Juger en France les nationaux impliqués dans le conflit israélo-palestinien depuis le 7 octobre 2023 : 1. questions de compétences
Un certain nombre de ressortissants français, souvent binationaux, sont impliqués dans les évènements qui se déroulent depuis l’automne 2023 en Israël et dans les territoires palestiniens. La question se pose des poursuites pénales qui pourraient être engagées contre eux devant les juridictions pénales françaises. Le présent texte s’intéresse aux titres de compétences des juridictions pénales françaises pour connaitre d’éventuelles poursuites. Un autre texte s’intéressera aux infractions pénales susceptibles de justifier des poursuites engagées contre des ressortissants français (B. Drevet, « Juger en France les nationaux impliqués dans le conflit israélo-palestinien depuis le 7 octobre : questions de qualifications », RDLF 2024 chron. n°65).
Par Kevin Mariat, Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Centre de droit pénal – Équipe Louis Josserand EA 3707
L’hypothèse de poursuites, en France, de nationaux ou binationaux français impliqués dans le conflit israélo-palestinien depuis l’attaque du 7 octobre 2023 est toute sauf utopique. Dans son point presse du 21 mars 2024, le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères tenait ainsi à « rappeler que la justice française est compétente pour connaître des crimes commis par des ressortissants français à l’étranger, y compris dans le cadre du conflit en cours. Conformément aux principes constitutionnels de séparation des pouvoirs, la justice exerce cette compétence de manière indépendante »[1].
Si le droit pénal moderne est historiquement lié à l’affirmation de la souveraineté des États et, donc, aux territoires de ceux-ci[2], il est aujourd’hui acquis que le seul titre de compétence territoriale ne suffit plus. Ainsi se sont développés des titres de compétences extraterritoriaux, au nombre de trois en droits français : la compétence personnelle, fondée sur la nationalité ; la compétence réelle, fondée sur l’atteinte aux intérêts de la Nation (ou d’une Nation étrangère) ; et la compétence universelle, fondée sur différents titres, variant parfois suivant l’infraction commise[3].
Cet article entend étudier les conditions de la compétence des juridictions pénales françaises contre des nationaux – ou binationaux, cela ne change rien – impliqués depuis le 7 octobre 2023 dans des crimes commis en Israël ou dans les territoires palestiniens, plus précisément dans des crimes de guerre, contre l’humanité ou de génocide ainsi que des crimes à caractères terroriste et des délits de financement du terrorisme[4]. Il s’agit, en ce qui concerne les crimes de guerre, contre l’humanité et de génocide, d’envisager la mobilisation du droit national, français, des crimes internationaux. Le volet international du droit des crimes internationaux est aussi, et naturellement, à l’œuvre avec une procédure en cours devant la Cour pénale internationale. Ce droit se caractérise, en effet, par deux dimensions complémentaires, nationale et internationale, et l’on observe d’ailleurs des allers-retours constants entre internationalisation et renationalisation[5]. Le Statut de la Cour pénale internationale affirme d’ailleurs, dès son préambule, « qu’il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ». Ainsi, les éventuelles poursuites en France ne peuvent s’analyser, à la lecture du Statut de Rome, sous le prisme de la concurrence mais bien sous celui de la complémentarité[6]. En ce qui concerne les infractions terroristes, elles ne sont en revanche pas visées par le Statut de Rome et ne relèvent donc pas de la compétence de la Cour pénale internationale[7].
Le cas d’un national ou binational français impliqué dans un crime prévu par le Statut de Rome et/ou un crime à caractère terroriste et/ou un délit de financement du terrorisme commis depuis le 7 octobre dernier fait immédiatement penser à la compétence personnelle, fondée sur la nationalité des personnes impliquées dans l’infraction. Pour autant, afin d’étudier au mieux la compétence des juridictions pénales françaises, trois remarques préalables s’imposent :
Tout d’abord, contrairement au droit international privé, le droit pénal ne connaît pas la distinction entre conflit de lois et conflit de juridictions. En vertu du principe de solidarité des compétences, « une solution liée pour les deux types de conflit »[8] est imposée : si le juge pénal français est compétent, il appliquera la loi pénale française et, de toute façon, il ne peut appliquer que la loi pénale française. Aussi a-t-on pu faire remarquer que le conflit de lois, en droit pénal, « est réputé ne pas exister »[9]. Nous parlerons donc toujours de la compétence du juge ou des juridictions pénales, cela emportant nécessairement l’application par ce juge de la loi pénale française.
Ensuite, il existe, souveraineté oblige, une hiérarchie des titres de compétences en fonction de leur lien avec le territoire de la République. Aussi le titre de compétence territoriale dispose-t-il d’une légitimité plus grande et, donc, bénéficie-t-il de conditions d’exercice plus simples[10]. On peut ainsi avoir tendance à rechercher le rattachement de l’infraction au territoire français pour éviter de mobiliser des titres de compétence extraterritoriaux.
Enfin, s’agissant des crimes de guerre, contre l’humanité et de génocide, ce sont des infractions absolument particulières :
« En effet, ces crimes dépassent les particularités et les intérêts propres des ordres publics nationaux, en venant directement léser des intérêts universels : c’est, ainsi, un critère matériel, tenant à l’objet de l’infraction considérée et plus précisément à la nature internationale de la valeur à laquelle elle porte atteinte, qui détermine cette dernière catégorie criminelle. Le processus d’internationalisation ne traduit donc pas seulement un intérêt répressif partagé par des États, mais plus fondamentalement la réprobation unanime de l’infraction, par l’ensemble de la société internationale. »[11]
Crimes internationaux par nature, on peut se demander si les qualifications de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de crime de génocide qui pourraient être retenues[12] n’emportent pas, par leur essence même, un ou des régime(s) particulier(s) s’agissant de la compétence des juridictions pénales françaises. Il existe, à l’évidence, un régime particulier de compétence, bien connu depuis la saga jurisprudentielle et législative dont il a fait l’objet[13] : la compétence universelle. Toutefois, cette compétence, qui permet de juger en France des faits commis à l’étranger par des étrangers sur des victimes étrangères, se place, en ne présentant a priori aucun lien de rattachement avec la République, en bas de l’échelle de légitimité (et, donc d’incontestabilité) des titres de compétence[14]. La compétence personnelle, fondée sur la nationalité française, présente un lien plus fort avec la République et ainsi une légitimité plus grande. Aussi la compétence universelle ne sera-t-elle pas étudiée en détail ici, puisque la compétence personnelle « suffit ». En revanche, cette compétence personnelle est elle-même moins légitime que la compétence territoriale et il convient donc, même si cela peut étonner à première vue, d’envisager la compétence territoriale (I) puis personnelle (II) des juridictions pénales françaises pour connaître des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide ainsi que des crimes et délits (financement) à caractère terroriste commis par des nationaux ou binationaux français depuis le 7 octobre 2023.
I. L’éventualité de la compétence territoriale
L’article 113-2 alinéa premier du code pénal dispose que « la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République ». Il s’agit d’une évidence, de la même manière qu’il paraît absurde d’écrire que des crimes commis à Gaza ou en Israël l’ont aussi été sur le territoire de la République. Pour autant, la première section du chapitre du code pénal consacré à l’application de la loi pénale dans l’espace, qui s’ouvre sur l’article 113-2, est intitulée « des infractions commises ou réputées commises sur le territoire de la République »[15]. On comprend alors qu’une infraction commise entièrement en dehors du territoire de la République – ce qui exclurait a priori la compétence territoriale – peut tout de même être réputée commise sur le territoire de la République – ce qui permettra la compétence territoriale ! Le second alinéa de l’article 113-2 le confirme, qui dispose que « l’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ». Reste à connaître les raisons et, surtout, les conditions de cette « prorogation légale de compétence »[16].
Quant aux raisons, elles tiennent sans doute aux avantages de la territorialité, liés à son degré maximal de légitimité – qui peut, en effet, contester que je puisse juger ce qui s’est passé sur mon territoire sur lequel j’exerce ma souveraineté[17] ? Ainsi, par exemple, peu importe que la victime de l’infraction soit étrangère[18] ou que l’auteur soit étranger[19], ni même que l’infraction soit punie dans l’État de nationalité de l’auteur[20]. Plus encore, la compétence territoriale est dite « exclusive » en ce que les juges français sont alors « considérés comme seuls compétents pour juger une infraction commise en France alors même que celle-ci relèverait également de la compétence des tribunaux répressifs d’un État étranger en vertu de ses propres règles »[21]. Surtout, la règle non bis in idem ne s’applique pas, c’est-à-dire que le jugement ou les poursuites à l’étranger pour les mêmes faits n’ont aucune incidence sur la compétence française, sous la seule réserve de la déduction de la peine éventuellement déjà effectuée à l’étranger de celle exécutée en France[22].
Quant aux conditions du rattachement de l’infraction au territoire de la République, tout dépend de l’interprétation du terme « fait constitutif » mentionné à l’alinéa second de l’article 113-2. Or, et cela n’étonnera pas au regard des avantages de la territorialité, la jurisprudence a une conception extrêmement large et souple du « fait constitutif », qui ne correspond en aucune manière à la notion d’élément constitutif de l’infraction, bien plus stricte[23]. La chambre criminelle a ainsi affirmé il y a peu dans un attendu de principe que « les juridictions françaises sont compétentes pour connaître d’infractions dont l’un des éléments au moins a été commis sur le territoire français. Il en est ainsi, notamment, lorsque l’infraction a été décidée ou organisée sur le territoire français »[24]. À l’occasion des 30 ans du nouveau code pénal, l’on n’a pu que constater « un impératif dominant : neutraliser au maximum les interférences étrangères, et les ramener autant que possible à une dimension nationale »[25].
Les conditions de la prorogation légale de compétence pourraient-elles être remplies s’agissant de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de crimes terroristes ou du délit de financement du terrorisme commis en Israël ou à Gaza ? Rien n’est moins sûr s’agissant des qualifications criminelles. En effet, aucun des éléments constitutifs de ces infractions ne peut être considéré comme réalisé en France : ni l’élément contextuel (le conflit armé, pour le crime de guerre, comme l’attaque généralisée ou systématique contre une population civile, pour le crime contre l’humanité, par exemple, n’ont bien entendu pas lieu sur le territoire de la République française) ; ni l’élément matériel (les atteintes volontaires à la vie, la torture, etc.) ; ni, a fortiori, l’élément intentionnel[26]. Quant à localiser un fait constitutif de l’infraction sur le territoire français, il conviendrait, pour reprendre les termes de la chambre criminelle, que « l’infraction a[it] été décidée ou organisée sur le territoire français »[27]. Or rien ne permet de dire que les attaques du 7 octobre comme la réponse israélienne depuis lors aient été décidées ou organisées depuis la France. Toutefois, l’on pourrait imaginer la localisation en France d’un fait constitutif du délit de financement du terrorisme. Au vu de la conception extrêmement souple de la notion de fait constitutif ainsi que la largesse de l’incrimination elle-même (« fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin », art. 421-2-2 c. pén.) et même si, à notre connaissance, la Cour de cassation n’a jamais encore eu à connaître de la question, rien ne permet d’exclure que des virements n’aient pas été faits depuis la France, des fonds récoltés en France, etc. Dans un tel cas, l’on pourrait plaider le rattachement au territoire de la République de l’infraction de financement du terrorisme. La territorialité ne devrait pas en revanche pouvoir être mobilisée pour poursuivre les infractions principalement en cause, à savoir les crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide ou crimes terroriste commis à Gaza ou en Israël.
Toutefois, la question reste ouverte de la possibilité de rattacher une infraction commise en France à un crime de guerre, un crime contre l’humanité, un crime de génocide ou un crime terroriste commis en Israël ou à Gaza afin d’attirer ce dernier crime dans la sphère de compétence territoriale du juge français – toujours dans le but de profiter des avantages de la territorialité. Cela est permis par deux mécanismes très différents : l’indivisibilité et la complicité.
L’indivisibilité est à l’origine une notion de procédure[28]. Elle est, en ce qui concerne la compétence internationale des juridictions pénales françaises, devenue aujourd’hui une notion purement jurisprudentielle[29] qui permet, en cas de « lien tellement intime que l’existence [d’une infraction] ne se comprendrait pas sans l’existence [d’une] autre »[30], de juger en France et sur le fondement de la compétence territoriale une infraction pourtant commise à l’étranger[31]. Si extensive que soit l’indivisibilité, il n’en demeure pas moins qu’elle serait d’application improbable à notre hypothèse d’étude. Il faudrait en effet concevoir, en France, une infraction dont l’existence ne saurait se comprendre sans celle du crime contre l’humanité, du crime de guerre, du crime de génocide ou du crime terroriste commis à l’étranger, et vice versa[32].
Il n’en va pas de même pour la complicité qui, quant à elle, est un mode de participation à l’infraction n’impliquant pas la réalisation de tous les éléments constitutifs par la personne poursuivie[33]. La complicité ne peut logiquement s’envisager que par rapport à un fait principal punissable – dans notre hypothèse, le crime contre l’humanité, le crime de guerre, le crime de génocide ou le crime terroriste commis à Gaza ou en Israël. Il ressort du code pénal et de la jurisprudence une différence, quant à la compétence territoriale en cas de complicité en France d’une infraction commise à l’étranger, suivant que l’infraction commise à l’étranger relève ou non de la compétence de la loi pénale française. Si l’infraction principale commise à l’étranger – le crime de génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre ou le crime terroriste – ne relève pas de la compétence du juge français, l’article 113-5 exige que le crime ou le délit soit puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère, mais aussi que l’infraction principale ait été constatée par une décision définitive de la juridiction étrangère. À l’inverse, si l’infraction principale commise à l’étranger relève bien de la compétence du juge français, les conditions de l’article 113-5 ne s’appliquent pas et la localisation de la complicité en France suffit. Cette solution remonte à un arrêt du 20 février 1990 ayant pour objet la complicité en France d’une infraction commise à l’étranger par un Français[34]. Notre hypothèse de travail étant la commission par un national ou un binational français d’un crime de génocide, d’un crime contre l’humanité, d’un crime de guerre ou d’un crime terroriste[35] commis en Israël ou à Gaza, on comprend donc que l’éventuel complice ayant agi sur le territoire français – ayant envoyé des armes, par exemple – relèverait sans autre conditions de la compétence des juges pénaux français puisque l’infraction principale, commise par un Français à l’étranger, entre dans la compétence personnelle des juridictions pénales françaises.
II. La certitude de la compétence personnelle
La notion de personnalité de la compétence renvoie, en ce qui concerne l’application de la loi pénale dans l’espace, à la nationalité des personnes impliquées dans la commission de l’infraction à l’étranger. Or, dans l’immense majorité des cas, deux types de personnes peuvent être impliquées dans une infraction, soit qu’elles l’aient commise, soit qu’elles l’aient subie. Autrement dit, la compétence personnelle peut renvoyer à la nationalité française soit de l’auteur, soit de la victime de l’infraction commise à l’étranger. Le lien avec le territoire n’est pas le même : dans le premier cas (auteur français), un de mes ressortissants est allé remettre en cause la paix sociale chez un de mes voisins ; dans l’autre (victime française), un de mes ressortissants se trouvait sur place lorsque quelqu’un, dont je n’ai pas la responsabilité en tant qu’État, a remis en cause la paix sociale chez un de mes voisins. Il conviendrait alors de distinguer de manière nette la compétence personnelle active, fondée sur la nationalité française de l’auteur et, donc, sur une certaine responsabilité de la France[36], de la compétence personnelle passive, fondée sur la nationalité de la victime et beaucoup plus contestable[37]. Ainsi le code pénal prévoie-t-il la personnalité active à l’article 113-6 et la personnalité passive à l’article 113-7, tout en la soumettant toutefois – et sans forcément de raisons si l’on prend en compte la différence de légitimité des deux titres de compétence – à bon nombre de conditions communes. Quoi qu’il en soit, notre hypothèse de travail concernant la commission de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide ou de crimes ou délits terroristes par un Français ou un binational à Gaza ou en Israël, seule la personnalité active sera étudiée, dont il s’agit de détailler les conditions ratione personae, ratione materiae et procédurales.
S’agissant des conditions ratione personae, le titre de compétence personnelle active suppose logiquement que l’infraction soit commise « par un Français » (art. 113-6 c. pén.). La nationalité française peut avoir été acquise avant et même après les faits (art. 113-6 al. 4). Pour les crimes et délits terroristes, il suffit même que la personne, bien que de nationalité étrangère, ait sa résidence habituelle en France (art. 113-13 c. pén.), celle-ci pouvant avoir été acquise, comme la nationalité, après la commission des faits[38]. Cette condition ne poserait donc aucun problème dans l’hypothèse de la commission par un Français d’un crime de génocide, d’un crime contre l’humanité, d’un crime de guerre, ou d’un crime ou délit à caractère terroriste en Israël ou à Gaza.
S’agissant des conditions ratione materiae, il convient bien évidemment de vérifier, dans un premier temps, que les faits sont punis par la loi pénale française – ce qui ne poserait aucun problème au regard des qualifications envisagées[39]. Il s’agit de l’unique condition sur le fond concernant les crimes. Pour les délits, en revanche, l’article 113-6 exige que les faits soient aussi punis dans la législation du pays où ils ont eu lieu. Cette différence quant à l’exigibilité de la double incrimination traduit, s’agissant des crimes, une sorte de présomption de l’incrimination, par les États étrangers, d’un comportement particulièrement grave pour être qualifié de crime en France[40]. Les qualifications envisagées étant essentiellement criminelles, la question se pose seulement du délit de financement du terrorisme. Toutefois, l’article 113-13 exclut la condition de double incrimination pour les délits terroristes – ceci pour permettre historiquement les poursuites en cas d’entraînement à l’étranger au djihad[41]. Ainsi, toutes les qualifications prévues par notre hypothèse de départ rempliraient les conditions ratione personae pour l’exercice de la compétence personnelle active.
S’agissant des conditions procédurales, enfin, l’article 113-8 dispose que « dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7, la poursuite des délits ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public. Elle doit être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis ». On comprend alors que ces deux conditions supplémentaires que sont le monopole du parquet et la plainte ou la dénonciation préalable ne concernent ni les crimes, ni les délits à caractère terroriste, qui font l’objet d’une disposition à part, l’article 113-13, à laquelle ne renvoie pas l’article 113-8. L’article 113-9, qui prévoit le respect de la règle non bis in idem, ne renvoie d’ailleurs pas, lui non plus, à l’article 113-13 mais seulement aux articles 113-6 et 113-7. Autrement dit, il faudrait dans notre hypothèse distinguer la commission par un Français d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité ou d’un crime de génocide, pour lesquels la compétence des juridictions pénales françaises serait soumise, outre à la nationalité de l’auteur, au respect de la règle non bis in idem ; et la commission par un Français d’un crime ou délit à caractère terroriste, pour lesquels la compétence des juridictions pénales françaises serait soumise à la seule nationalité de l’auteur.
Ainsi, peu importe la qualification retenue entre crime de génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre, crime ou délit à caractère terroriste[42], la compétence des juridictions pénales françaises pour connaître de ces faits commis par un Français depuis le 7 octobre ne rencontre pas d’obstacle majeur. Si la compétence territoriale peut sans doute s’envisager pour un délit de financement du terrorisme dont l’un des faits constitutifs auraient eu lieu en France (virement, récolte d’argent, etc.), le titre de compétence principalement mis en œuvre devrait être la compétence personnelle active.
Il convient de noter, en conclusion, que cette compétence personnelle active est soumise à des conditions variant suivant le type d’infraction. Les crimes sont en effet plus facilement poursuivables que les délits. L’idée apparaît donc d’une compétence personnelle active faiblement conditionnée pour les infractions les plus graves – les crimes. Toutefois, la différenciation supplémentaire entre crimes classiques, d’un côté, et crimes et délits à caractère terroriste de l’autre, interroge : peut-on considérer qu’un délit de financement du terrorisme réalisé à l’étranger par un Français, qui n’exigerait que la nationalité française de la personne pour être jugé en France, soit plus grave qu’un crime de guerre, contre l’humanité ou de génocide, où le principe non bis in idem s’appliquerait en plus ? Où l’on voit que fond et forme se rejoignent, puisque la qualification finalement retenue va pouvoir faire varier les conditions de la compétence des juridictions pénales françaises.
[1] https://www.youtube.com/live/1BvNaVO8Fnc?si=aVpmd83d-dH3lM_p&t=334.
[2] Y. Cartuyvels, « Le droit pénal et l’État : des frontières « naturelles » en question », dans M. Henzelin et R. Roth (dir.), Le droit pénal à l’épreuve de l’internationalisation, LGDJ, 2002, p. 1.
[3] K. Mariat, « Les fondements de la compétence universelle pour les crimes internationaux », in K. Mariat, F. Bellivier et A.-L. Chaumette (dir.), La compétence universelle face aux crimes internationaux. Droit français et comparé, Actes de la journée d’étude du 13 avril 2023, à paraître en ligne sur le site de la Revue des droits de l’homme, p. 19.
[4] V. B. Drevet, « Juger en France les nationaux impliqués dans le conflit israélo-palestinien depuis le 7 octobre : questions de qualifications », RDLF 2024 chron. n°65.
[5] J. Fernandez, Droit international pénal, 2e éd., LGDJ, 2022, n° 203 et s. V. déjà les ouvrages de A. Cassese et M. Delmas-Marty (dir.), Juridictions nationales et crimes internationaux ainsi que Crimes internationaux et juridictions internationales, PUF, 2002.
[6] Le principe de complémentarité est la clé de répartition des compétences entre la Cour pénale internationale et les juridictions nationales, succédant au système de la primauté des Tribunaux pénaux internationaux des années 90. V. sur ce point W. W. Burke-White, « Proactive Complementarity: The International Criminal Court and National Courts in the Rome System of International Justice », Harvard International Law Journal, 2008, n° 49.1, p 53.
[7] Même si, in concreto, certains faits qualifiables de terrorisme peuvent intégrer les éléments constitutifs des crimes de guerre ou contre l’humanité : v. J. Alix, Terrorisme et droit pénal, Dalloz, 2010, n° 643 et s.
[8] D. Brach-Thiel, « Vers la fin des conflits négatifs de compétence en droit pénal international ? », dans Mélanges Fournier, PUN, 2013, p. 37.
[9] V. Malabat, « Libres propos sur les conflits de loi en droit pénal », dans Mélanges Koering-Joulin, Anthémis, 2014, p. 527. Le principe de solidarité des compétences est toutefois remis en cause par une partie de la doctrine : v., pour le détail, A. Huet, R. Koering-Joulin et K. Mariat, Jcl. Droit international, Fasc. 403-10, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française – Introduction générale – Infractions commises en France », n° 25 et s.
[10] Le chapitre du code pénal consacré à l’application de la loi pénale dans l’espace commence ainsi par une première section « Des infractions commises ou réputées commises sur le territoire de la République ».
[11] M. Bardet, La notion d’infraction internationale par nature, Dalloz, 2022, n° 6.
[12] Sur la question des qualifications, v. B. Drevet, « Juger en France les nationaux impliqués dans le conflit israélo-palestinien depuis le 7 octobre : questions de qualifications », préc.
[13] Depuis 2021, dans l’ordre : arrêt de la chambre criminelle (Crim. 24 nov. 2021, n° 21-81.344 B : AJ Pénal 2022. 80, obs. Mariat ; D. 2022. 150 obs. Poissonnier ; RSC 2022. 41 obs. Beauvais), résistance des juges du fond (v. nos observations, « La compétence universelle à tout prix », AJ Pénal 2022, p. 272), arrêts d’assemblée plénière (Ass., 12 mai 2023, n° 22-80.057 et 22-82.468 ; AJ Pénal 2023, p. 277, obs. Mariat ; D. 2023, p. 1828, obs. G. Poissonnier ; RSC 2023, p. 553, obs. Mayaud ; JCP G 2023, act. 624, obs. Fernandez ; Clunet 2023, comm. 19, obs. Langle), loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 (sur laquelle v. nos observations, « Déverrouillez-moi…oui mais pas tout de suite : le nouvel article 689-11 du code de procédure pénale », AJ Pénal 2024, p. 24).
[14] K. Mariat, « Les fondements de la compétence universelle pour les crimes internationaux », in K. Mariat, F. Bellivier et A.-L. Chaumette (dir.), La compétence universelle face aux crimes internationaux. Droit français et comparé, Actes de la journée d’étude du 13 avril 2023, à paraître en ligne sur le site de la Revue des droits de l’homme, p. 19.
[15] Nous soulignons.
[16] E. Dreyer, Droit pénal général, 6e éd., LexisNexis, 2021, n° 1974 et s.
[17] V. déjà, invoquant la souveraineté, Cass. crim., 13 oct. 1865, S. 1866, 1, p. 33.
[18] Cass. crim., 23 févr. 1884 : Bull. crim. n° 52.
[19] Cass. crim., 1er mars 2000, n° 98-86.353 : Bull. crim. n° 101.
[20] Cass. crim., 1er mars 2000, n° 98-86.353 : Bull. crim. n° 101.
[21] A. Huet, R. Koering-Joulin et K. Mariat, Jcl. Droit international, Fasc. 403-10, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française – Introduction générale – Infractions commises en France », n° 13.
[22] Cass. crim., 23 oct. 2013, n° 13-83.499, Bull. crim., n° 201 ; Bull. crim., n° 201 ; D. 2013, p. 2950, note Rebut ; D. 2014, p. 314, obs. Laurent ; AJ pénal 2014, p. 127, obs. Herran ; RSC 2013, p. 857, note Boccon-Gibod. Cela a permis ensuite à la chambre criminelle de rejeter une QPC contestant l’inapplication du principe non bis in idem : Cass. crim., 15 avr. 2015, n° 15-90.001, inédit ; Dr. pén. 2015, comm. 119, obs. Bonis-Garçon.
[23] Une infraction « classique » comprend un élément matériel et un élément moral, auxquels s’ajoute un élément contextuel pour les infractions internationales par nature comme le crime de guerre, le crime contre l’humanité ou le génocide.
[24] Cass. crim., 10 janv. 2023, n° 21-85.526, Inédit ; RSC 2024. 97 obs. Ambroise-Castérot.
[25] Y. Mayaud, « Extranéité et droit pénal, 30 ans d’évolution », JCPG 2024, doctr. 350
[26] Au surplus, il a toujours été admis que l’élément intentionnel ne « compte » pas lorsqu’il s’agit de localiser une infraction sur le territoire de la République : « On imagine mal, en effet, que l’élément psychologique puisse se scinder ratione loci, car de deux choses l’une : soit il faudrait admettre, contrairement à des principes séculaires, qu’une simple résolution criminelle non extériorisée, ou plutôt extériorisée sur le territoire d’un État autre que celui de sa formation, suffit à localiser l’« infraction » au lieu où elle n’était que putative ; soit, défiant le bon sens, on devrait supposer une intention concomitante à la réalisation matérielle d’une infraction mais manifestée en un lieu distinct de celui de cette réalisation matérielle… » (A. Huet, R. Koering-Joulin et K. Mariat, Jcl. Droit international, Fasc. 403-10, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française – Introduction générale – Infractions commises en France », n° 46).
[27] Cass. crim., 10 janv. 2023, n° 21-85.526, Inédit ; RSC 2024. 97 obs. Ambroise-Castérot.
[28] Art. 382 al. 3 du code de procédure pénale : « la compétence du tribunal correctionnel s’étend aux délits et contraventions qui forment avec l’infraction déférée au tribunal un ensemble indivisible »
[29] On a ainsi parlé de « prorogation jurisprudentielle de compétence » : E. Dreyer, Droit pénal général, 6e éd., LexisNexis, 2021, n° 1996 et s.
[30] Cass. crim., 29 juill. 1875 : Bull. crim. n° 239.
[31] Il s’agit d’une jurisprudence constante (v. dernièrement Cass. crim., 1er juin 2022, n° 21-81.644, Inédit).
[32] Ce qui exclut ainsi, par exemple, toute atteinte à l’intégrité physique commise en France en raison du conflit israélo-palestinien. En effet, l’indivisibilité est un rapport réciproque et, si l’infraction commise en France ne peut éventuellement être comprise qu’en considération de potentiels crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, les crimes commis en Israël ou à Gaza ont une existence totalement autonome et ne dépendent pas, pour leur compréhension, de l’infraction réalisée en France.
[33] X. Pin, Droit pénal général, 15e éd., Dalloz, 2023, n° 361. L’on peut se rendre complice d’une infraction par différents moyens, visés à l’article 121-7 : aide, assistance, don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou fourniture d’instructions.
[34] Cass. crim., 20 févr. 1990, n° 89-86.610 et 89-86.611, Bull. crim. n° 84 ; JCP G 1990, IV, p. 186 ; D. 1991, p. 395, note Fournier.
[35] L’hypothèse du délit de financement du terrorisme a été envisagée précédemment au titre tu rattachement de l’infraction au territoire de la République via la notion de fait constitutif.
[36] X. Pin, Droit pénal général, 15e éd., Dalloz, 2023, n° 164 et s.
[37] A. Huet, R. Koering-Joulin et K. Mariat, Jcl. Droit international, Fasc. 403-20, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française –Infractions commises à l’étranger », n° 46.
[38] Cass. crim., 6 mars 2024, n° 23-87.046, publié au bulletin ; Gaz. Pal. 7 mai 2024, p. 50, obs. S. Detraz ; AJ Pénal 2024, p. 272, obs. R. Mésa.
[39] Sur lesquelles, v. B. Drevet, « Juger en France les nationaux impliqués dans le conflit israélo-palestinien depuis le 7 octobre : questions de qualifications », préc.
[40] T. Herran, « La double incrimination en droit pénal international. Entre faux-semblants et lieux communs », dans Mélanges Conte, LexisNexis, 2023, p. 443
[41] D. Brach-Thiel, « Le nouvel article 113-13 du code pénal : contexte et analyse, AJ Pénal 2013, p. 90.
[42] V. B. Drevet, « Juger en France les nationaux impliqués dans le conflit israélo-palestinien depuis le 7 octobre : questions de qualifications », préc.