Le changement de la mention du sexe et du prénom à l’état civil. Rapport d’évaluation de l’article 56 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016
Le présent rapport retranscrit de manière approfondie le contenu de l’audition de ses autrice et auteur par la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS), le 30 mai 2023 à Paris, en présence d’une représentante de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH). L’audition portait sur l’évaluation de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et en particulier son article 56 ayant modifié la procédure de changement de la mention du sexe et du prénom à l’état civil. Cette évaluation constituait elle-même l’une des mesures prévues dans le « Plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2020-2023 », présenté le 14 octobre 2020 par la ministre déléguée auprès du Premier ministre et chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances. Outre des universitaires, les associations de personnes concernées et les professionnel·les du droit ont aussi été auditionné·es par la DACS.
La nature et le contexte du rapport qui suit expliquent que ce dernier n’obéisse pas en tous points à la forme des écrits juridiques classiques, d’où notamment un appareil de notes de bas de page relativement réduit et l’accent mis sur des énoncés de recommandation concrets. Les pistes et les modalités de réforme dessinées dans ce rapport, relativement innovantes, ainsi que la remise en contexte de l’article 56 précité, trop rarement faite, nous ont toutefois semblé susceptibles d’intéresser au-delà des seuls membres de la DACS auxquels ce document était initialement destiné. Nous remercions donc la Revue des droits et libertés fondamentaux d’avoir – comme lors de la publication naguère d’amicus curiae – accepté d’élargir les limites de la science du droit en publiant le document qui va suivre.
Par Benjamin MORON-PUECH, Université Lumière Lyon 2 (CERCRID & Transversales), Association Alter Corpus et Et Claire BORREL, Université Toulouse Capitole (Institut de droit privé)
Sommaire
Synthèse des recommandations
Propos introductifs
1° Les données quantitatives au soutien de la réforme : une réforme ne rencontrant pas son public
2° Les données qualitatives au soutien de la réforme : une réforme inaboutie
a – Une réforme laissant le droit français au milieu du gué
i. Rappels sur le système d’identification du genre
ii. L’identification du genre après « J21 » : une combinaison de dispositifs inconciliables
b – Une réforme limitée
i. Le contexte d’adoption de la loi
ii. Les choix implicites de terminologie et de contenu
I – Les réformes sur les mentions genrées de l’état civil
A. Les réformes procédurales
1° La démédicalisation
a. La démédicalisation limitée du droit positif.
i. La double démédicalisation substantielle instaurée par la loi « J21 »
ii. Une médicalisation procédurale toujours permise
b. Les remèdes à cette démédicalisation limitée
2° La déformalisation
a. La déformalisation de la procédure de changement de sexe
i. Les difficultés posées par le caractère judiciaire de la procédure
ii. Le remède à ces difficultés : la déjudiciarisation a priori grâce à l’autodéclaration
b. La déformalisation de la procédure de changement de prénom
B. Les réformes de fond
1° Repenser la mention de sexe
a – Les contraintes juridiques européennes pesant sur la mention de sexe
b – La signification et les caractères binaires et obligatoires de la mention du sexe en sursis
i. La réduction de la mention du sexe à l’état civil aux caractéristiques sexuées
ii. La modification des caractères obligatoire et binaire de la mention du sexe à l’état civil
2° Repenser l’accès des personnes vulnérables ou marginalisées
II – Les autres réformes à mener
A. Les réformes concernant les documents autres que l’état civil
B. Les réformes concernant les droits liés au sexe
Synthèse des modifications textuelles proposées
Modifications réglementaires adoptables immédiatement
- Modifier l’article 1055-8 du code de procédure civile pour réglementer les preuves de nature médicale dans la procédure de changement de la mention du sexe ;
- Modifier la circulaire du 10 mai 2017 pour y préciser l’ouverture de la procédure de changement de sexe aux personnes mineures non émancipées via les titulaires de l’autorité parentale ;
- Modifier la circulaire du 17 févr. 2017 sur l’art. 56, I de « J21 » pour ôter toute référence médicale (« transsexualisme »), y prévoir l’accès à l’aide juridictionnelle pour le changement de prénom, y supprimer les condition non prévues par la loi de dépôt en personne de la demande et de copie d’actes de naissance des membres de la famille ;
- Modifier les décrets régissant les pièces d’identité (passeport, CNI, « carte Vitale » et titres d’identité pour personnes étrangères exilées en France) afin d’y remplacer la mention de sexe par celle de genre et décorréler cette mention du sexe de l’acte de naissance ; y rendre également cette mention autodéclarative, facultative et ouverte à la non-binarité (« X » pour les passeports)
Modifications législatives à moyen terme
- Modifier l’article 9 du code civil pour y indiquer que le droit au respect de la vie privée implique le droit de ne pas partager son identité de genre, le droit d’obtenir la modification des documents qui en donnerait une image faussée et le droit de la voir respectée par autrui dans toutes les règles dont l’application dépend du genre.
- Modifier l’article 57 du code civil pour y supprimer la mention de sexe
Rapport
Propos introductifs
Avant de présenter les différentes suggestions d’évolution du droit français, évolutions guidées par le souci d’achever la réforme du système d’identification du genre en vigueur en droit français et initiée par l’article 56 de la loi du 18 novembre no 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIe siècle (dite plus loin loi « J21 »), on voudrait faire deux remarques introductives importantes qui permettront de comprendre pourquoi l’œuvre entamée par la loi « J21 » doit être poursuivie. L’une, de nature quantitative, permettra de prendre conscience de ce que, par rapport à l’étranger, le nombre de personnes françaises ayant modifié leur marqueur de sexe à l’état civil, demeure relativement faible, ce qui témoigne de la persistance de barrières au changement, contre lesquelles le droit international demande aux États de réagir (1°). L’autre, de nature qualitative, visera à montrer en quoi, s’agissant du système d’identification du genre retenu, la réforme opérée par la loi « J21 » est restée inachevée (2°).
1° Les données quantitatives au soutien de la réforme : une réforme ne rencontrant pas son public
Afin de mesurer l’efficacité de la réforme opérée par l’article 56 de la loi « J21 », c’est-à-dire la capacité de ce texte à produire des effets, l’on peut, en se concentrant sur le seul changement de sexe pour lequel on dispose aisément de chiffres[1] sur la période de 2005 à 2022, comparer le nombre de changement de sexe par années en France avec celui d’autres pays voisins ayant assoupli autant ou plus que la France les conditions du changement de la mention de sexe.
En France, si l’on combine l’ensemble des changements de sexe survenus entre 2013 et 2022, l’on arrive à 5863 (sources INSEE et Ministère de la justice) ce qui, en tablant sur un nombre moyen de changement de 50 par an entre 2005 et 2013, conduit à approximativement 6500 changements sur la période 1993-2022. Rapporté à la population globale actuelle, cela correspond environ à 0,01% de la population française.
Au Royaume-Uni, où selon lu*[2] Gender Recognition Act 2004, l’obtention d’un certificat reconnaissant son genre nécessite une attestation médicale et subordonnée à une condition de durée par principe de deux ans, le nombre de certificats délivrés et donc de changements de genre est de 7111 cas[3], soit 0,01% de la population. Dans la mesure où le Royaume-Uni repose également sur un système d’attestation (pour la condition de durée du changement) et où le droit de cet État paraît globalement aussi exigeant que le système français[4], il n’est pas surprenant que les chiffres anglais et français soient quasiment identiques.
En Belgique, où la réforme de 2017 a libéralisé davantage le changement, en le démédicalisant (sauf pour les personnes mineures) et en le déjudiciarisant, moyennant néanmoins une déclaration officielle et formalisée à réitérer après un certain délai et avec une clause de non-retour[5], le nombre total de changements survenu entre 2005 et 2021 est de 2974[6] ce qui, en l’extrapolant à 2022, correspond pour la période de comparaison retenue, à 0,03% de la population belge.
Aux Pays-Bas enfin, où le changement de genre est encore plus libéralisé depuis une loi du 18 décembre 2013, car moins formalisé, sans contraintes sur le retour en arrière et ouvert expressément aux personnes de nationalité étrangère, le nombre de changement entre 2006 et 2021 a été de 5820 ce qui, extrapolé sur la période de référence 2005 à 2022, correspond à 0,04% de la population[7].
On peut tirer de ces données deux conclusions. Premièrement, la libéralisation des conditions du changement a un impact assez fort sur le nombre de personnes transgenres demandant à changer la mention de leur sexe — conclusion qui ressort aussi de l’étude des évolutions internes à chaque pays où le nombre de demandes augmente sensiblement après chaque réforme[8]. Deuxièmement, si l’on présume que le nombre de personnes transgenres est proportionnellement sensiblement le même en France, en Belgique et aux Pays-Bas, on peut estimer que la « fermeture » actuelle du dispositif français de changement de la mention du sexe à l’état civil conduit les ¾ de la population transgenre française à ne pas affirmer officiellement leur genre à l’état civil. Ce chiffre suggère donc la faible efficacité de la réforme de 2016 et invite à poursuivre l’évolution entamée pour permettre, conformément au droit international[9], à toute personne transgenre d’être reconnue dans son identité.
2° Les données qualitatives au soutien de la réforme : une réforme inaboutie
Le caractère inabouti de la réforme introduite par l’article 56 de la loi « J21 » provient d’abord de ce que cette réforme a laissé le droit français de l’identification du genre au milieu du gué, entre deux systèmes d’identification du genre inconciliables (a). Il provient ensuite du caractère limité de cette réforme quant aux évolutions terminologiques et substantielles retenues à propos de la modification de la mention du sexe à l’état civil (b).
a – Une réforme laissant le droit français au milieu du gué
Pour comprendre en quoi l’article 56 de la loi « J21 » constitue une réforme inachevée, combinant des dispositifs inconciliables d’identification du genre (ii), il est nécessaire de préciser les deux grands types de système envisageables (i).
i. Rappels sur le système d’identification du genre
Par système d’identification du genre on entend désigner le dispositif par lequel des institutions identifient — c’est-à-dire reconnaissent puis garantissent — le genre des individus. Nous avons montré ailleurs et avec d’autres[10] qu’existent aujourd’hui deux grands systèmes d’identification du genre : celui de l’« assignation du sexe » ou celui de l’« affirmation du genre ».
Dans un système d’assignation du sexe, le genre des individus n’est pas formellement reconnu distinctement des caractéristiques sexuées et les deux sont liées indissociablement au sein d’une notion dite de sexe. Ce sexe mêle donc des éléments biologiques et psycho-sociaux. Dans ce système, le sexe est assigné à la naissance en fonction des caractéristiques sexuées de la personne. Il détermine par ailleurs le comportement socialement attendu des individus, d’où la nécessité — sur laquelle veillent les officiærs* d’état civil — d’assurer une cohérence entre ce sexe et le genre grammatical du prénom. Ce sexe peut être modifié après la naissance, mais seulement si les caractéristiques sexuées sont également altérées (cas des personnes transgenres) ou si des professionnæls* de santé attestent d’une erreur de sexe (cas des personnes intersexuées).
Dans un système d’affirmation du genre, les individus sont identifiés par l’État en fonction du genre auquel ils affirment appartenir. Ce genre est distinct des caractéristiques sexuées des individus et ne peut donc logiquement pas être « assigné » à la naissance, mais seulement lorsque la personne est en mesure de s’exprimer. Ce genre peut être modifié par l’individu indépendamment d’un changement ou non de ses caractéristiques sexuées, sur simple affirmation de sa part. Ce genre dépendant d’une conviction personnelle, il peut très bien également ne pas être affirmé ; il est donc possible de refuser d’être identifié dans un tel système d’identification du genre.
ii. L’identification du genre après « J21 » : une combinaison de dispositifs inconciliables
La réforme réalisée par l’article 56 est inaboutie en ce sens que loin de changer notre système d’identification du genre, pour le faire passer du système d’assignation du sexe vers celui de l’affirmation du genre, cette réforme a combiné les deux systèmes, en plaçant dès lors notre droit de l’identification du genre au milieu du gué, soumis à un courant plus ou moins tumultueux selon les questions qui surviennent. En bref et schématiquement, la combinaison est la suivante : à la naissance de la personne, notre droit demeure dans la logique ancienne d’un système d’assignation du sexe alors que, pour les modifications ultérieures de cette mention, notre droit se rapproche d’un système d’identification du genre. Reprenons cela dans le détail.
Pour l’identification initiale du genre, le droit positif français décide que cette identification interviendra dès la naissance et il qualifie cette mention de sexe (art. 57). Déterminé dès la naissance, le genre ne peut donc pas l’être sur la base de l’identité de l’enfant, encore inconnue à cette date et l’est sur la base de ses seules caractéristiques sexuées, en pratique toujours identifiées par les professionnæls de santé[11]. On est donc ici dans le système d’assignation du sexe.
En revanche, pour les changements ultérieurs de l’identification du genre, la mention du sexe va être modifiée à partir d’éléments indépendants des caractéristiques sexuées de la personne (art. 61-5 et -6 c. civ.). Même si le juge ne peut pas refuser le changement au motif que la personne n’aurait pas subi de traitements médicaux, il ne s’agit pas pleinement d’un système d’affirmation du genre, puisque ce n’est pas l’affirmation par la personne de son genre qui permet à elle seule d’obtenir la modification d’une mention toujours qualifiée de « sexe ». La modification n’est accordée que si des tiærs* attestent d’un changement de genre. Néanmoins, en pratique, le choix des tiærs par la personne et le fait que ces tiærs se prononcent en fonction de la manière dont la personne affirme son genre auprès d’elle, montrent qu’on n’est pas très loin du système de l’affirmation du genre.
Cette combinaison des deux systèmes d’identification du genre est source d’incohérences sur lesquelles on reviendra dans ce rapport. On perçoit bien que l’on ne peut pas dans un même système décider que le sexe renverra tantôt aux caractéristiques sexuées, tantôt au genre, surtout lorsqu’on n’a pas de moyens simples de savoir dans quel cas se situe la personne dont on examinerait la mention du sexe figurant sur le document d’identité qu’on a sous les yeux. Selon nous, les difficultés produites par cette combinaison de systèmes inconciliables sont telles que notre droit français va évoluer. Soit il retournera vers le système initial d’assignation du sexe ; soit, plus vraisemblablement, compte tenu des contraintes du droit international et de l’évolution sociale prévisible[12], le droit français de l’identification du genre rejoindra l’autre rive, celle de l’affirmation du genre, quitte éventuellement à développer, en parallèle du système d’identification du genre, un système d’identification des caractéristiques sexuées, ainsi que cela a pu être proposé en doctrine[13]. On expliquera néanmoins plus bas pourquoi ceci ne nous semble guère envisageable.
Quoi qu’il en soit, le caractère inabouti de cette réforme ne provient pas seulement de ce que le choix du système d’identification du genre a été incohérent entre la déclaration initiale et la modification ultérieure de la mention, il provient aussi de ce que, même pour les évolutions apportées à la modification ultérieure de la mention, l’apport de la loi « J21 » demeure limité.
b – Une réforme limitée
Afin de comprendre les limites terminologiques et substantielles de cette loi (ii), il est nécessaire de rappeler le contexte dans lequel celle-ci a été adoptée (i).
i. Le contexte d’adoption de la loi
L’adoption très difficile de la loi de 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe a conduit une grande partie de la gauche au pouvoir à refuser toute nouvelle réforme concernant les minorités sexuelles, sexuées et genrées (dites communément personnes « LGBT* »). L’épisode des ABCD de l’égalité — incluant initialement un volet luttant contre les stéréotypes de genre, en particulier à l’égard des personnes transgenres — et leur mise de facto entre parenthèse par le ministre de l’éducation Vincent Peillon à la suite de la forte mobilisation à nouveau de certains milieux religieux, est la manifestation la plus visible de cette volonté de ne plus aller de l’avant en matière de droit des personnes minorisées à raison de leur sexualité, leur sexuation ou leur genre (ci-après MISSEG).
Pourtant, au Parlement, plusieurs parlementaires vont déposer des propositions de loi pour améliorer la condition des personnes transgenres. Toutes ces propositions seront néanmoins rejetées, jusqu’à ce que néanmoins, en fin de mandat du Président François Hollande, la pression des parlementaires et des associations de personnes transgenres, renforcée par l’anticipation de la condamnation à venir de la France par la « Cour européenne des droits de l’homme » (ci-après Cour européenne), soit telle que le Gouvernement accepte du bout des lèvres, après s’y être opposé en première lecture, une réforme introduite par voie d’amendement à l’Assemblée nationale.
L’accouchement de la réforme du système d’identification du genre réalisé par l’article 56 de la loi « J21 » s’est donc fait « au forceps », mais également « en vitesse », afin de prendre en quelque sorte de court les mouvements conservateurs, pour les empêcher de se mobiliser contre cette nouvelle évolution du droit, comme ils avaient pu le faire en 2013 et en 2014 pour la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe et les ABCD de l’égalité.
Ces deux caractéristiques de cette réforme — « au forceps » et « en vitesse » — sans doute pas assez remarquées en doctrine[14] —, expliquent certains choix implicites quant à la terminologie et au contenu de la réforme.
ii. Les choix implicites de terminologie et de contenu
Concernant tout d’abord la terminologie, si la loi « J21 » contient bien le mot si polémique de « genre », ce n’est pas dans l’article 56 touchant au système d’identification du genre. C’est seulement dans les dispositions relatives à la discrimination et plus précisément dans les dispositions de cette loi relative à l’action de groupe, modifiées en deuxième lecture par voie d’amendements, afin de rectifier les critères de discrimination prohibés et y remplacer l’expression d’« identité sexuelle » par celle d’« identité de genre ». Si ce changement n’est pas neutre et à tout à voir avec les modifications du système d’identification du genre — l’expression « identité de genre » montre ainsi mieux que la transidentité peut être reconnue sans modification des « caractéristiques sexuelles » et donc sans stérilisation, idée que sous-tendait le terme « identité sexuelle » associé à celui de « transsexuel » naguère présent par exemple dans la jurisprudence[15] —, il est néanmoins rendu acceptable par le fait que le droit européen qui l’inspire expressément a évolué terminologiquement pour intégrer lui aussi la discrimination fondée sur le genre en plus de celle fondée sur le sexe[16]. Au contraire, dans le droit de l’état civil, les parlementaires n’osent pas toucher au terme de sexe présent en droit de l’état civil, contrairement à d’autres réformes à l’étranger (notamment à Malte[17]), à la fois car, dans une certaine vision française des lois[18], cela nécessiterait d’importantes mesures de coordination avec l’ensemble des documents et textes normatifs utilisant le terme de « sexe », mais aussi pour ne pas laisser à penser que le droit français, de lui-même, ferait sien une quelconque « théorie du genre », que la gauche elle-même mettait à distance, sans même chercher à montrer que les personnes s’opposant à cette théorie présentée comme unique défendaient elles-mêmes aussi une autre théorie du genre[19]. Voilà pourquoi, selon nous, le terme de genre ne figure nullement dans la réforme et voilà pourquoi le passage vers un système d’affirmation du genre ne pouvait pas être réalisé.
Autre conséquence du contexte d’adoption de la réforme : son contenu, très limité. En effet, la réforme du système d’identification du genre opérée se concentre sur l’encadrement des conditions du changement des mentions de sexe et de prénom à l’état civil, sans s’occuper des effets de ce changement. Or, le changement opéré est tel qu’il impacte nécessairement nombre de règles dépendant de ces mentions de sexe et de prénom à l’état civil. Ainsi, en permettant qu’une personne obtienne le changement de la mention de sexe sans aucune modification médicale de ses caractéristiques sexuées (article 61-6 c. civ.), la réforme crée des difficultés d’application pour tous les dispositifs juridiques qui reposaient jusque-là sur la mention du sexe pour discriminer les individus selon leurs caractéristiques sexuées, telles les règles assurant la séparation des individus à des fin de protection (toilettes, prison), d’équité (sport), de parité (quota) ou de complémentarité (établissement de la filiation ou assistance médicale à la procréation). Or, les adaptations nécessaires à cette réforme sont loin d’être simples, comme on le voit au travers des difficultés contemporaines que rencontrent les actaires privæs* et publix* dans leur entreprise de catégorisation des athlètes ou prisonniærs* transgenres. Dès lors, les parlementaires — soucieuz* sans doute de ne pas « embourber » leur réforme dans ces questions difficiles, de crainte alors que n’émerge un nouveau mouvement social pouvant « bloquer » la réforme projetée — ont laissé de côté ces questions sur les effets du changement, allant donc « à l’économie », comme nous l’avaient confié a posteriori des sénatrices[20].
Dans le présent rapport, nous voudrions indiquer les instruments par lesquels le gué pourrait être franchi, en portant attention à leur nature législative ou réglementaire. On commencera par présenter les réformes propres aux documents d’état civil stricto sensu, premiers affectés par la loi « J21 » (I), avant de porter l’attention vers les autres règles concernées par l’identification du genre et forcément affectées par une évolution du système étatique de cette identification (II).
I – Les réformes sur les mentions genrées de l’état civil
La question des réformes à apporter aux mentions consignées l’état civil, et plus précisément dans l’acte de naissance, appelle à distinguer entre d’une part les réformes de nature procédurale (A) et d’autre part les réformes de fond, de nature substantielle (B).
A. Les réformes procédurales
Si la grande innovation substantielle de la réforme du changement de la mention du sexe opéré par « J21 » a été la démédicalisation opérée par l’article 61-6 alinéa 3 du code civil, sur le plan procédural, la démédicalisation n’a pas pleinement eu lieu et constitue encore aujourd’hui un frein au changement. En outre, la procédure reste judiciaire, ce qui ajoute un certain nombre de contraintes formelles, y compris symboliques, au changement et en restreint l’accès. Sur ces deux points, des réformes procédurales pourraient intervenir. Examinons tour à tour cette démédicalisation (1°) puis ce qu’on pourrait appeler, dans la lignée du Président Cadiet, sa déformalisation[21], c’est-à-dire l’assouplissement des formes imposées pour affirmer son changement de genre à l’état civil (2°).
1° La démédicalisation
Après avoir rappelé les difficultés suscitées par la situation actuelle (a), on présentera les remèdes envisagés (b).
a. La démédicalisation limitée du droit positif.
La démédicalisation du changement de la mention de sexe a été présentée comme l’un des apports essentiels de la réforme opérée par la loi « J21 ». Substantiellement, cette démédicalisation est intervenue s’agissant des nouvelles conditions posées pour faire droit à la demande de modification (i). Toutefois, une certaine empreinte médicale demeure, notamment quant à la preuve que les requérantz* sont tenuz* d’apporter (ii).
i. La double démédicalisation substantielle instaurée par la loi « J21 »
Antérieurement à la réforme du changement de la mention du sexe à l’état civil opérée par la loi « J21 », le droit applicable à la demande de la modification de la mention du sexe à l’état civil tenait pour l’essentiel aux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation les 7 juin 2012[22] et 13 février 2013[23]. La haute juridiction y avait posé une double condition : l’établissement de « la réalité du syndrome transsexuel et [du] caractère irréversible de la transformation de [l’] apparence ». Il était donc nécessaire pour la personne requérante de prouver qu’elle souffrait d’une « maladie » diagnostiquée (le « syndrome du transsexualisme », ainsi qu’il était alors fréquemment désigné en France dans le monde médico-juridique) et qu’elle avait reçu un « traitement » (la transformation de l’apparence).
Cet état du droit français a été examiné par la Cour européenne à l’occasion d’une décision rendue le 6 avril 2017[24]. Les arrêts de la Cour de cassation susmentionnés avaient en effet fait l’objet d’un recours sur le fondement de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après Convention européenne) relatif au respect de la vie privée. La Cour européenne avait conclu à la violation de l’article 8 s’agissant de l’exigence d’une transformation irréversible de l’apparence qui, selon cette Cour — au terme d’une analyse se focalisant, au sein des différentes interprétations effectivement retenues par les juges du fond des deux conditions précitées posées par la Cour de cassation, sur la plus attentatoire aux libertés[25] — se comprenait comme une exigence de traitement stérilisant ou entrainant une forte probabilité de stérilité[26]. La réforme opérée par la loi J21 est ainsi intervenue de façon anticipée par rapport à la condamnation européenne, introduisant à l’article 61-5 du Code civil un dispositif démédicalisé, tant par l’abandon du psychodiagnostic de « transsexualisme », que par l’absence de toute exigence relative à la transformation de l’apparence de la personne.
Il convient ici de souligner que la réforme française est allée en 2016 au-delà du standard posé en 2017 par la Cour européenne. En effet, cette dernière, en s’appuyant en particulier sur la dixième version de la Classification internationale des maladies (ci-après CIM-10) produite par l’Organisation Mondiale de la Santé, ne condamne pas l’exigence de psychodiagnostic imposée en droit français avant 2016[27]. D’ailleurs, ainsi qu’il convient de le voir à présent, cette exigence de psychodiagnostic, et plus généralement celle de traitements médicaux, n’a néanmoins pas totalement été supprimée en droit français par la réforme de 2016, quoi que puisse laisser à penser la seule lettre de l’article 61-6 alinéa 3 du code civil précité.
ii. Une médicalisation procédurale toujours permise
En interdisant au juge de refuser un changement de la mention de sexe au motif que la personne transgenre n’aurait pas subi d’actes médicaux, l’article 56 de la loi « J21 » n’a pas, à proprement parler, supprimé toute médicalisation de la procédure, même si une interprétation de ce texte à l’aune des travaux préparatoires et de l’intention des parlementaires pourrait sans doute permettre de défendre une telle lecture. Formellement, la seule chose que vient encadrer l’article 56 de la loi « J21 », c’est la motivation explicite de la décision de justice. En revanche, rien n’interdit formellement au juge (constatant par exemple dans le dossier à lui soumis l’absence de tout certificat médical, de preuves d’un suivi ou d’actes médicaux) de demander la production de telles preuves, puis de renvoyer l’affaire à une prochaine audience, le temps que ces documents soient produits et enfin, le cas échéant, de rejeter l’affaire si ces documents ne sont toujours pas produits en disant seulement que la personne ne démontre pas suffisamment appartenir au sexe revendiqué. Rien n’interdit non plus au juge, sur la base de l’opinion porté sur l’apparence d’une personne qui n’aurait pas aux yeux du magistrax* suffisamment changé sa morphologie, sa pilosité, le son de sa voix, etc. de rejeter la demande au même motif vague que la personne ne démontrerait pas suffisamment être du sexe revendiqué. En pratique, c’est bien ce qui se passe[28], même si l’ampleur précise et la persistance de ce phénomène, plus de six ans après l’entrée en vigueur de la loi « J21 » mériteraient d’être précisées.
Le risque de tels abus, s’il a sans doute diminué considérablement au fur et à mesure de l’application de la réforme[29], conduit nombre de personnes transgenres à verser préventivement à leur dossier de changement de mention du sexe des documents médicaux, documents que toutes n’ont pas forcément. Ces personnes y sont d’autant plus encouragées que, d’une part, la circulaire du 10 mai 2017[30] autorise les personnes concernées à produire des attestations médicales relatives à d’éventuels traitements ou chirurgies[31] et que, d’autre part, à propos du changement de la mention du prénom en raison de la transidentité de la personne en faisant la demande, la circulaire d’application de la loi « J21 »[32] utilise le terme médical de « transsexualité », même s’il est vrai qu’elle le fait par référence à des décisions de justice antérieures à la réforme de « J21 » qui employaient alors le terme « transsexualisme »[33].
b. Les remèdes à cette démédicalisation limitée
Afin de parachever l’objectif de démédicalisation de la procédure française recherché le Parlement, l’on pourrait réglementer les preuves à fournir par la personne demandant à changer la mention de son sexe à l’état civil, de façon à ce que les pièces médicales ne soient plus requises par les juridictions.
Il serait possible de suivre ici l’exemple maltais où l’article 3 (4) du GIGESC Act cité plus haut en note dispose : « La personne requérante ne sera pas tenue de fournir la preuve d’une chirurgie de réassignation totale ou partielle, de thérapies hormonales ou de tout autre traitement psychiatrique, psychologique ou médical afin de faire valoir son droit à l’identité de genre »[34].
L’on pourrait pour cela ajouter une disposition similaire au sein des textes français, disposition qui engloberait tant le changement de la mention du sexe que celui du prénom. Dans la mesure où, comme indiqué plus haut, la médicalisation persistante qu’on observe dans certains contentieux paraît contraire à l’intention du législateur mais aussi, sans doute, ainsi qu’il sera montré plus bas, à l’état du droit européen depuis l’entrée en vigueur au 1er janvier 2022 d’une nouvelle version de la Classification internationale des maladies (la CIM-11), il nous semble possible de considérer que la démédicalisation complète découle déjà des textes du code civil en vigueur. Dès lors, cette démédicalisation probatoire pourrait être réalisée par des textes réglementaires. Pour la procédure de changement de la mention du sexe à l’état civil, si son caractère judiciaire devait être conservé, l’article 1055-8 du code de procédure civile pourrait être complété d’un alinéa 2 énonçant : « Aucune preuve de nature médicale ne peut être exigée de la personne en demande », disposition éventuellement complétée par la précision que « [l]es preuves de nature médicale apportées au soutien de la demande ne sont pas recevables ». Quant à la procédure de changement de prénom, il conviendrait de modifier la circulaire d’application précitée pour d’une part y mettre à distance le terme de « transsexualité » utilisé et d’autre part y indiquer expressément que des preuves médicales n’ont pas à être fournies, voire ne sont pas recevables.
Ajoutons pour finir qu’à nos yeux la modification suggérée nous semble découler d’une obligation positive pesant sur l’État français en application de l’article 8de la Convention européenne protégeant le droit au respect de la vie privée. Certes, en 2017, dans l’arrêt A.P., Garçon et Nicot c. France la Cour européenne, pour ne pas déclarer contraire à l’article 8 précité l’exigence d’un « syndrome de transsexualisme », avait mis en avant le quasi-consensus européen sur la question en s’appuyant pour cela avant tout la CIM-10 qui, à l’époque, faisait figurer le « transsexualisme » / « dysphorie de genre » au sein des troubles mentaux et du comportement[35]. Or, depuis le 1er janvier 2022, date d’entrée en vigueur de la CIM-11, l’expression « dysphorie de genre » est remplacée par celle d’« incongruence de genre » et reclassée dans une rubrique[36], le tout pour éviter la pathologisation des personnes transgenres. La référence à « l’incongruence de genre » dans la CIM-11 n’est ainsi là que pour permettre, aux personnes transgenres le souhaitant, de bénéficier de traitements médicaux d’affirmation de genre remboursés. Il n’y a plus aucune volonté d’encadrer l’état civil de ces personnes. Compte tenu de l’interprétation vivante que retient la Cour européenne de la Convention européenne et que cette Cour a d’ailleurs rappelé dans le premier arrêt qu’elle a rendu à propos des personnes transgenres[37], il nous semble qu’est devenue caduque la validation opérée en 2016 par la Cour européenne, sur le terrain de l’article 8, de l’exigence d’un psychodiagnostic et plus généralement de preuves médicales. Dès lors, depuis le 1er janvier 2022, il nous paraît peser sur les États membres, en application de l’article 8 de la Convention européenne, une obligation positive de démédicaliser complètement la procédure de changement de la mention de sexe à l’état civil. Ce n’est pas la seule obligation de réforme du droit français qu’on peut tirer du droit européen.
2° La déformalisation
La question de la déformalisation de la procédure se pose assez différemment pour le changement de prénom ou le changement de sexe à l’état civil. Commençons par examiner le cas le mieux connu du changement de sexe (a), avant de nous intéresser à celui du changement de prénom (b).
a. La déformalisation de la procédure de changement de sexe
Après avoir présenté les difficultés que soulève le caractère judiciaire de la procédure (i), on présentera le remède à ces difficultés (ii).
i. Les difficultés posées par le caractère judiciaire de la procédure
La première difficulté induite par caractère judiciaire de la procédure tient au délai de traitement relativement long de traitement de la demande par les juridictions, en particulier pour celles dont le rôle est encombré. Les associations rapportent ainsi des cas où la procédure a pu durer entre 8 mois et 1 an. Une telle durée constitue un frein à l’autodétermination dont, en application du droit européen[38], chaque individu est censé bénéficier dans l’expression de son identité personnelle. Elle apparaît en outre problématique au regard de la différence de traitement qui en découle en fonction du tribunal compétent ; un problème de discrimination paraît se poser.
Une deuxième difficulté provient du coût que la procédure entraîne pour toutes les parties, tant la personne en demande que l’État. Pour la personne en demande, d’abord, même si le ministère d’avocat n’est pas obligatoire (art. 1055-7 CPC), celui-ci est de facto nécessaire pour qui souhaite mettre les chances de succès de son côté, surtout lorsque, à la première audience, la juridiction, parfois à la demande du Ministère public, renvoie l’affaire à une date ultérieure en considérant le dossier incomplet. Pour l’État, ensuite, les sommes nécessaires dans le traitement des demandes — aujourd’hui plus de 1700 par année — paraissent quelque peu gaspillées au regard du très faible taux (entre 0,91 et 1,65%[39]) de procédures pour lesquelles l’intervention judiciaire était nécessaire. Ajoutons que, le fait les juges fassent droit aux demandes dans la quasi-totalité, rend quelque peu disproportionné l’exigence d’un contrôle judiciaire a priori. Ceci conduit donc à penser qu’un contrôle a posteriori serait plus proportionné pour lutter contre la crainte d’une fraude au changement et éviterait à 99% des personnes en demande une inutile procédure.
La troisième difficulté concerne plus particulièrement les personnes ayant un cercle social limité ou étant dans l’impossibilité matérielle de pouvoir révéler à leur entourage leur genre. En effet, la procédure de changement de la mention du sexe maintient la nécessité pour la personne requérante d’apporter devant le juge de nombreux éléments de preuve[40] pour établir ce que la doctrine appelle une « possession d’état » de son sexe. En particulier, le deuxième « fait » énoncé par l’article 61-5 du Code civil — être une personne « connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel » — a une forte dimension sociale et relationnelle qui présuppose que la personne dispose d’un entourage en mesure de la soutenir. En outre, pour apporter ces preuves, il faut être dans une situation où l’on pourra s’affirmer selon le genre revendiqué et être en mesure de demander de telles attestations. Or, un certain nombre de groupes de personnes marginalisées peuvent être dans l’impossibilité de rapporter cette preuve. C’est le cas par exemple des personnes isolées, des personnes migrantes ou détenues, ou encore des jeunes adultes dépendant de leurs parents et qui peuvent ne pas avoir autour d’elles de personnes susceptibles de témoigner pour elles[41], voire qui seraient empêché d’exprimer leur identité de genre ou qui, à le faire, mettrait leur sécurité en péril. On pense ici notamment aux personnes détenues, privées parfois de la possibilité de « cantiner » en achetant des biens leur permettant d’affirmer leur genre revendiqué ou interdites de porter de tels vêtement en public dans leur lieu de détention[42].
Enfin, quatrième difficulté, le dispositif mis en place par la réforme alimente les stéréotypes de genre et ce en contradiction avec l’obligation positive de lutter contre ceux-ci que la Cour européenne impose aux États membres[43]. En effet le « fait de se présenter publiquement comme appartenant au sexe revendiqué »[44] implique, pour la personne demandant à changer sa mention de sexe, de se livrer à une performance, une démonstration de genre en accord avec ce qui est traditionnellement attendu des comportements masculin ou féminin. Or, plusieurs personnes ne peuvent pas (du fait d’un mauvais « passing ») ou ne veulent pas céder à ces stéréotypes (par conviction philosophique) et se trouvent dès lors en difficulté pour bénéficier de la procédure de changement de la mention du sexe[45].
ii. Le remède à ces difficultés : la déjudiciarisation a priori grâce à l’autodéclaration
Pour remédier à ces difficultés la procédure peut-être déformalisée en adoptant un modèle d’autodéclaration directement auprès de l’officiær d’état civil. La déjudiciarisation de la modification de la mention de sexe est une avancée revendiquée par les associations de soutien aux personnes trans. L’autodéclaration est une procédure déjà pratiquée dans plusieurs pays comme l’Argentine[46], Malte[47], la Belgique[48] ou les Pays-Bas précités. Cela consiste en une simple déclaration faite par écrit devant un officier d’état civil par laquelle la personne concernée certifie que la mention de son sexe sur les registres de naissance ne correspond pas à son identité de genre.
Outre la cohérence que ce modèle apporterait au regard de la procédure française de changement de nom et de prénom, également déjudiciarisée, et outre la résolution des difficultés précitées, l’adoption de cette autodéclaration œuvrerait à la faire disparition du préjugé qui sous-tend cette procédure judiciarisée fortement contrôlée : à savoir que les personnes demandant le changement seraient des fraudeuses.
Soulignons bien que le juge ne serait pas totalement écarté, mais qu’il n’interviendrait désormais plus a priori mais seulement a posteriori, comme c’était le cas dans l’ancien droit, avant qu’on ne mette en place un système d’état civil centralisé permettant d’identifier et de contrôler le genre des individus[49].
Une telle déformalisation de la procédure devrait néanmoins nécessairement intervenir par voie législative, ce qui nécessiterait de trouver une majorité parlementaire pour la faire adopter. En effet, le caractère judiciaire de la procédure est prévu dans le code civil lui-même. Indiquons néanmoins, dès à présent, que si l’on utilise non plus l’état civil mais les titres d’identité tels que le passeport ou la carte d’identité pour affirmer son genre, alors la voie réglementaire reste ouverte, en parallèle de l’acte de naissance relevant de l’état civil.
Quoi qu’il en soit de la voie législative ou réglementaire retenue pour réaliser cette évolution du cadre juridique, soulignons qu’à nos yeux une telle évolution est commandée par le droit européen. Certes, la Cour européenne n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la conformité à l’article 8 d’une procédure de reconnaissance du genre qui serait subordonnée à une intervention judiciaire. Certes, encore, elle a pu juger par le passé que les États jouissaient d’une ample marge d’appréciation dans la mise en œuvre du changement de la mention de sexe à l’état civil, encore que dans les affaires Y.Y. c. Turquie et AP, Garçon et Nicot c. France précités elle ait semblé réduire globalement cette marge. Pour autant, si l’on examine le système français tel que nous l’avons décrit, il apparaît en l’état que les difficultés que celui-ci présente aboutiront probablement à un constat d’inconventionnalité. En effet, si l’on récapitule ce qui a été dit plus haut, ce système n’est guère rapide, est difficilement accessible à certains groupes, et justifié par une présomption de fraude que les chiffres récents révèlent infondés. Ceci fait beaucoup et risque de conduire au constat qu’il porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des personnes, droit protégé par l’article 8. En outre, une violation sur le terrain de l’article 14, prohibant les discriminations, n’est pas à exclure, tant en raison des difficultés rencontrées par les personnes habitant dans le ressort d’une juridiction au rôle encombré et les groupes marginalisés, que parce qu’il entretient des stéréotypes de genre que la Cour européenne demande aux États de combattre sur ce même fondement.
La déformalisation du changement de la mention du sexe s’impose ainsi. Il en va de même pour les prénoms.
b. La déformalisation de la procédure de changement de prénom
La procédure actuelle de changement de prénom présente certaines difficultés.
D’abord, la circulaire du 17 février 2017 précitée exclut la demande de changement de prénom de l’aide juridictionnelle[50], ce qui réduit la possibilité des personnes transgenres de se faire assister dans leur demande et de voir celle-ci aboutir.
Ensuite, cette circulaire prévoit que la demande de changement de prénom doit être remise en main propre à la mairie, devant an officiær d’état civil, excluant ainsi toute possibilité de dépôt à distance[51]. Si la loi offre certes une option entre l’officiær d’état civil du lieu de naissance ou de résidence, il n’en demeure pas moins que certaines personnes, en raison de la maladie ou de la détention par exemple, ne sont pas en mesure de se déplacer, ce qui restreint là encore la possibilité de changement.
Enfin, la même circulaire requiert de la personne formulant la demande qu’elle accompagne sa demande d’un certain nombre de documents, dont l’ensemble des « actes de l’état civil qui seront concernés par un tel changement » et donc notamment l’acte de naissance de son ou ses enfants et celui de la personne avec laquelle elle s’est mariée ou a conclu un pacte civil de solidarité. Ces exigences, non prévues formellement par la loi, peuvent rendre impossible les demandes de changement de prénom formulées par des personnes en rupture avec leur famille, surtout si cette famille n’a pas la nationalité française et dispose d’acte de naissance conservés à l’étranger qu’il sera dès lors difficile de récupérer. Ces exigences apparaissent d’autant plus excessives que si le changement de prénom est obtenu concomitamment au changement de la mention du sexe, ces pièces ne sont pas nécessaires. En effet, l’article 1055-9 du code de procédure civile prévoit que la modification de ces autres actes d’état civil peut être réalisée postérieurement au changement. Autrement dit, alors que pour le changement de prénom l’absence de production d’actes d’état civil de membres de sa famille fait obstacle au changement, tel n’est pas le cas pour le changement de sexe accompagné d’un changement de prénom. La situation est pour le moins aberrante puisqu’elle aboutit à ce qu’une procédure produisant plus d’effets (changement de sexe et de prénom) soit subordonnée à des conditions moins stricte qu’une procédure proche produisant moins d’effets (changement de prénom). Cela est surtout problématique pour les personnes isolées qui, sans contact avec leur famille et sans possibilité de réunir les attestations nécessaires à un changement direct de sexe, peuvent avoir besoin plus que les autres de passer d’abord par la procédure de changement de prénom afin de préparer leur futur dossier de changement de la mention du sexe. À nouveau, pour ces personnes, cette condition imposée par la circulaire leur limite l’accès à la procédure de changement de prénom et donc notamment du genre de leur prénom.
Pour résoudre ces difficultés, il suffirait de modifier la circulaire du 17 février 2017 et prévoir la possibilité d’un accès à l’aide juridictionnelle, la possibilité d’être représentée par une personne de son choix pour faire la demande et enfin, la possibilité d’obtenir a posteriori la modification des actes d’état civil des membres de sa famille pour lesquelles le changement de prénom aura une incidence.
Ajoutons qu’à nos yeux ces évolutions nous semblent là encore obligatoires afin d’éviter toute discrimination des personnes ou toute méconnaissance de leur droit à la reconnaissance à l’identité de genre dont elles resteront sinon vraisemblablement privées.
Telles sont les différentes réformes procédurales qu’on peut proposer au système d’identification du genre des personnes. Reste à examiner à présent les réformes de fond.
B. Les réformes de fond
Sur le plan substantiel, des réformes sont à envisager tant sur la mention de sexe telle qu’elle est aujourd’hui pensée en droit français (1) que sur l’accès des personnes vulnérables à leurs droits relativement à cette mention (2).
1° Repenser la mention de sexe
Les contraintes juridiques européennes[52] pesant sur le système d’enregistrement du genre commandent un certain nombre de réformes. Commençons par préciser ces contraintes (a), avant de présenter les réformes qu’elles commandent sur le principe même de la mention et les mentions disponibles (b).
a – Les contraintes juridiques européennes pesant sur la mention de sexe
On ne s’attardera guère ici sur les contraintes issues du Conseil de l’Europe, la Cour européenne ayant manifesté ces deux dernières années un souci préoccupant d’appliquer aux personnes transgenres un standard de protection diminué à l’égard des minorités de genre, tant en ce qui concerne le principe même de l’enregistrement — même si elle ne s’est pas encore formellement prononcée dessus —[53] que l’ouverture de ces mentions au-delà de la binarité femme-homme[54]. Les contraintes issues du droit de l’Union européenne sont en revanche plus fortes et en mesure de remettre en question le système français.
Ces contraintes proviennent à la fois du droit primaire et du droit dérivé. Pour le droit primaire, ce sont d’abord les articles 18 et suivant du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui ont un rôle à jouer. Ces dispositions interdisent toute discrimination en raison de la nationalité et instituent une citoyenneté de l’Union qui s’accompagne notamment d’une liberté de circulation et de séjour sur le territoire des Etats membres[55]. Sur ce fondement, la Cour de justice de l’Union européenne (et même déjà avant elle celle des Communautés européennes) a pu reconnaitre le droit au double nom de famille pour des ressortissants belgo-espagnols auxquels les autorités belges l’avaient refusé[56]. Un rapprochement peut ici être fait avec la question de la mention du sexe : si, au nom de la citoyenneté européenne et de la liberté de circulation qui l’accompagne, la jurisprudence de la Cour de justice a pu intervenir sur une composante de l’état des personnes qu’est le nom de famille, son raisonnement peut aussi être appliqué pour le cas d’un ressortissant européen qui se prévaudrait en France d’une mention de sexe inconnue du système français. La question devrait être très prochainement tranchée puisque les juridictions polonaises vont être prochainement saisies d’une demande de reconnaissance d’une personne germano-polonaise disposant d’un état civil avec la mention de sexe « divers » et souhaitant obtenir en Pologne la reconnaissance de cette mention.
L’autre disposition importante du droit primaire est l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui protège le droit aux données personnelles des individus et leur donne le droit de consentir au traitement de ces données et d’en obtenir la rectification. Si, à ce jour, aucune affaire n’a directement confronté à notre connaissance le droit de l’état civil à cette disposition ni au règlement général à la protection des données de 2016 (ci-après RGPD) qui en précise le sens, l’affaire portée contre la SNCF relativement à l’enregistrement systématique par la SNCF du sexe de ses clients montre que le problème ne va pas tarder à réaliser cette confrontation[57]. Or, si les droits consacrés par la Charte ne sont pas extrêmement précis, tel n’est pas le cas lorsqu’ils sont lus en combinaison du droit dérivé et en particulier du RGPD. En effet, le RGPD énonce des principes de minimisation et d’exactitude des données à caractère personnel[58] en disant que celles-ci doivent être « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire » au regard des finalités poursuivies et « exactes et […] tenues à jour », ce qui impose dès lors l’obligation, pour l’entité traitant les données, de mettre en place des procédures permettant de rectifier les données inexactes. La mention du sexe s’analysant comme une donnée à caractère personnel, son inscription doit être confrontée aux principes de minimisation et d’exactitude précités et pouvoir être rectifiée. Or, cette confrontation aboutit à remettre en cause le principe même d’une mention obligatoire, tout comme le fait que le genre puisse être exprimé contradictoirement par la mention du sexe et du prénom ou encore que ce genre officiellement reconnu puisse être en contradiction avec l’identité de genre de la personne lorsque cette identité non-binaire n’est pas reconnue ou que les conditions de sa rectification sont trop complexes à atteindre pour la personne.
b – La signification et les caractères binaires et obligatoires de la mention du sexe en sursis
Le droit de l’Union européenne devrait conduire à trois changements : celui du lien entre sexe et genre, la binarité de la mention et son caractère obligatoire. En somme, il s’agit soit alors de changer la signification de la notion de sexe, pour la réduire aux caractéristiques sexuées (i), soit d’en changer les caractères obligatoire et binaire (ii).
i. La réduction de la mention du sexe à l’état civil aux caractéristiques sexuées
Concernant le lien entre sexe et genre, rappelons comme indiqué plus haut que, telle qu’elle résulte de la réforme opérée par la loi « J21 », la mention de sexe à l’état civil est ambivalente. Selon les cas, elle pourra désigner soit les caractéristiques sexuées (lors de l’inscription à la naissance suite à l’examen des organes génitaux, le sexe phénotypique) soit l’identité de genre (dans le cas d’une modification sur le fondement de l’article 61-5 du Code civil, prenant en compte le sentiment profond d’identité vécu par la personne). Dans les deux cas elle désignera aussi l’expression de genre officielle de l’individu, mais parfois en décalage avec son identité de genre, prioritairement protégée par le droit européen, en particulier celui de la non-discrimination. Sous la même appellation de sexe sont donc regroupés deux marqueurs d’identification qui n’obéissent pas à la même logique. Par ailleurs, en raison de la dualité procédurale existant pour la modification du prénom et du sexe, la mention du sexe peut être modifiée et donc refléter un genre donné, qui se trouvera alors en contradiction avec le genre reflété par la mention du sexe. Cette tension a donc ce résultat que le système français de la mention du sexe conduit structurellement à un enregistrement inexact des données pour certains groupes de personne, ce qui le place en contradiction avec l’exigence d’exactitude. Cette inexactitude structurelle se rencontre aussi pour les personnes désireuses de changer leur genre et qui, confrontées au niveau élevé de conditions substantielles et procédurales posées par notre droit, ne sont pas en mesure de changer cette mention. Ces personnes sont donc affublées d’une mention de sexe reflétant l’expression officielle d’un genre qui se trouve en contradiction avec leur identité de genre. Autre inexactitude structurelle donc.
Pour résoudre ces problèmes structurels, il existe un moyen simple : dissocier les mentions renseignant les caractéristiques sexuées de celles renseignant le genre. Cela peut être réalisé sans aucune intervention législative. Pour cela, il suffit de relire la portée de la mention du sexe enregistré à l’état civil à l’aune de l’impératif d’exactitude du RGPD[59] et de considérer que désormais elle renseignera avant tout les caractéristiques sexuées, le genre étant quant à lui renseigné à l’état civil par le prénom lorsque celui-ci est genré, mais surtout en dehors de l’état civil par l’indication du genre sur les titres d’identité que sont les passeports et la carte nationale d’identité. Ces deux derniers documents étant régis par des décrets[60], il conviendra de les modifier pour y remplacer le terme de sexe devant y figurer par celui de genre et de bien spécifier que cette mention de genre n’est pas déterminée par le sexe de l’enfant, mais par autodéclaration — comme indiqué plus haut — devant l’autorité chargée de délivrer ce titre d’identité.
Il est ainsi nécessaire d’opérer une distinction entre la mention de sexe enregistrée à l’état civil et comprise de manière renouvelée comme renvoyant aux seuls caractéristiques sexuées de la personne et son identité de genre, utilisée dans ses rapports sociaux et enregistrée éventuellement sur des titres d’identité. D’autres modifications semblent également commandées par le droit européen, concernant non plus l’objet de la mention de sexe, mais ses caractères.
ii. La modification des caractères obligatoire et binaire de la mention du sexe à l’état civil
Le dispositif français actuel est celui d’une inscription obligatoire de la mention du sexe[61] au sein de deux catégories seulement « H » ou « F »[62]. Ainsi, à la naissance, l’individu est obligatoirement assigné « homme » ou « femme ». Certes, l’actuel article 57 du code civil permet de retarder l’inscription du sexe sur l’acte de naissance de l’enfant présentant une « variation du développement génital »[63]. Toutefois cette inscription interviendra tout de même au bout de trois mois et devra se faire dans l’une des deux catégories. Ce dispositif nous paraît également en sursis en raison de deux difficultés auxquelles il est exposé.
Tout d’abord, ce dispositif soulève des difficultés pour les personnes binationales nées en France, mais ayant dans leur autre pays un marqueur de sexe (ou de genre) sans mention ou avec une mention différente des deux seules utilisées à l’état civil. En effet, alors que ces personnes auront leur genre reconnu dans leur pays d’origine, tel ne sera pas le cas en France.
Compte tenu des normes européennes de liberté de circulation et de citoyenneté européenne précitées, il est probable que ces personnes auraient le droit d’être renseignées à l’état civil français de manière identique à ce qu’il en est dans l’autre pays européen dont elles détiennent la nationalité, ce qui conduirait alors a minima le droit français à reconnaître la possibilité de sortir de cette binarité obligatoire.
La deuxième difficulté du système français résulte du RGPD et des principes de minimisation des données d’un côté et du principe d’exactitude combiné au droit à la rectification des données inexactes de l’autre.
Le principe de minimisation des données, éclairé par la jurisprudence de la Cour européenne sur la mention de la religion sur l’état civil[64], devrait vraisemblablement conduire la Cour de justice à juger qu’imposer aux individus la collecte systématique de leurs caractéristiques sexuées, tout comme son impression sur tous les actes d’état civil et les titres d’identité ne répond pas à ce processus de minimisation. Le nombre de règles dépendant des caractéristiques sexuées ou du genre est si faible qu’on peine à justifier la nécessité de cette information. Ainsi, alors même que l’information sur les titulaires de l’autorité parentale est importante pour des personnes mineures, une telle information ne figure sur aucune pièce d’identité. Imposer systématiquement la mention du sexe (entendu désormais comme renvoyant aux seules caractéristiques sexuées) ou du genre n’est donc guère proportionné. Sans doute, pourrait-on argüer de la nécessité de conserver l’enregistrement du sexe à des fins démographiques, mais ceci pourrait intervenir sans passer par l’état civil et à partir des seuls certificats médicaux d’accouchements mentionnant le sexe de l’enfant et offrant d’ailleurs bien souvent — contrairement à l’état civil — la mention « sexe indéterminé ».
Quant au principe d’exactitude combiné au droit à la rectification des données inexactes, il devrait quant à lui permettre aux personnes intersexuées et non-binaires d’obtenir que soit corrigé l’enregistrement inexact de leurs caractéristiques sexuées et qu’y soit substitué une mention adaptée à la réalité de leur situation.
2° Repenser l’accès des personnes vulnérables ou marginalisées
Dans le cadre d’une mise à jour de l’article 56 de la loi de modernisation de la justice, une attention devrait être prêtée à l’accès des groupes vulnérables ou marginalisées à la reconnaissance de leur genre. Si les évolutions proposées plus haut étaient mises en œuvre elles devraient permettre de résoudre nombre des problèmes rencontrés par les personnes isolées, en particulier les personnes détenues et les personnes dont la morphologie ne correspond pas aux stéréotypes de genre faute d’accès aux soins. Néanmoins ces réformes demeureront sans incidence sur deux groupes de personnes vulnérables ou marginalisées, d’une part celui des personnes mineures, d’autre part celui des personnes nées hors de France, en particulier lorsqu’elles sont en situation d’exil.
Pour les personnes mineures, s’est imposé semble-t-il jusqu’à ce jour dans les institutions françaises[65] une interprétation stricte de l’article 61-5 du code civil, suggérant que seules les personnes mineures émancipées pourraient bénéficier d’un changement de la mention du sexe et pas les autres mineurz*. Pourtant, comme cela a été rappelé en doctrine[66], les travaux préparatoires plaident pour l’application du droit commun de l’autorité parentale aux personnes mineures émancipées. Cette interprétation dominante, sans doute contra legem et jugée à juste titre contraire à l’article 8 par la cour d’appel de Chambéry dans la décision citée plus haut en note, gagnerait à être combattue expressément par une circulaire interprétative précisant bien que, pour les personnes mineures, les titulaires de l’autorité parentale peuvent faire — sans doute conjointement — la demande de changement du prénom ou du sexe renseigné à l’état civil.
Pour les personnes nées à l’étranger et exilées en France, auxquelles on peut rajouter les personnes soumises à des statuts personnels français d’outre-mer relevant du droit civil ou du droit coutumier[67], celles-ci peuvent être régies par un droit national subordonnant la modification de leur acte de naissance à des conditions trop strictes. Pour éviter ces situations délicates, il conviendrait qu’une circulaire interprétative précise le caractère d’ordre public (international) du droit à l’auto-détermination, de manière à ce que ces personnes puissent, en dépit de leur acte de naissance difficilement modifiable, obtenir le droit à être reconnues dans le genre qu’elles affirment, en particulier sur le titre d’identité susceptible d’être délivré par les autorités françaises. Ce faisant, devraient là encore être modifiés des documents autres que l’état civil, documents vers lesquels il faut à présenter porter notre attention, en examinant plus généralement les autres réformes à mener.
II – Les autres réformes à mener
La loi « J21 » ayant été adoptée « au forceps » et « en vitesse », comme nous l’avons indiqué plus haut, de nombreuses questions, découlant des modifications qu’elle a introduites dans le code civil, n’ont pas été abordées par le législateur. On peut ici les répartir en deux catégories, les unes concernent les documents d’identification autre que les documents d’état civil stricto sensu (registre de naissance, copie intégrale et extraits d’acte de naissance) qu’il va s’agir de modifier ou rectifier ; les autres concernent l’application de normes dépendant du sexe, forcément affectées par la dissociation partielle de la notion de sexe, éclatée depuis la réforme entre les caractéristiques sexuées et le genre, du moins pour les personnes ayant obtenu la modification de leur mention de sexe à l’état civil.
A. Les réformes concernant les documents autres que l’état civil
La réforme opérée par la loi J21 s’est limitée au registre d’état civil et, de ce fait, d’autres documents en lien avec l’identité de la personne ont été laissés de côté. C’est le cas :
- Des titres d’identité officiels reproduisant la mention du sexe à l’état civil (passeport et carte nationale d’identité) ;
- Du numéro « de sécurité sociale », plus exactement le numéro d’inscription au répertoire d’identification des personnes physiques (ci-après NIR) ou le numéro d’identifiant d’attente (ci-après NIA) ;
- Les autres documents privés ou publics rappelant le genre de la personne et conditionnant l’accès à certains droits (diplômes, bulletin de salaire, etc.).
Pour ces autres documents, se retrouvent des problèmes identiques à ceux identifiés plus haut à propos des documents d’état civil : procédure de changement peu ouverte, mention obligatoire d’un sexe et sexe souvent limité à deux options. Pour les mêmes raisons que celles développées plus haut, le droit européen du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne implique le droit pour toute personne de modifier ces autres documents, d’en faire disparaître l’indication du sexe ou de contraindre l’émetteur de ces documents à tenir compte de la non-binarité. L’application de ces règles aux documents publics conduit à affirmer que les textes imposant la mention d’un sexe sur ces documents, tous de nature réglementaire, doivent être modifiés de façon à rendre cette mention facultative, à la remplacer par celle de genre et à préciser qu’elle n’est pas limitée aux genres masculin et féminin. C’est en ce sens que devront être modifiés les décrets précités de 1955 pour la pièce d’identité et de 2005 pour le passeport et le décret no 82-103 du 22 janvier 1982 pour le NIR. Pour le NIA, c’est à notre connaissance en application d’un usage non édicté de la CNAV que ce numéro reprendre la structure du NIR et comprend donc une mention du sexe. Il sera donc aisé de modifier cette pratique.
Outre ces problèmes identiques à ceux rencontrés pour les documents d’état civil, ces autres documents connaissent quelques spécificités s’agissant en particulier des documents qui ne remplissent pas à proprement parler une fonction d’identification mais servent davantage aux bénéfices de droit. Pour ces documents, tels les diplômes ou autres documents attestant d’une activité professionnelle, il peut être crucial que n’apparaisse pas l’ancienne identité de la personne. Le droit français, contrairement au droit maltais cité plus haut, ne contient aucune disposition sur la rectification des documents même si, ponctuellement, des textes ont pu être pris. Une telle disposition, qui pourrait d’abord être énoncée par voie de circulaire interprétative, en application des règles sur le RGPD, pourrait également être mentionnée dans le code civil. En particulier, l’article 9 du code civil consacrant le droit des personnes au respect de leur vie privée, pourrait être modifié pour rappeler que l’identité de genre doit être respectée, ce qui implique le droit pour la personne de voir cette identité tue et, le cas échéant, d’obtenir la modification des documents mentionnant une identité incorrecte. Le RGPD serait en revanche impuissant à régler les difficultés sans lien avec la consignation de données personnelles dans un document, en particulier celles concernant l’application aux personnes transgenres de règles sexuées ou genrées. Pour celles-ci, d’autres réformes seraient nécessaires.
B. Les réformes concernant les droits liés au sexe
Une première insuffisance du droit français quant à l’application des règles dépendant du sexe provient de l’absence de dispositions claires énonçant que le changement de la mention du sexe réalisé à l’état civil ou rappelé sur un titre d’identité est opposable aux tiers. Une telle absence est préjudiciable aux personnes transgenres, toujours exposées pratiquement à la négation de leur identité, en ce qu’elles les privent d’un moyen simple de défendre leur identité. À cet égard encore, le droit français diffère du droit maltais précité où une disposition impose bien aux tiærs de respecter la mention modifiée du sexe.
Une deuxième insuffisante provient de la confusion que cette notion de sexe opère entre les caractéristiques sexuées des individus et leur genre. S’il n’est pas possible ici de faire un état des lieux de l’ensemble des difficultés rencontrées par les personnes transgenres au stade de l’application des règles assises sur la mention du sexe à l’état civil, on peut néanmoins en donner quatre exemples topiques, qui permettront d’identifier le nœud du problème et de proposer en conséquence des pistes de réforme.
- En droit de la famille, l’établissement de la filiation et sa publicisation créent des difficultés, compte tenu de l’ambiguïté des termes de « père » et « mère » ou « filiation paternelle » et « maternelle »[68], qui reproduisent la confusion des caractéristiques sexuées et du genre qu’opère la mention de sexe à l’état civil.
- En droit du sport[69], les catégories sportives sont officiellement assises sur le genre, mais les règlements de sélection dans les catégories eux font référence aux caractéristiques sexuées des individus, aboutissant ainsi à une discrimination des personnes transgenres.
- En droit des « cabinets d’aisance » (toilettes), les dispositions en vigueur[70] imposent, dans certains endroits limités, principalement les lieux privés de travail, une séparation des femmes et des hommes, ces deux termes étant compris d’une manière mélangeant à nouveau les caractéristiques sexuées et le genre. Ce faisant, ces règles compliquent l’accès aux toilettes des personnes transgenres, puisque le pictogramme à l’entrée suggère que l’accès dépend du genre, alors que les dispositifs recueillant les urines dépendent quant à eux des caractéristiques sexuées.
- Enfin, dans le milieu carcéral, les individus sont distingués selon leur appartenance aux catégories d’ « homme » et de « femme »[71], deux notions qui, mélangeant à nouveau les caractéristiques sexuées et le genre, mettent en difficulté les personnes transgenres.
En présence de telles difficultés le droit français gagnerait à rappeler dans un premier temps dans une circulaire interprétative et dans un second temps dans le code civil, sans doute à l’article 9, que lorsque des personnes transgenres doivent être catégorisées selon leur genre, il n’est pas possible de les traiter ensuite différemment en raison de leurs caractéristiques sexuées et inversement. Ceci permettra alors d’éviter que :
- Les hommes enceints ne soient qualifiés de mère et traités comme s’ils étaient de genre féminin ;
- Les athlètes transgenres soient privés de la possibilité de concourir avec les personnes de leur catégorie ;
- Les personnes transgenres puissent accéder aux toilettes genrées selon leur genre ;
- Les personnes détenues transgenres puissent être affectées dans le quartier correspondant à leur genre.
[1] Pour les changements de prénom, une telle étude quantitative réalisée auprès de l’INSEE via les données du RNIPP serait délicate car elle buterait rapidement sur la difficulté à discriminer, au sein des changements de prénoms, ceux liés à la transidentité.
[2] « Gender Recognition Act » étant un terme anglais non genré, l’utilisation de l’article déterminé « lu », genre neutre de « le/la », apparait pertinente.
[3] https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/issues/sexualorientation/statements/eom-statement-UK-IE-SOGI-2023-05-10.pdf, §44.
[4] D’un certain côté, le droit anglais est plus strict que le droit français en ce qu’il impose une condition de durée de traitement préalable qu’on ne connaît pas vraiment en France, même si les certificats médicaux y demeurent fréquemment utilisés ; d’un autre côté il peut sembler moins strict en ce que la procédure n’y est pas judiciaire contrairement à la France.
[5] Le nouveau changement est en principe prohibé, sauf « circonstances exceptionnelles ».
[6] https://igvm-iefh.belgium.be/sites/default/files/chiffres_personnes_transgenres_registre_national.pdf.
[7] https://nidi.nl/demos/seksuele-en genderdiversiteit/#:~:text=In%20totaal%20woonden%20er%20in,0%2C039%20procent%20van%20het%20totaal.
[8] Aux Pays-Bas, les chiffres sont multipliés par 9 l’année suivant la réforme, en Belgique par 7. En France, l’augmentation tarde à arriver immédiatement après la réforme, semble-t-il le temps que les juges s’adaptent aux nouvelles règles et aussi que les personnes transgenres, dont beaucoup étaient opposées à la réforme (v. Sun Hee Yoon, « Le changement d’état civil des personnes transidentitaires en France. Récit d’une réforme », in Courduriès, J., Dourlens, C. et Hérault, L., 2021, État civil et transidentité. Anatomie d’une relation singulière, Presses Universitaires de Provence, collection « Penser le genre », 2021, p. 107-130), se les approprient.
[9] Outre les décisions de la CEDH discutées plus loin, citons les résolutions suivantes de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : La discrimination à l’égard des personnes transgenres en Europe, Résolution 2048 (2015), 22 avr. 2015 ; Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes en Europe, Résolution 2191 (2017), 12 oct. 2017. Adde pour l’Union européenne, Parlement européen, Droit des personnes intersexuées, Résolution P8_TA(2019)0128, 14 févr. 2019.
[10] in L. Hérault (dir.), État civil de demain et transidentité, Rapport à la Mission de recherche Droit et Justice, mai 2018.
[11] V. le site service-public.fr qui, à rebours de l’art. 57 c. civ., impose la présence d’un certificat médical. Adde la réponse ministérielle du Garde des sceaux à une question posée en 1924 par le sénateur Catalogne : « si le déclarant, sous sa responsabilité […] exige que l’acte de naissance soit dressé immédiatement, sans protection production de pièces justificatives, l’officier de l’état civil est tenu d’obtempérer à cette réquisition » : JO Sénat, Annexe à la séance du 3 juin 1924, p. 885-886 cité par M.-X. Catto, « La mention du sexe à l’état civil », in S. Hennette Vauchez, M. Pichard et D. Roman (dir.), La loi et le genre, CNRS éditions, p. 31
[12] On peut se référer par exemple ici à la rapide et nette évolution de la perception de l’homosexualité dans la société française, en particulier à propos de l’acceptation du mariage entre personnes de même sexe. V. not. IFOP, Observatoire des LGBTPHOBIES. Le regard des Français sur l’homosexualité et la place des LGBT dans la société, Rapport d’étude pour la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais, 24 juin 2019, spé. le graphique p. 7.
[13] G. Tumanishvili, « Le concept du système universel d’enregistrement du sexe/genre », Médecine & Droit, no 145, juill. 2017, p. 98-103. Adde la proposition à venir de R. Pellet et esquissée in fine dans « Familles, égalité et différence des sexes », AJ Famille Dalloz, juin 2023, p. 331-335.
[14] On pense notamment aux nombreux écrits laissant croire que le Parlement aurait « oublié » la question des hommes enceints, alors que celle-ci a bien plutôt était laissée « sous le tapis », comme on l’a montré dans L. Hérault, préc.
[15] V. L. Bret, L’avènement du concept d’identité de genre : une illustration du phénomène de dynamisme des normes, thèse UGA sous la dir. R. Tinière et M. Farge, 2022.
[16] Postérieurement à la transposition en droit français de la directive de 2001 sur les discriminations, le terme d’identité de genre a ainsi été consacré tant en droit de l’Union européenne (directive 2011/95/UE du 13 déc. 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection) qu’en droit du Conseil de l’Europe (Convention du Conseil de l’Europe du 11 mai 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique).
[17] V. Gender Identity, Gender Expression and Sex Characteristics Act, 14 avr. 2015.
[18] Autant en common law, qui est la famille de droit à laquelle appartient Maltes, il n’y a pas de difficulté à avoir des dispositions peu en cohérence avec d’autres (tel ici avoir une loi parlant de « sex » pour l’état civil et une autre de « gender »), autant en droit français l’idéal de rationalité de la loi tient à distance ce type d’usage terminologique différencié d’une loi à l’autre.
[19] En particulier au travers de la « formation au mariage » que préparent les couples catholiques afin de comprendre les rôles attendus de chaque membre du couple dans un modèle qui demeure celui de la « complémentarité des sexes » et non celui de leur égalité.
[20] L. Héraut (dir.), op. cit.
[21] L. Cadiet, « Case management judiciaire et déformalisation de la procédure », Revue française d’administration publique, no 125, mai 2008, p. 133-150.
[22] Cass. civ. 1re, 7 juin 2012, nos 11-22.490 et 10-26.947.
[23] Cass. civ. 1re, 13 févr. 2013, nos 11-14.515 et 12-11.949.
[24] CEDH, 5 e sect., 6 avr. 2017, n os 79885/12, 52471/13 et 52596/13, A. P., Garçon et Nicot c/ France.
[25] V. sur ce point B. Moron-Puech, « L’arrêt A. P., Nicot et Garçon c. France ou la protection insuffisante par le juge européen des droits fondamentaux des personnes transsexuées », La Revue des Droits de l’Homme, ADL, mai 2017, § 49.
[26] CEDH, 5 e sect., 6 avr. 201, préc., paragraphe 120.
[27] Ibid., paragraphe 140 et s.
[28] Cass., 1re civ., 4 mai 2017 no 16-17.189 refusant une demande de rectification d’une personne intersexe ayant documenté médicalement son intersexuation pour des simples motifs tirés de son apparence (la barbe et un mariage avec une femme), motivation au demeurant plus tard condamnée par la Cour européenne (CEDH, Y c. France, 31 janv. 2023, no 76888/17 Adde. les décisions de juge du fond rapportées dans L. Hérault (dir.), préc. ; M.-X. Catto, « Changer de sexe à l’état civil depuis la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Un bilan d’application », Cahiers Droit, Sciences & Technologies, 9, 2019 ; B. Moron-Puech, « Regards comparatistes sur la mention du sexe à l’état civil pour les personnes transgenres et intersexuées », État civil et transidentité. Anatomie d’une relation singulière, Presses Universitaires de Provence, collection « Penser le genre », 2021, spé. p. 237-238. Nous avons enfin personnellement pu lire une décision de cour d’appel qui, en 2023, accorde encore une attention primordiale au contenu d’attestations psychiatriques pour décider d’accepter ou non le changement.
[29] C’est ainsi qu’on pourrait interpréter l’augmentation exponentielle du nombre de demandes entre 2017 et 2023.
[30] Circulaire du 10 mai 2017 de présentation des dispositions de l’article 56 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle concernant les procédures judiciaires de changement de prénom et de modification de la mention du sexe à l’état civil, BOMJ, n° 2017-05, 31 mai 2017.
[31] Ibid., p.6.
[32] Circulaire du 17 février 2017 de présentation de l’article 56, I de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, BOMJ, n° 2017-03, 31 mars 2017, Annexe n°2, p. 20.
[33] Ce n’est en effet qu’à partir de la loi « J21 », avec le remplacement d’identité sexuelle par identité de genre, que le terme de « transsexualité » nous semble pouvoir être dit abandonné en droit français. Auparavant, on demeure sous l’empire de la jurisprudence de la Cour de cassation de 1992 (Cass., AP, 1re civ., 11 déc. 1992, no 91-11.900).
[34] GIGESC Act 2015, art. 3, (4) : « The person shall not be required to provide proof of a surgical procedure for total or partial genital reassignment, hormonal therapies or any other psychiatric, psychological or medical treatment to make use of the right to gender identity ».
[35] CEDH, 5 e sect., 6 avr. 201, préc., paragraphe 139.
[36] Classification internationale des maladies – 11e révision, OMS, 25 mai 2019 : https://icd.who.int/browse11/l-m/fr#http%3A%2F%2Fid.who.int%2Ficd%2Fentity%2F411470068 [en ligne].
[37] CEDH, Rees c. Royaume-Uni, 17 oct. 1986, no 9532/81.
[38] V. Supra note 9.
[39] Selon que l’on prenne en compte les seuls rejets (0,915%) ou qu’on y intègre les désistements (0,735%), dont on pourrait considérer que tout ou partie est lié à des demandes de pièces complémentaires ayant découragé la personne.
[40] C. civ., art. 61-5.
[41] Ainsi, un dossier sans attestation familiale, risque — dans les retours que nous avons eus du terrain — d’être regardé avec suspicion par la juridiction et de conduire à un report du traitement de la demande, le temps que de nouvelles attestations soient apportées.
[42] V. TA Lyon, 27 sept. 2022, TA Lyon 27 sept. 2022 : « Le droit à affirmer une définition sexuelle de la personne, entre autre par la tenue vestimentaire, doit être regardé comme une liberté fondamentale pour l’application des principes précités. Il ressort des pièces du dossier que XXX, alors identifiée comme un homme à l’état civil, disposait de la possibilité de se vêtir librement dans sa cellule. Dans ces conditions, l’atteinte portée au droit privé n’apparaît pas disproportionnée aux objectifs de sécurité avancés en défense s’agissant de l’absence d’autorisation de se vêtir de manière féminine au sein de l’établissement pénitentiaire, où des troubles étaient susceptibles d’apparaître à raison de la réaction d’autres détenus. Il n’en va pas toutefois de même s’agissant de l’interdiction ainsi portée à l’occasion des extractions vers des environnements non-carcéraux, pour lesquels le garde des sceaux n’apporte aucune justification quant à la restriction de liberté ainsi imposée ».
[43] CEDH [GC], 22 mars 2012, Konstantin Markin c. Russie, n° 30078/06, §142 ; CEDH, 25 oct. 2017, Carvalho Pinto de Sousa Morais c. Portugal, n° 17484/15, Carvalho Pinto de Sousa Morais c. Portugal, §54.
[44] C. civ., art. 61-5, 1°.
[45] M. Loiry, Le changement de sexe pour les personnes transgenres en droit français, mémoire de Master 2 sous la dir. A. Imbert, UGA, 2019.
[46] Loi 26.743 sur l’identité de genre du 9 mai 2012.
[47] Gender Identity, Gender Expression and Sex Characteristics Act, 2015.
[48] Loi du 25 juin 2017 réformant des régimes relatifs aux personnes transgenres en ce qui concerne la mention d’une modification de l’enregistrement du sexe dans les actes de l’état civil et ses effets.
[49] V. C. Maillet et B. Moron-Puech, « Regards comparés sur le système d’identification du genre au Moyen-Âge et dans l’après 1945 », Clio@Themis, 2023, à paraître.
[50] Circulaire du 17 février 2017 de présentation de l’article 56, I de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, BOMJ, n° 2017-03, 31 mars 2017, p. 11.
[51] Idem.
[52] On laisse de côté les contraintes constitutionnelles, compte tenu du peu d’entrain manifesté ces dernières années par le Conseil constitutionnel à se saisir des questions des droits des personnes transgenres et intersexuées (v. not. le refus du Conseil constitutionnel d’examiner les arguments d’inconstitutionnalité présentés sur ces questions là par l’association GISS | Alter Corpus dans la loi « J21 » (v. B. Moron-Puech, « L’homme enceint et le Conseil constitutionnel : une rencontre manquée », RDLF, 2016, chron. 28), puis la loi bioéthique de 2021, ou encore son rejet de l’assistance médicale à la procréation aux personnes transgenres (CC, 8 juill. 2022, DC 2022-1003 et notre note revenant sur ce silence : « La capitis deminutio des personnes transgenres validée par le Conseil constitutionnel, une vision dépassée de l’office du juge au XXIe siècle », Recueil Dalloz, 2022, p. 2229-2231).
[53] CEDH, 17 févr. 2022, Y. c. Pologne, no 74131/14 et pour la démonstration du peu d’entrain v. P. Cannoot, « Y. v. Poland: ECtHR case law on gender recognition remains embedded in cisnormativity », Strasbourg observers, 7 avr. 2022.
[54] CEDH, Y c. France, 31 janv. 2023, no 76888/17 et pour la démonstration de ce peu d’entrain v. J. Mattiussi et B. Moron-Puech, « « Sexe neutre » à la Cour européenne : l’art du syllogisme inversé », JCP G, 20 févr. 2023, act. 232.
[55] TFUE, art. 20, 2., a).
[56] CJCE, 2 oct. 2003, Garcia Avello, C-148/02.
[57] CE, 21 juin 2023, Mousse c. SNCF, no 452850, interrogeant la CJUE sur le point de savoir s’il est conforme au RGPD de recueillir des informations sur la civilité, en enfermant ce choix dans la binarité « Monsieur » ou « Madame ».
[58] RGPD, art. 5, 1., c) et d).
[59] Car comment une mention mélangeant deux choses distinctes pourrait-elle être exacte ?
[60] Pour la carte nationale d’identité v. le décret no 55-1397 du 22 oct. 1955 ; pour le passeport v. le décret no 2005-1726 du 30 déc. 2005.
[61] C. civ., art. 57, al. 1er.
[62] Le caractère impératif du modèle bisexué a été rappelé par la Cour de cassation en 2017 : Cass. civ. 1ère, 4 mai 2017, n° 16-17.189.
[63] C. civ., art. 57, al. 2.
[64] CEDH, Sinan Işık c/ Turquie, 2 févr. 2010, no 21924/05, §44 et 49.
[65] Défenseur des droits, Avis sur les droits des personnes intersexuées, 17-04, févr. 2017 ; CA Chambéry, 25 janv. 2022, no RG 21/00137.
[66] B. Moron-Puech, « Les mineurs peuvent-ils changer la mention de leur sexe à l’état civil ? », Intersexes et autres thèmes (juridiques), 4 avr. 2017 ; arg. L. Hérault (dir.), préc., p. 254 ; L. Carayon et L. Marguet, « Changement de la mention du sexe à l’état civil pour un mineur trans », Dalloz actualité, 28 mars 2022.
[67] En Nouvelle-Calédonie/Kanaky existe au moins deux décisions de justice concernant le changement de genre, une pour la mention de sexe (v. C. Bidaud-Garon, « Changement de sexe et de prénoms d’une personne de statut civil coutumier », Cahiers du Larje, n° 3, 2016, p. 9-13) et une autre pour le prénom (Trib. 1re instance Nouméa, 2 juill. 2020, no RG 20/00045). Ces deux décisions concernent des personnes de droit coutumier kanake ; dans le premier cas, en référence à la coutume, le changement de la mention de sexe est accepté dès lors que la tribu l’accepte aussi ; dans la seconde le changement de prénom est accepté sur la seule constatation de sa légitimité et sans référence à une coutume précise. Il n’y a pas à notre connaissance de décision en droit civil calédonien ; rappelons néanmoins que les procédures de changement de prénom et de nom y demeurent soumises au droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi « J21 », donc des procédures médicalisées et judiciaires, même si des revirements de jurisprudence ne sont pas à exclure.
[68] V. art. 311-25 et s. c. civ.
[69] V. par exp pour l’athlétisme : Eligibility Regulations for the Female Classification (2019) et Technical Rules (2019-2020).
[70] Sur lesquelles v. H. Bony, B. Moron-Puech, L. Mosconi, « La (dé)ségrégation des toilettes », Techniques & Culture, vol. 77, 2022, p. 74-93.
[71] R. 211-1 c. pén.