationale Justice à propos de la responsabilité encourue par les Etats parties à la Convention au titre de leur obligation de prévenir le génocide. Dans son arrêt de 2007, la Cour a condamné la RFY pour avoir violé cette obligation dans le contexte du génocide commis à Srebrenica en juillet 1995, en raison de sa complète inaction alors qu’elle disposait d’un « indéniable pouvoir d’influence » sur les forces armées des Serbes de Bosnie et pouvait à tout le moins soupçonner le massacre à venir[44]. A cette occasion elle a indiqué que l’obligation de prévention au sens de la Convention est déclenchée dès lors qu’apparaît un « risque sérieux de commission d’un génocide »[45]. La Convention impose alors aux Etats parties une obligation de comportement, non de résultat, qui consiste à « mettre en œuvre tous les moyens raisonnablement à leur disposition » pour empêcher le génocide[46]. Cette obligation repose sur la notion de « due diligence », dont on sait qu’elle varie en fonction des circonstances, la Cour mentionnant à ce propos comme paramètres la capacité à influencer effectivement l’action des personnes, elle-même dépendante de l’éloignement géographique et de l’intensité des liens politiques ou autres. Quant aux moyens choisis, ils doivent, ajoute-t-elle, rester dans les limites de la légalité internationale et peuvent donc varier selon la position juridique de l’Etat à l’égard des personnes et des situations ; le fait que la mise en œuvre de ces moyens n’aurait pu empêcher le génocide n’est pas une excuse[47].
Toutefois, selon la Cour, la violation de l’obligation de prévenir n’est constituée et n’engage la responsabilité de l’Etat qu’à partir du moment où un génocide est effectivement commis[48]. On voit ainsi que la Cour, si elle a enrichi le texte de la Convention par son interprétation, a également mis des limites à la responsabilité des Etats parties. La leçon est identique dans son arrêt du 2 février 2024 en l’affaire des Allégations de génocide opposant l’Ukraine à la Russie. La question finalement cruciale était de savoir si la référence faite dans l’arrêt de 2007 au respect de la légalité internationale aurait pu conduire à engager la responsabilité de la Russie pour avoir recouru à des moyens illicites, en l’occurrence une agression armée, pour prévenir un génocide en réalité inexistant. La Cour s’est déclarée incompétente sur ce volet de l’affaire, considérant que la Convention n’incorporait pas des règles extérieures, notamment sur le recours à la force[49]. Ce faisant, elle introduit une nouvelle limite et se place dans une position étrange : si la prévention ne va pas assez loin, la Cour peut en connaître ; mais si elle va trop loin, elle ne le peut pas.
Quant aux ordonnances adoptées à propos de la protection des Rohingyas du Myanmar en 2020, dans l’affaire Gambie c. Myanmar, et de celle des Palestiniens de la bande de Gaza en 2024, dans l’affaire Afrique du Sud c. Israël, elles n’ont techniquement pas constaté l’existence d’un « risque sérieux » au sens de l’obligation de prévention contenue dans la Convention, mais un « risque réel et imminent » d’atteinte aux droits plausibles en cause, ce qui correspond aux critères habituels de l’urgence au stade des mesures conservatoires sans préjuger du fond[50]. La différence est cependant singulièrement estompée car le contenu des mesures ordonnées, au Myanmar dans la première et à Israël dans la seconde, consiste, notamment, à « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission (…) de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention »[51]. D’autres mesures ordonnées peuvent également être rattachées à l’idée générale de prévention. Le non-respect de ces mesures pourrait engager la responsabilité de ces Etats dans les affaires en question, indépendamment d’un constat positif ou négatif de violation de la Convention de 1948, en tant qu’elle contreviendrait à l’ordonnance dont le caractère obligatoire découle du statut de la Cour[52]. La Cour elle-même devient ainsi un instrument de la prévention.
* * *
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 est un instrument vivant, pour paraphraser le constat souvent fait à propos de la Convention européenne des droits de l’homme. Cela est d’autant plus remarquable que sa rédaction, ancienne, comporte d’évidentes lacunes aux yeux du lecteur contemporain. Son enrichissement a résulté de l’adoption d’autres instruments juridiques s’appuyant sur elle, d’évolutions institutionnelles survenus notamment au sein des Nations Unies et de la jurisprudence internationale, tant pénale qu’interétatique. Tout cela a produit un effet de sédimentation qui place la Convention de 1948 au premier rang de l’édifice normatif et institutionnel du droit international pénal. A cet égard, il importe de souligner que le génocide commis en 1994 contre les Tutsi au Rwanda a marqué une forte inflexion et une accélération du processus, puisque s’en sont suivis un effort inédit de répression et de coopération internationale et une prise de conscience de la nécessité de renforcer les instruments de prévention du génocide. Les enquêtes aujourd’hui menées par la Cour pénale internationale, les affaires en cours devant la Cour internationale de Justice, les efforts des organes des Nations Unies pour réagir aux crimes contemporains sont le produit de cette histoire.
Un tel constat intervient cependant dans un moment d’inquiétude. Le retour du pur rapport de forces dans les relations internationales et, corrélativement, la remise en cause d’un ordre fondé sur des règles constituent un défi pour la prévention comme pour la répression des génocides, comme de toutes les formes de violence extrême exercées sur les populations. La mémoire du génocide de 1994 doit inciter à défendre avec constance la place du droit dans la société internationale et à renforcer les institutions chargées de prévenir et réprimer le crime de génocide.
* L’auteur est intervenu comme conseil dans les observations déposées par la France comme tiers intervenant dans l’affaire des Allégations de génocide opposant l’Ukraine à la Fédération de Russie mentionnée infra. L’article reflète son opinion personnelle en tant qu’universitaire.
[1] Recueil des traités des Nations Unies, vol. 78, p. 277. La Convention a fait l’objet de plusieurs commentaires juridiques détaillés : William Schabas, Genocide in International Law: the Crime of Crimes, Cambridge, Cambridge University Press, 2nd ed., 2009, xviii-741 p. ; Paola Gaeta (ed.), The UN Genocide Convention: A Commentary, Oxford, Oxford University Press, 2009, xxxiv-580 p. ; Christian Tams, Lars Berster, Björn Schiffbauer (eds.), Convention on the Prevention and Punishment of Genocide: A Commentary, München/Oxford/Baden-Baden, Beck/Hart/Nomos, 2014, xlv-468 p.
[2] Pour mémoire, selon l’article II : « Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »
[3] Ce second aspect, l’obligation d’un Etat partie de ne pas commettre de génocide, n’est curieusement pas formulé explicitement dans la Convention, mais a été confirmé par la jurisprudence internationale. V. CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt du 11 juillet 1996, CIJ Recueil 1996, p. 616, par. 32.
[4] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 96 (I), 11 décembre 1946.
[5] Leur statut est annexé, respectivement, aux résolutions CSNU 955 (1994) du 8 novembre 1994, 827 (1993) du 25 mai 1993 et 1966 (2010) du 22 décembre 2010.
[6] V. <https://news.un.org/fr/story/2023/05/1135512>. A ce jour, il reste trois fugitifs parmi les personnes mises en accusation par le TPIR.
[7] Philippe Hategekimana, ancien gendarme rwandais, a été reconnu coupable de génocide et crime contre l’humanité et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la Cour d’assises de Paris. Un appel est en cours.
[8] Les trois premières affaires sont présentées par les Etats requérants sous le seul prisme du génocide, car on ne trouve pas d’équivalent à l’article IX de la Convention de 1948 dans d’autres conventions, ce qui empêche d’aborder l’ensemble de la situation ou des qualifications possibles. Telles sont les limites, classiques et frustrantes, de l’accès au juge international pour les litiges entre Etats, ce que la Cour souligne elle-même (CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), ordonnance, 26 janvier 2024, par. 14). La quatrième affaire a une base de compétence supplémentaire et plus large, car les deux Etats ont accepté la clause de juridiction obligatoire de la Cour (art. 36 § 2 de son statut).
[9] V. Tribunal militaire des Etats-Unis à Nüremberg, Josef Alstötter and Others (« procès des juges »), jugement, 4 décembre 1947, reproduit in LRTWC, vol. VI, 1948, p. 48.
[10] Respectivement 173 et 196 Etats parties.
[11] V. le paragraphe 5 : « Demande aux Etats qui ne l’ont pas encore fait d’envisager, à titre hautement prioritaire, de ratifier la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ou d’y adhérer et, au besoin, de se donner chacun des lois en exécution des obligations découlant de ladite convention. »
[12] CIJ, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif du 28 mai 1951, CIJ Recueil 1951, p. 23.
[13] CIJ, Application de la Convention pour la prévention et le répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt du 11 juillet 1996, CIJ Recueil 1996, p. 616, par. 31.
[14] CIJ, Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), arrêt du 3 février 2006, CIJ Recueil 2006, p. 32, par. 64.
[15] Statuts des tribunaux pénaux internationaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie (1993, art. 4) et pour le Rwanda (1994, art. 2), de la Cour pénale internationale (1998, art. 6), ordonnance établissant les chambres spéciales au Timor oriental (2000, art. 4), accord prévoyant la création des chambres extraordinaires cambodgiennes (2003, art. 9), statut des chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises (2012, art. 5), Convention de Ljubljana sur la coopération internationale en matière d’enquête et de poursuite pour les crimes internationaux (2023, art. 5 § 1).
[16] Cela exclut le génocide dit culturel, hormis l’ouverture qu’offre la référence au transfert forcé d’enfants, mais aussi des conditions d’existence subies et qui, sur le long terme, conduisent à la disparition du groupe, sans qu’il soit aisé d’identifier une intention criminelle – car celle-ci est diffuse ou structurelle et étendue dans le temps.
[17] Longtemps présenté comme la forme la plus grave de crime contre l’humanité, le génocide tend à être considéré aujourd’hui dans la doctrine internationaliste comme autonome par rapport aux crimes contre l’humanité.
[18] Article 9 du Statut. Les Eléments des crimes ont été adoptés par l’Assemblée des Etats parties lors de sa première session (ICC-ASP/1/3, 3-10 septembre 2002). On fait ici référence, parmi les éléments du génocide, à celui ainsi formulé : « Le comportement s’est inscrit dans le cadre d’une série manifeste de comportements analogues dirigés contre ce groupe, ou pouvait en lui-même produire une telle destruction ».
[19] TPIR, Ch., Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, n°ICTR-96-4-T, 2 septembre 1998, par. 504, 507-508.
[20] TPIY, App., Le Procureur c. Radislav Krstic, n°IT-98-33-A, arrêt, 19 avril 2004, par. 8 et s. L’arrêt se réfère à plusieurs jugements de première instance et à la jurisprudence du TPIR, notamment TPIR, Le Procureur c. Ignace Bagilishema, n°ICTR-95-1A-T, jugement, 7 juin 2001, par. 64, et Le Procureur c. Laurent Semanza, n°ICTR-97-20-T, jugement et condamnation, 15 mai 2003, par. 316.
[21] CIJ, Application de la Convention pour la prévention et le répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), arrêt, 26 février 2007, CIJ Recueil 2007, pp. 126-127, par. 198-201. Plus récemment, la Cour l’a admis à titre provisoire à propos des Palestiniens de la bande de Gaza (CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), ordonnance, 26 janvier 2024, par. 45).
[22] Rappelons qu’en France, l’article 24bis de la loi sur la liberté de la presse incrimine le fait de nier, minorer ou banaliser de façon outrancière un génocide ayant donné lieu à condamnation par une juridiction française ou internationale.
[23] TPIR, App., Le Procureur c. Edouard Karemera, Mathieu Ngirumpatse, Joseph Nzirorera, n°ICTR-98-44-AR73(C), décision faisant suite à l’appel interlocutoire interjeté par le Procureur de la décision relative au constat judiciaire, 16 juin 2006, par. 35. Le constat judiciaire des faits notoires était prévu par l’article 94A du règlement de procédure et de preuve ; la technique existe également dans le cadre des autres juridictions pénales internationales (par ex. art. 69 § 6 du Statut de la CPI).
[24] Précédemment, certains faits servant à démontrer un génocide ou un crime contre l’humanité avaient été reconnus comme étant de notoriété publique : l’existence sur tout le territoire d’une attaque généralisée et systématique en raison de l’appartenance à l’ethnie tutsie (TPIR, App., Laurent Semanza c. Le Procureur, n°ICTR-97-20-A, arrêt, 20 mai 2005, par. 192).
[25] CIJ, Application de la Convention pour la prévention et le répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), arrêt, 26 février 2007, CIJ Recueil 2007, p. 166, par. 297, p. 198, par. 376, et p. 238 (dispositif).
[26] V. not. Mécanisme, App., Le Procureur c. Ratko Mladic, n°MICT-13-56-A, arrêt, 8 juin 2021, par. 568 s.
[27] V. par ex. Ben Kiernan, Le génocide au Cambodge 1975-1979 – Race, idéologie et pouvoir, Paris, Gallimard, 1998, 730 p.
[28] CETC, Nuon Chea et Khieu Samphan, dossier 002/02, n°002/19-09-2007/ECCC/TC, jugement, 16 novembre 2018, p. 2019, par. 3348, et p. 2217, par. 3519. La conclusion relative au génocide contre la minorité vietnamienne a été réexaminée et confirmée dans l’appel concernant Khieu Samphan : chambre de la Cour suprême, n°002/19-09-2007-ECCC/SC, arrêt, 23 décembre 2022, p. 757, par. 1638.
[29] CIJ, Allégations de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie ; 32 Etats intervenants), arrêt, 2 février 2024, par. 103, par. 147, et dispositif.
[30] Affaires Laurent Bucyibaruta et Wenceslas Munyeshyaka (TPIR, décisions du 20 novembre 2007, ICTR-2005-85-I et ICTR-2005-87-I). Le premier a été condamné le 12 juillet 2022 à vingt ans de réclusion criminelle par la cour d’assises de Paris ; le second a bénéficié d’une ordonnance de non-lieu le 15 octobre 2015, confirmée par la Cour d’appel de Paris le 21 juin 2018, puis par la Cour de cassation le 30 octobre 2019.
[31] Pour un bilan, v. les rapports établis annuellement par l’ONG Trial International. Le dernier est téléchargeable par le lien suivant : <https://trialinternational.org/wp-content/uploads/2023/11/UJAR-2023_13112023_updated.pdf>
[32] Texte et travaux préparatoires accessibles sur le site suivant : <https://www.gov.si/en/registries/projects/mla-initiative>
[33] Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les crimes les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger les personnes qui en sont responsables (IIIM), créé par la résolution 71/248 de l’Assemblée générale, 11 janvier 2017 ; Equipe d’enquêteurs chargée d’amener Daech à répondre de ses crimes en Iraq (UNITAD), créée par la résolution 2379 (2017) du Conseil de sécurité, 21 septembre 2017 ; Mécanisme d’enquête indépendant chargé de recueillir, de regrouper, de préserver et d’analyser les éléments de preuve attestant la commission de crimes internationaux les plus graves et de violations du droit international humanitaire au Myanmar depuis 2011 (IIMM), créé par la résolution 39/2 du Conseil des droits de l’homme, 27 septembre 2018, approuvé par la résolution 73/264 de l’Assemblée générale, 22 décembre 2018.
[34] CIJ, Application de la Convention pour la prévention et le répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), arrêt, 26 février 2007, CIJ Recueil 2007, pp. 226-227, par. 442.
[35] Ibid., pp. 227-229, par. 445-449.
[36] CIJ, Application de la Convention pour la prévention et le répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), requête introductive d’instance et demande en indication de mesures conservatoires, 11 novembre 2019, pp. 57-58, par. 112.
[37] Une enquête a été ouverte par la CPI uniquement pour d’éventuels crimes contre l’humanité commis contre les Rohingyas pour autant que ceux-ci ont été contraints de fuir au Bangladesh, car le Bangladesh est partie à son statut et l’infraction, par application de la théorie du résultat, s’y trouverait ainsi partiellement localisée. V. CPI, Ch. prél. III, Situation en République populaire du Bangladesh / République de l’Union du Myanmar, n°ICC-01/19, Decision pursuant to Article 15 of the Rome Statute, 14 novembre 2019.
[38] A vrai dire, tout Etat membre des Nations Unies peut en faire autant sans être partie à la Convention.
[39] Secrétaire général des Nations Unies, Rapport du Millénaire – Nous les peuples : le rôle des Nations Unies au XXIème siècle, Doc. NU A/54/2000, 27 mars 2000, p. 36, par. 217. Ce rapport conduisit à la création de la Commission internationale de l’Intervention et de la Souveraineté des Etats (CIISE), dont les travaux aboutirent à leur tour à un rapport, dit « Evans-Sahnoun », remis le 18 décembre 2001.
[40] Document final du Sommet mondial de 2005, UN Doc. A/60/L.1, 20 septembre 2005. Ce texte, non contraignant, consacre un « [d]evoir de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité », par des moyens pacifiques d’abord, en recourant au Chapitre VII de la Charte en dernier lieu et au cas par cas. L’intervention militaire unilatérale est en revanche écartée.
[41] Voir le site <www.un.org/fr/genocideprevention>
[42] Accessible sur le site. Parmi les quatorze facteurs, on compte huit facteurs de risque commun et six facteurs de risque spécifiques, dont l’un concerne spécialement le génocide, celui des « signes d’une intention de détruire physiquement, ou tout ou en partie, un groupe protégé ». Ce facteur repose lui-même sur huit indicateurs.
[43] V. supra I et note 12 (avis de 1951).
[44] CIJ, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, 26 février 2007, CIJ Recueil 2007, p. 225, par. 438.
[45] Ibid., p. 222, par. 431.
[46] Ibid., p. 221, par. 430.
[47] Ibid.
[48] Ibid., pp. 221-222, par. 431.
[49] CIJ, Allégations de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie ; 32 Etats intervenants), arrêt, 2 février 2024, p. 56 de l’arrêt, par. 146.
[50] CIJ, Application de la Convention pour la prévention et le répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), ordonnance, 23 janvier 2020, CIJ Recueil 2020, par. 66 (faisant la distinction), par. 75 (conclusion sur le risque) et par. 86 (dispositif); CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), ordonnance, 26 janvier 2024, par. 62 (faisant la distinction), par. 74 (conclusion sur le risque) et par. 86 (dispositif). Dans les deux cas, la Cour souligne que la mesure est conforme à l’obligation de prévention incombant à l’Etat concerné au titre de la Convention de 1948.
[51] Ibid., respectivement par. 79 et par. 78.
[52] V. en ce sens CIJ, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, CIJ Recueil 2007, p. 223, par. 435. V. aussi, plus récemment, le constat de violation du droit international par la Russie du fait de la reconnaissance d’indépendance de deux entités sécessionnistes et de son intervention militaire en Ukraine, en raison du non-respect d’une ordonnance de la Cour (CIJ, Application de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), arrêt, 31 janvier 2024, p. 111 de l’arrêt, par. 397-398).