Autorités administratives indépendantes et libertés. Actualités de l’année 2024
Cette chronique, co-dirigée par Émilie Debaets, Valérie Palma-Amalric et Julia Schmitz, a pour objectif de couvrir, de manière annuelle, l’actualité des autorités administratives et publiques indépendantes, englobées sous l’acronyme (AAI), telles qu’elles sont listées dans la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017, en y incluant également les autorités qui, tout en étant exclues de cette liste, se définissent elles-mêmes comme indépendantes, à l’instar de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et du Comité consultatif national d’éthique. Cette actualité vise à questionner la capacité des AAI à constituer des lieux de contre-pouvoirs par les analyses et les techniques de contrôle qu’elles mettent en œuvre pour la défense des droits et libertés. Elle interroge également la place institutionnelle des AAI qui constituent désormais aussi des lieux de pouvoir et d’influence.
Par Émilie Debaets, Valérie Palma-Amalric, Julia Schmitz, Capucine Colin, Clothilde Combes, France Daumarie, Dimitri Dragacci et Zakia Mestari
Dans un contexte de crise et d’incertitude, politique, économique et sociale, les AAI[1] apparaissent une fois de plus dans le paysage institutionnel comme des vigies de l’État de droit et des contreforts de la protection des droits fondamentaux.
Le renforcement continu des pouvoirs des AAI. En témoigne le mouvement continu de renforcement de leurs pouvoirs par les législateurs français et européens[2]. Les directives européennes des 7 et 14 mai 2024 relatives aux normes applicables aux organismes pour l’égalité de traitement[3] ont consolidé les pouvoirs du DDD. Le « socle commun d’indépendance, de moyens et de pouvoirs » qu’elles établissent et qui lui est déjà en grande partie reconnu bénéficiera notamment à ses homologues européens (communiqué, 7 mai 2024). La loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN)[4] a quant à elle profondément renforcé les pouvoirs de plusieurs AAI[5]. L’Arcom s’est ainsi vue reconnaître le pouvoir d’ordonner le blocage des sites pornographiques, sans décision préalable du juge judiciaire, lorsque ceux-ci ne contrôlent pas l’âge de leurs utilisateurs ainsi que le pouvoir d’ordonner leur déréférencement des moteurs de recherche. Elle bénéficie aussi dorénavant du pouvoir d’enjoindre à de nouveaux opérateurs de stopper la diffusion sur internet d’une chaîne de « propagande » étrangère frappée par des sanctions européennes. Pour la mise en œuvre du règlement européen sur les services numériques (DSA), elle dispose désormais enfin d’un pouvoir de mise en demeure et de sanction pécuniaire afin d’obtenir le retrait ou la cessation de la diffusion de contenus illicites sur internet. De son côté, la CNIL s’est vue attribuer de nouveaux pouvoirs de contrôle et de sanction nécessaires à l’application, d’une part, de certaines obligations figurant dans le règlement européen DSA en matière de publicité en ligne et, d’autre part, du nouveau régime issu du règlement européen sur la gouvernance des données (DGA) relatif à l’altruisme en matière de données. Ces nouveaux pouvoirs, qui répondent à des objectifs très différents, poursuivent la montée en puissance de la CNIL qui ne cesse d’absorber les problématiques connexes à la protection des données personnelles. Enfin, de nouvelles compétences de contrôle et de sanction ont été confiées à l’Arcep à l’égard des services cloud en anticipation du règlement européen sur les données (DA) et des intermédiaires de données en application du règlement européen DGA, afin de lutter contre certaines pratiques commerciales et d’accroître la confiance dans le partage des données.
Pour exercer les pouvoirs qui leur sont attribués, les AAI ne cessent de développer diverses coopérations visant à échanger sur certaines problématiques mais aussi parfois à proposer et arrêter des positions communes. Ces coopérations forment ainsi un maillage de plus en plus serré au service de la protection des droits fondamentaux.
Au niveau national, les échanges multilatéraux dans le cadre de la régulation économique se sont poursuivis (Arcom, communiqué, 3 juin 2024 ; ADLC, communiqué, 26 nov. 2024) et ont donné lieu à la mise en place d’un groupe de travail commun consacré à l’utilisation de l’intelligence artificielle. De même, plusieurs échanges bilatéraux sont à relever. La CRE et l’ADLC se sont par exemple associées spontanément pour adresser au Gouvernement un ensemble de propositions dans le cadre de la réforme à venir du marché de l’électricité afin de mieux protéger les consommateurs (communiqué conjoint ADLC et CRE, 16 janv. 2024). Certains de ces échanges ont été expressément consacrés par le législateur. L’Arcom et l’Arcep, en collaboration avec l’ADEME, ont ainsi publié un rapport mesurant l’impact environnemental des différents modes de diffusion des services de médias audiovisuels, conformément à la mission confiée par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique (Etude de l’impact environnemental des usages audiovisuels en France, oct. 2024). L’Arcom, la CNIL et la DGCCRF ont signé quant à elles une convention de coopération pour la mise en œuvre du règlement européen DSA (CNIL, communiqué, 27 juin 2024 ; Arcom, communiqué, 27 juin 2024). L’article 1 de la Convention prend le soin de préciser qu’en tant que « coordinateur national pour les services numériques », l’Arcom « veille à ce que les autorités compétentes coopèrent étroitement et se prêtent mutuellement assistance » « sans que cela suppose une supériorité hiérarchique sur [celles-ci] ».
Ces échanges se font également avec leurs homologues étrangers au sein de réseaux européens et internationaux. En 2024, les autorités de protection des données du G7 ont ainsi approuvé deux résolutions sur l’IA : une déclaration sur le rôle des autorités de protection des données dans la promotion d’une intelligence artificielle digne de confiance et une déclaration sur l’intelligence artificielle et les enfants. De même le DDD a adopté avec ses homologues étrangers la déclaration de Paris relative à la prise en compte des situations de handicap par les forces de l’ordre dans le cadre du réseau IPCAN (Independant Police Complaints’ Authority Network) ainsi que la déclaration de Valence relative à la protection des lanceurs d’alerte dans le cadre du réseau NEIWA (Network of European Integrity and Whistleblowing Authorities).
La contestation doctrinale et jurisprudentielle des pouvoirs des AAI. Ce renforcement continu des pouvoirs des AAI n’est cependant pas sans poser des problèmes de compétence et interroge la doctrine. Pour certains auteurs, le juge perdrait son rôle de gardien naturel des libertés au profit de ces acteurs, eux aussi indépendants, mais dont « la légitimité et les modalités d’action questionnent »[6]. Il en est ainsi notamment de la mise à l’écart, au profit de l’Arcom, du juge judiciaire pour interpréter les abus de la liberté d’expression en matière de blocage des sites internet, ou de la substitution progressive par la CNIL du juge dans son rôle de jurisdictio en matière de protection des données[7]. De même, la reconnaissance du caractère normatif des actes de droits souple pris par les AAI consacrerait également pour certains, au-delà d’un nouveau recours pour les justiciables, « une palette de nouveaux pouvoirs qui profite en premier lieu et avant tout à l’administration »[8], renversant ainsi les exigences traditionnelles de l’État de droit.
Cependant en tant que contrôleur ultime de leurs décisions, le Conseil d’État a plusieurs fois désavoué les AAI. Il a ainsi remis en cause la position retenue par la HATVP sur les think tanks dans ses lignes directrices en refusant de les considérer comme des représentants d’intérêts (CE, sect., 14 oct. 2024, Institut Montaigne, n° 472123)[9]. Il n’a pas non plus hésité à contredire l’appréciation faite par l’Arcom en annulant son refus de mettre en demeure CNEWS et en lui enjoignant de prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois (CE, 13 fév. 2024, Reporters sans frontières, n° 463162).
Dans une autre mesure, les constats et recommandations réalisés par le CGLPL et sur lesquels se fonde l’Observatoire international des prisons dans le cadre de ses actions en référé-liberté visant l’amélioration des conditions de détention, peuvent également être contredits ou tout du moins non pris en considération par le juge (CE, 27 sept. 2024, OIP-SF et autres, n° 496651). Le désaveu de l’AAI par le juge est ici d’autant plus grand que le rapport annuel d’activité 2023 souligne l’importance de la voie contentieuse pour protéger les droits et libertés des personnes détenues.
La remise en cause de l’impartialité de l’expertise des AAI. La contestation doctrinale et juridictionnelle des pouvoirs des AAI s’accompagne également d’une remise en cause de l’impartialité de leur expertise. Régulièrement mise en cause[10] en raison de la sensibilité des domaines dans lesquels elle intervient, l’indépendance de l’expertise de la HAS a été critiquée en raison de son refus de communiquer la composition de son groupe de travail sur les parcours de transition des personnes transgenres. Enjointe par le juge administratif (TA Montreuil, 20 fév. 2024, n° 2308469) à communiquer ces informations, la HAS a néanmoins obtenu le sursis à exécution de cette décision (CE, 30 oct. 2024, n° 492420). Si le juge confirme l’avis de la CADA selon lequel « la transparence sur la composition de ce groupe de travail participe de la confiance dans l’indépendance de ses travaux » (avis 20 juil. 2023, n° 20233615), la HAS estime au contraire que l’anonymat de ses membres les protège contre toute pression extérieure et renforce ainsi leur objectivité. Elle a d’ailleurs été conduite à déposer une plainte contre X suite à la divulgation dans la presse de l’identité des experts et d’un document de travail confidentiel non encore validé par son collège.
Mais la charge la plus lourde réside peut-être dans les observations définitives de la Cour des Comptes concernant la CNCDH publiées en décembre 2023 qui visent plus particulièrement sa contribution dans le cadre de l’examen périodique universel de l’ONU. La Cour des Comptes pointe des irrégularités en raison de la période de vacance institutionnelle durant laquelle le document a été transmis[11]. S’écartant du périmètre budgétaire, elle va même jusqu’à dénoncer la sévérité de cette contribution et recommander le choix des thématiques dont la CNCDH devrait se saisir, tels que le droit à un environnement sain, les droits culturels ou les droits fondamentaux relatifs aux technologies. Dans sa contribution au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, le DDD a pourtant lui aussi souligné le « mouvement général d’érosion des droits et libertés » et constaté « une remise en cause croissante du système européen et international de protection des droits de l’homme et des droits fondamentaux » (contrib., sept. 2024).
Dans un courrier de réponse adressé le 24 janvier 2024, la Commission souligne un « parti pris idéologique » et en profite au passage pour donner une leçon de théorie des droits fondamentaux à la Cour lui signifiant sa « surprenante méconnaissance du rôle dévolu aux Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’Homme ». Loin d’avoir porté sa contribution « à l’encontre la France », la CNCDH rappelle que l’État est tenu par ses engagement internationaux et que son rôle consiste justement à l’éclairer pour en assurer le respect. Elle appelle d’ailleurs à ce titre à mettre en place un mécanisme national interministériel d’élaboration des rapports et de suivi des recommandations faites par les organisations internationales et régionales des droits de l’Homme, dont elle serait un observateur permanent (déclaration, 19 déc. 2024).
De manière plus générale, la Cour des comptes livre une critique nourrie du manque de rigueur et de neutralité de la CNCDH eu égard aux modalités d’adoption de ses avis et à l’insuffisance de l’évaluation scientifique des politiques publiques, en l’absence d’« une instance scientifique, indépendante de la commission, chargée d’assurer une revue par les pairs des travaux académiques intégrés dans les rapports ».
Pour renforcer leur expertise en fonction de leur champ de compétence, d’autres AAI ont fait l’objet d’un dédoublement ou d’une fusion institutionnelle. Le Comité National Pilote d’Éthique du Numérique créé en 2019 et rattaché au CCNE est ainsi devenu le Comité Consultatif National d’Ethique du Numérique par le décret n° 2024-463 du 23 mai 2024. Cette nouvelle institution consultative indépendante, chargée de « contribuer à la réflexion sur les enjeux d’éthique soulevés par les avancées des sciences, des technologies, des usages et des innovations dans le domaine du numérique, comme par exemple en Intelligence Artificielle » est placée auprès du Premier ministre. Elle continue cependant d’être rattachée au CCNE pour sa gestion administrative et financière, étant précisé que les deux organismes « peuvent se réunir dans un collège unique, sur l’initiative conjointe de leurs présidents, lorsqu’un sujet d’intérêt commun le justifie ».
Cette question de la qualité et de l’indépendance de l’expertise des AAI s’est plus particulièrement posée avec la fusion de l’ASN, autorité de contrôle des installations nucléaires, et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), organe de recherche et d’expertise sur le nucléaire relevant du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, pour instituer au 1er janvier 2025 l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASRN)[12]. La critique principale concerne le risque de confusion entre l’expertise et la décision jusque-là séparées. Le manque d’impartialité de la nouvelle Autorité a également été dénoncé avec la nomination de Pierre-Marie Abadie, alors directeur général de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, comme président de la nouvelle autorité, laquelle doit se prononcer sur l’autorisation de centre de stockage dont il a été le promoteur.
Dans cette reconfiguration institutionnelle et fonctionnelle, les AAI ont veillé à la protection des droits fondamentaux à l’occasion de plusieurs événements marquants (I). Au-delà de ces contextes particuliers, elles ont maintenu leurs exigences en matière de contrôle des politiques publiques (II) tout en continuant de proposer de nouveaux droits et de nouvelles protections des droits reconnus (III).
Émilie Debaets, Julia Schmitz et Valérie Palma-Amalric, Maîtres de conférences en droit public, École de droit, Université Toulouse Capitole.
I. L’intervention des AAI sur les évènements politiques et sociaux marquants
Plusieurs événements de différente nature, d’ampleur nationale et internationale, ont ponctué l’année 2024. Dans chacun de ces contextes, les AAI se sont révélées être des institutions particulièrement adaptées pour s’assurer du respect des droits fondamentaux. Elles sont ainsi activement intervenues à l’occasion des élections nationales et européennes (A), du vote de la loi relative à l’immigration (B) et de l’organisation des jeux olympiques et paralympiques (C).
A. Les enjeux soulevés par le contexte électoral
Le contexte électoral de l’année 2024 est marqué par les élections européennes ainsi que les élections législatives anticipées. Il se caractérise par un changement radical des modes de communication des partis politiques et des candidats, comme l’utilisation des réseaux sociaux et la démocratisation des outils d’IA. Ces éléments comportent des risques importants pour la qualité du traitement de l’information, ainsi que pour le fonctionnement démocratique des processus électoraux. Ils exigent une vigilance particulière de la part des AAI qui sont amenées à se saisir de problématiques nouvelles.
L’encadrement des élections et la « moralisation de la vie politique ». La CNCCFP et la HATVP sont des acteurs importants de la « moralisation de la vie publique » dans le déroulement des élections. Dans leurs travaux, elles consacrent une place importante aux obligations des responsables politiques. Elles ont mené de nombreuses actions de prévention et d’accompagnement auprès des concernés au cours de l’année 2024. La HATVP a systématiquement alerté les membres des gouvernements successifs sur leurs obligations déclaratives (communiqués des 12 janv., 26 sept. et 30 déc. 2024). Elle a aussi accompagné les députés nouvellement élus dans le dépôt de leur déclaration d’intérêts par le biais de courriers individuels, de webinaires et de nombreux échanges téléphoniques (Premier bilan des déclarations des députés de la XVIIe législature, 18 sept. 2024 ; Premier bilan des déclarations des représentants français au Parlement européen, 20 sept. 2024). De même, en vue des élections législatives anticipées, la CNCCFP a publié un Guide du candidat et du mandataire précisant le calendrier ainsi que les règles de procédure du financement de la campagne électorale.
Depuis quelques années, la CNCCFP poursuit également une réflexion sur l’amélioration de la législation relative au financement des élections. Dans son rapport annuel 2024, elle identifie des risques accrus – via les réseaux sociaux notamment – de financements occultes ou irréguliers et d’ingérences dans les campagnes électorales. C’est pourquoi elle formule un ensemble de propositions autour de trois axes d’amélioration principaux. Le premier vise à renforcer ses pouvoirs de contrôle et de sanction afin de garantir l’efficacité du cadre réglementaire. Elle envisage la possibilité de se voir reconnaître un droit de communication et de consultation, et de sanctionner, par le versement d’une somme au Trésor public, les irrégularités importantes qui ne justifient pas pour autant un rejet du compte. Le second axe porte sur les moyens de lutte contre les ingérences étrangères et propose d’interdire les prêts de personnes physiques étrangères ou de recourir aux créateurs de contenus pour mener des campagnes d’influence électorale rémunérées. Le troisième invite à simplifier le droit électoral dont les régimes spécifiques peuvent être source de confusion pour les candidats.
Violences à l’égard des élus et dépenses électorales. Afin de lutter contre l’ampleur des violences auxquelles sont confrontés les élus locaux dans l’exercice de leur mandat et pendant les élections, la loi du 21 mars 2024 confie de nouvelles compétences à la CNCCFP en intégrant les dépenses de sécurité dans les dépenses électorales. Les candidats déclarés et faisant l’objet d’une menace avérée peuvent désormais se faire rembourser les frais liés aux services relatifs à la surveillance humaine, aux systèmes électroniques de sécurité, aux gardiennages de biens meubles ou immeubles tenant lieu de permanences électorales ou accueillant des réunions électorales, à la sécurité du candidat se trouvant dans ces immeubles et dans des véhicules de transport public de personnes et à la protection physique du candidat. La CNCCFP est chargée de recevoir les demandes de remboursement, de les approuver, les réformer ou les rejeter après une procédure contradictoire et enfin, le cas échéant d’arrêter le montant du remboursement.
La prospection politique et la protection des données personnelles des électeurs. Le développement des outils numériques dans la communication et la prospection politiques a engendré une utilisation croissante des données personnelles. Malgré la brièveté de la campagne électorale des législatives 2024, et les actions menées en amont auprès des responsables de traitement (envoi d’une série de courriers sensibilisant au respect de la législation sur la protection des données) et des électeurs (mise à disposition d’une fiche pratique d’information, et d’un formulaire de signalement), le bilan de l’observatoire des élections de la CNIL fait état d’une hausse significative de signalement (+ 61,5 %) et de plaintes par rapport aux élections législatives et présidentielle de 2022. Elle remarque l’accentuation de canaux de communication et de prospection peu traditionnels : l’utilisation des réseaux sociaux, et l’envoi de SMS. Ce dernier représente 59 % des signalements, loin devant le courriel (17 %), le courrier (16 %) et les appels téléphoniques (3 %).
Afin de cibler les pratiques contraires à la réglementation sur la protection des données personnelles et les manquements avérés, la CNIL a interrogé 22 partis politiques sur leurs pratiques de prospection et particulièrement sur les garanties apportées aux droits des personnes sollicitées et aux conditions de leur exercice (courrier, 18 juin 2024). Elle souligne que sur les 20 partis ayant répondu, seuls 4 ont désigné un délégué à la protection des données, chargé d’assurer l’exercice de ces droits.
La CNIL a également porté une attention particulière à l’impact de l’IA sur les processus électoraux. Inhérente au fonctionnement des réseaux sociaux, l’IA constitue un outil émergent dans les stratégies de communication politique par les systèmes de recommandation, de ciblage publicitaire ou la modération de contenus. La CNIL conduit, à travers son service de l’intelligence artificielle, un ensemble d’études approfondies afin de documenter l’usage de l’IA, et de mesurer l’efficacité du cadre juridique actuellement en vigueur (V. « Élections : quelles influences de l’IA sur notre vote ? » ; « Le discours bien réel des contenus artificiels » ; « Des annonceurs aux utilisateurs : un cheminement algorithmique » ; « l’autocontrôle, un nouvel apprentissage pour l’IA », juill. 2024).
Le bilan de l’observatoire des élections des législatives 2024 a enfin été l’occasion pour la CNIL de rappeler l’entrée en vigueur, courant 2025, du nouveau règlement européen 2024/900 du 13 mars 2013 relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique. Elle signale que cela va entraîner un changement radical des méthodes de prospection politique. Jusqu’alors fondée sur l’opposition des personnes prospectées, elle reposera désormais sur leur consentement afin d’assurer une meilleure information et un exercice effectif des droits. Dans cette perspective, la CNIL s’engage à publier un plan d’action clarifiant les règles et à accompagner la mise en conformité.
Le respect du pluralisme de l’information et l’indépendance des AAI. Dans le contexte électoral de l’année 2024, l’un des enjeux déterminants des AAI a été d’assurer la défense du pluralisme de l’information. Dans ce cadre, elles ont pu faire l’objet d’un certain nombre de critiques. Alors que, dans une déclaration du 13 juin 2024, le bureau de la CNCDH est sorti de sa réserve pour appeler les électeurs à faire barrage aux candidats de l’extrême droite, et singulièrement du Rassemblement national, lors des législatives, l’Arcom s’est trouvée au cœur des débats publics. À la suite d’un certain nombre de « procès en inaction », ses méthodes d’appréciation ont été mises en cause par le Conseil d’État. Dans sa décision Reporters sans frontières no 463162 du 13 février 2024, la haute juridiction administrative lui a en effet enjoint de réexaminer une demande de mise en demeure de CNEWS tout en renforçant les modalités du contrôle du pluralisme et de l’indépendance de l’information. Elle juge que, pour assurer l’application de la loi, l’Arcom ne doit pas se limiter au décompte des temps de parole des personnalités politiques, mais tenir compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités. Elle ajoute que l’indépendance de l’information ne s’apprécie pas seulement au regard d’extraits d’une émission spécifique, mais aussi à l’échelle de l’ensemble des conditions de fonctionnement de la chaîne et des caractéristiques de sa programmation. De même, le rapport no 2610 du 7 mai 2024 de la Commission d’enquête parlementaire sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre a mis en évidence « l’inadéquation des moyens » dont dispose l’Arcom « par rapport aux missions croissantes qui lui sont confiées » (p. 151) ainsi que la nécessité de renforcer la transparence de son action et de modifier sa composition afin de garantir une régulation indépendante du secteur des médias (p. 147).
Face à cette crise de confiance, l’Arcom a adapté son cadre d’analyse ainsi que sa doctrine. Elle a complété la délibération no 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale avec une recommandation particulière en vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 (recommandation no 2024-02 du 10 juin 2024). Sur ce fondement, elle a sanctionné Europe 1 à propos de son émission de radio « On marche sur la tête », mettant en demeure la société de se conformer aux principes de mesure et d’honnêteté de l’information. Son examen a tenu compte, « indépendamment des règles applicables aux temps de parole », du déroulement de l’ensemble des émissions, des horaires de diffusion, du caractère univoque et de la nature des interventions de l’ensemble des participants – animateurs, chroniqueurs et auditeurs (déc. no 2024-582, 27 juin 2024). L’Arcom a finalement entériné la décision du Conseil d’État quant à ses méthodes de contrôle dans la délibération no 2024-15 du 17 juillet 2024 relative au respect du principe de pluralisme des courants de pensée et d’opinion par les éditeurs de services. Si elle ambitionne de porter une « interprétation renouvelée et élargie du pluralisme » (communiqué, 18 juil. 2024), elle ne sanctionne que les « déséquilibres manifestes et durables » dans l’expression des courants de pensée et d’opinion.
Elle déclare toutefois que le pluralisme des courants d’expression socioculturels a constitué un « impératif prioritaire » dans la procédure de sélection des candidats à une autorisation de diffusion nationale sur la TNT (communiqué, 24 juil. 2024). Le 12 décembre, l’Arcom confirme le non-renouvellement de l’autorisation des chaînes C8 et NRJ12, la première ayant fait l’objet d’un nombre important de mises en garde et de sanctions. De plus, elle annonce un renforcement des garanties en faveur du respect du pluralisme, de l’expression des courants d’expression et d’opinion, de l’honnêteté et de l’indépendance de l’information dans les conventions établies avec les chaînes autorisées.
France Daumarie, Docteure en droit public, École de droit, Université Toulouse Capitole.
B. Les enjeux soulevés par la loi relative à l’immigration
La CNCDH dénonçait il y a peu le « recul inédit des droits fondamentaux des personnes migrantes et plus globalement l’instrumentalisation de la question migratoire », un phénomène qu’elle faisait débuter dès les années 1980 (communiqué, 27 sept. 2024). Une telle alerte résultait de la saisie par le ministre de l’Intérieur de la CNCDH du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration – loi finalement promulguée le 26 janvier 2024. Les AAI soulignent effectivement depuis plusieurs années un net recul des droits des personnes étrangères – un état de fait que mettent bien en exergue les différents enjeux soulevés par cette loi dite « Darmanin ». Aussi, les AAI ont tour à tour questionné l’impact de la nouvelle loi sur certaines prestations dont étaient bénéficiaires les étrangers – régulièrement établis sur le territoire ou non – et dénoncé une dégradation de l’accès au juge, mettant en avant un concept de plus en plus mobilisé ces dernières années, celui de vulnérabilité. Surtout, le débat autour des effets de la loi a été l’occasion pour les AAI d’interroger ses finalités quant aux deux objectifs qu’elle se proposait expressément de réaliser eu égard à son intitulé.
Le recours au concept de vulnérabilité. Lorsqu’elle est votée le 19 décembre 2023, la loi prévoit notamment, en son article 19, la soumission du bénéfice du droit au logement, de l’aide personnelle au logement, de l’allocation personnalisée d’autonomie et des prestations familiales pour l’étranger non ressortissant de l’Union européenne à une condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle depuis au moins trente mois. Si, depuis lors, la CJUE a précisé que les dispositions de la directive 2003/109/CE du Conseil relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée interdisaient à la réglementation d’un Etat membre de subordonner l’accès de ceux-ci à une mesure de sécurité sociale, d’aide sociale ou de protection sociale à la condition à une condition de résidence d’une durée d’au moins dix ans, dont les deux dernières années de manière continue (CJUE, G. ch., C/2024/5588, 29 juil. 2024), le Conseil constitutionnel, quant à lui, avait censuré cette disposition en en questionnant la forme, non en s’attardant sur le fond (déc. n° 2023-863 DC, 25 janv. 2024, §96). En effet, c’est en considération de l’existence d’un cavalier législatif que le Conseil l’avait censurée, revenant néanmoins sur le fond dans des décisions ultérieures (Déc. n° 2024-6 RIP, 11 avr. 2024 ; Déc. n° 2024-1090 QPC et n° 2024-1091/1092/1093 QPC, 28 mai 2024). A cet égard, donc, l’intervention en amont des AAI a justement permis de parer cette aporie initiale. Assurément, avant d’être censurée pour partie par le Conseil, de nombreuses AAI ont eu à se prononcer sur ce type de mesures. Par son discours devant les rapporteurs de la Commission des lois (audition, 17 nov. 2023) ainsi que deux avis rendus (avis 23-02 du 23 févr. 2023 et 23-07 du 24 nov. 2023) et ses observations devant le Conseil constitutionnel, (dec. n° 2024-001, 12 janv. 2024), le DDD alertait précisément de la suppression ou du conditionnement des prestations suivantes : l’exclusion des étrangers bénéficiaires de l’AME de la Réduction Solidarités Transports ; l’exclusion des jeunes majeurs du droit à un accompagnement jeune majeur lorsqu’ils font l’objet d’une OQTF ; la remise en cause du droit inconditionnel à l’hébergement d’urgence pour les étrangers faisant l’objet d’une OQTF ; le remplacement de l’AME par une aide médicale d’urgence. Sur ce point d’ailleurs, le CCNE faisait part en octobre de « sa vive préoccupation » (communiqué, 12 oct. 2023) et, après le vote de la loi, le Président du CCNE insistait encore sur les enjeux de santé individuels et collectifs (communiqué, 16 janv. 2024). Il désirait en outre démontrer la nécessité de préserver la fraternité et la solidarité pour le bien-être de tous. Mettant en tension ces principes et l’objectif de santé publique – ce que faisait également le DDD en invoquant l’intérêt général (audition, p. 17 ; v. aussi CNCDH, avis A-2024-7, 26 sept. 2024, p. 13 et s.), il regrettait l’instrumentalisation de la santé et le recul du droit fondamental à celui-ci pour les personnes cumulant de nombreux facteurs de vulnérabilité (réfugiées, demandeuses d’asile ou dépourvues de titre de séjour). Le DDD, lui, insistait en particulier sur deux points : l’exemple des dispositions réduisant le droit à l’hébergement d’urgence des personnes faisant l’objet d’une mesure d’éloignement et l’atteinte au principe d’égalité dès lors que la loi envisageait un traitement spécifique des étrangers en situation régulière par rapport aux nationaux pour des droits qui ne relevaient pourtant pas du droit des étrangers. Concernant le premier point, le DDD critiquait le choix fait de pallier la saturation du dispositif d’hébergement de droit commun par l’exercice d’un contrôle de la régularité du séjour des personnes hébergées, un mécanisme qui pose question eu égard au principe de dignité présent dans la Constitution en ce que ce dernier impose à l’Etat de garantir à chacun, étrangers compris, la possibilité de faire face à ses besoins les plus élémentaires (audition, p. 13). Concernant le second point, le DDD faisant part de ses préoccupations concernant les atteintes au droit de vivre en famille ou des conditions d’accès à la réunification familiale, la loi emportant, en creux, des conséquences disproportionnées à l’égard de « personnes étrangères vulnérables » (p. 16). Si le concept de vulnérabilité est partout mentionné, c’est aussi au regard de la fragilisation d’un droit fondamental : celui de l’accès au juge. Les AAI ont pu dénoncer une simplification du contentieux des étrangers entrainant un éloignement du juge et des recours de certaines personnes sans peine prononcée, seulement encourue. Du reste, tant la CNCDH que le DDD recommandaient de supprimer la disposition augmentant la durée de validité à trois années d’une OQTF étant donné l’introduction par la loi de la possibilité de refuser un titre de séjour aux personnes n’ayant pas satisfait à l’obligation de quitter le territoire dans les formes et délais prescrits par l’autorité administrative. Il leur semblait qu’une telle mesure pouvait encore aggraver la vulnérabilité des personnes concernées (avis A-2024-7, p. 20) tandis que l’objectif de simplification du contentieux par sa réduction ne serait nullement atteint (ibid.). Le DDD, par exemple, soulignait « un engorgement des juridictions pénales, […] mais aussi, l’émergence de nouveaux contentieux de masse devant les juridictions administratives […]. En cela, l’objectif de rationalisation du contentieux des étrangers poursuivi par le projet de loi manquerait […] son but » (audition, p. 19).
L’ajournement des deux finalités phares de la loi. Qu’il s’agisse du DDD ou de la CNCDH, une inquiétude particulière quant à la méthode et aux conditions dans lesquelles le texte avait été débattu s’était manifestée. Si le DDD dénonçait de manière explicite une « inflation législative délétère en matière de droit des étrangers » et un « très net recul » de leurs droits fondamentaux, la CNCDH quant à elle faisait part de sa « conviction que la question migratoire [était] instrumentalisée à des fins électorales ; et que ce texte ne répondait à aucune nécessité concrète, tout en accentuant encore la dégradation des droits des personnes étrangères » (avis A-2024-7, p. 5) ainsi qu’en attestait, notamment, la fragilisation du droit au séjour par la multiplication des séjours de courte durée. Pour ce faire, l’AAI pointait du doigt une logique sécuritaire quant à la finalité de contrôle de l’immigration d’une part et un caractère inadapté et discriminatoire des mesures destinées à améliorer l’intégration d’autre part, faisant manquer au texte ses deux objectifs initiaux. Si trois dispositions ont été censurées sur le fond par le Conseil et deux réserves d’interprétations émises, il n’en demeure pas moins que dix dispositions, issues en majeure partie du projet gouvernemental, ont été jugées conformes malgré les alertes des AAI. Ainsi en allait-il des articles 46 (contrat d’engagement au respect des principes de la République), 66 (élargissement des hypothèses de cas où l’OFII serait en mesure de refuser les conditions matérielles d’accueil auxquelles peut prétendre un demandeur d’asile ou bien d’y mettre fin), 70 (abandon du principe de collégialité devant la CNDA), 72 et 76 (possibilité de recours à la visioconférence pour les audiences concernant les CRA, LRA et ZA), mais aussi 77 (allongement du délai pour le JLD de statuer dans les ZA). Comme le regrettait le DDD devant le Conseil, le juge constitutionnel n’a pas examiné de nombreuses dispositions, voire jugé d’autres conformes d’un point de vue procédural sans pour autant procéder à un examen sur le fond. En fin de compte, les AAI demeurent préoccupées par le traitement réservé aux personnes étrangères, ce dont atteste la décision-cadre 2024-061 du DDD relative au respect des droits des personnes migrantes à la frontière intérieure franco-italienne en date du 23 avril 2024. Cette dernière mettait notamment en exergue l’existence de procédures et pratiques non conformes aux garanties juridiques minimales prévues par la directive européenne dite retour aux personnes qui sont interpellées à la frontière intérieure. En résultaient de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux. S’en était suivie, à l’initiative de l’ECRI, la CNCDH et le DDD, une table-ronde sur la prévention et la lutte contre le racisme, l’intolérance et les discriminations en France (table-ronde, 25 avr. 2024).
Clothilde Combes, Docteure en droit public, chercheuse postdoctorale, École de droit, Université Toulouse Capitole
C . Les enjeux soulevés par les JO
Les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 (JOP) ont placé la France au cœur de l’attention mondiale. L’organisation et la tenue d’un évènement d’une telle ampleur, mondialement suivi, avec plus de douze millions de visiteurs attendus, et plus de dix mille athlètes impliqués, soulevaient des enjeux à la fois sécuritaires, sportifs, mais aussi médiatiques, conduisant à l’intervention des AAI.
La surveillance de l’espace public. Dans la perspective des JOP, la France a modifié son cadre juridique pour garantir la pleine sécurité de l’évènement, notamment en autorisant l’expérimentation des caméras augmentées[13] jusqu’en mars 2025[14]. Soutenant globalement l’innovation dans son principe, la CNIL avait exprimé un certain nombre de préoccupations quant à l’emploi d’une telle technologie[15]. Poursuivant ses actions préventives en matière de protection des données, la CNIL a accompagné les fournisseurs de solutions algorithmiques. Cette initiative, appuyée par l’ouverture d’un guichet dédié au printemps 2023 a permis d’instaurer un dialogue collaboratif avec 11 entreprises, des chercheurs spécialisés et l’ANSSI, afin d’identifier les risques portés par cette technologie et d’intégrer, dès le départ, les principes de protection des données (rapport annuel 2023, p. 56-57).
Le dispositif de laissez-passer. La CNIL s’est prononcée dans une délibération du 25 avril 2024 sur le dispositif de laissez-passer envisagé par la modification de l’arrêté du 2 mai 2011, prévoyant notamment l’établissement de différents périmètres de sécurité par le préfet de police de Paris. L’accès aux périmètres gris (réglementation de la circulation motorisée et piétonne, vérifications diverses notamment inspections des effets personnels) et rouge (restriction de la circulation routière), était soumis à présentation d’un QR code, obtenu sur la plateforme Pass Jeux, imposant le traitement de nouvelles catégories de données personnelles (copie des certificats d’immatriculation des véhicules, documents d’identité, photographie…). La CNIL a présenté ses recommandations en exprimant ses préoccupations sur la collecte et la gestion de ces données.
Concernant les copies des documents d’identité, elle invitait à ce qu’elles ne soient conservées que le temps nécessaire à la délivrance du titre d’accès. Pour les autres documents comme les copies des certificats d’immatriculation, la CNIL recommandait une durée de conservation n’allant pas au-delà de trois mois. Par ailleurs, elle a indiqué que la collecte de la photographie pouvait être rendue nécessaire par l’ampleur de l’évènement que représentaient les JOP, toutefois, elle devait être limitée à ce type d’évènement. L’arrêté définitif du 3 mai 2024 a largement suivi ces recommandations, témoignant du rôle majeur de la CNIL dans la protection des données personnelles.
La restriction des droits des patients. La sécurisation des épreuves des JOP n’a pas été le seul domaine conduisant à des limitations à l’exercice des droits fondamentaux. Le passage des flammes a conduit certaines préfectures à transmettre des instructions à des établissements de santé mentale afin de limiter les droits des patients admis en soins psychiatriques sur demande du représentant de l’État, en restreignant l’octroi des autorisations de sortie et l’accès aux programmes de soin ou à la levée des mesures de soins sans consentement. Ces décisions ont soulevé des inquiétudes concernant le respect des droits des patients conduisant le CGLPL à adresser une lettre au ministre de l’Intérieur le 21 juin 2024 afin de rappeler que la sécurité ne justifiait pas des atteintes systématiques et indifférenciées aux droits des patients hospitalisés sans leur consentement. Toutefois, cette lettre n’a pas reçu de réponse. Ces restrictions ne sont pas sans contraster avec les objectifs et valeurs portés par les JOP, pourtant animés par la recherche de l’inclusivité comme l’a bien souligné le CGLPL dans sa lettre. En plus d’avoir mis en évidence la nécessité de concilier les droits et libertés avec les enjeux sécuritaires, les AAI et API ont également abordé les enjeux sportifs portés par les JOP.
L’encadrement des paris sportifs et la prévention des risques de manipulation des compétitions. En mars 2024 l’ANJ a publié sa « liste sport » précisant les épreuves ouvertes aux paris, excluant celles à risque élevé de manipulation, comme les épreuves à notation. Ainsi, sur les 329 épreuves des JO[16], 270 étaient ouvertes aux paris. Par ailleurs, les 140 000 personnes accréditées (athlètes, bénévoles, arbitres…) ont été formellement interdites de parier sur les épreuves (rapport annuel 2023 – p.64) et sensibilisées aux risques de manipulations des compétitions. Des croisements de fichiers ont été réalisés pendant les Jeux pour vérifier le respect de cette interdiction, exposant les concernés à des sanctions en cas d’infraction (ibid. – p.64). L’ANJ a aussi renforcé la surveillance des paris en coopération avec Europol, Interpol et 44 pays du groupe de Copenhague, couvrant à la fois le marché français et international (ib. p. 64). Enfin, elle a rappelé aux opérateurs la nécessité de faire preuve de vigilance afin de protéger les publics vulnérables aux risques de surexposition et d’intensification des pratiques de jeu (ib., p. 7)
La lutte contre le dopage. Les règles antidopage des JO sont définies par le Comité International Olympique. La gestion opérationnelle des contrôles a été déléguée à l’International Testing Agency (ITA), avec une association étroite de l’AFLD. Un accord de coopération a été conclu en mai 2024 entre l’AFLD et l’ITA afin de faciliter les investigations et le partage d’informations. L’AFLD a déployé ses équipes en amont et pendant les Jeux pour mettre en œuvre les stratégies définies par l’ITA, soulignant l’importance d’une coopération nationale et internationale pour un sport propre.
La tenue des JOP soulevait aussi des enjeux médiatiques, ce qui a conduit l’ARCOM à détailler les défis liés à leur diffusion et à formuler ses exigences pour les médias audiovisuels (actu., 22 janv. 2024).
L’accessibilité des programmes. Marquant son engagement en faveur d’une pleine accessibilité des programmes à tous les publics, l’ARCOM a demandé aux éditeurs de médias audiovisuels les engagements qu’ils étaient susceptibles de prendre au-delà de leurs seules obligations légales. C’est dans cette perspective que le groupe France Télévisions s’est engagé à oraliser les Jeux et à en couvrir l’intégralité par sous-titrage.
Le renforcement de la représentation du parasport et du sport féminin. Deux études publiées par l’ARCOM en 2023 soulignaient le faible volume horaire de diffusion du sport féminin par rapport au sport masculin (analyse du poids des retransmissions de compétitions sportives féminines à la télévision entre 2018 et 2021 p. 4) et la faible visibilité du parasport (La représentation du parasport dans les programmes télévisés p. 7). Les JOP étaient l’occasion pour l’ARCOM de rappeler la nécessité d’une représentation diversifiée dans les programmes audiovisuels, que ce soit dans la diffusion des épreuves ou des émissions sportives.
Dans son bilan général post-diffusion publié le 19 décembre 2024, elle a constaté et salué une multiplication par 2.6 du temps de diffusion du parasport par rapport à l’édition 2021 des Jeux, passant de 95h à 251h en 2024 (p. 10). Aussi, la diffusion des Jeux Paralympiques a conduit à un changement de regard sur le handicap pour 75% des spectateurs. L’évènement a amélioré la visibilité des disciplines parasportives et de leurs athlètes et 52% des Français ont indiqué qu’ils regarderaient davantage de parasport si l’offre télévisuelle était plus large (p. 40).
Dans son rapport sur la place des femmes dans les médias audiovisuels et numériques durant les Jeux de Paris 2024 publié le 23 janvier 2025, l’ARCOM a dressé un bilan nuancé quant à la couverture médiatique des épreuves. Sans que la parité ne soit atteinte, elle a constaté que le volume horaire de diffusion du sport féminin atteignait 37% du total, mais avec des disparités persistantes entre JO et JP, et avec une nette priorité donnée au sport masculin aux heures de diffusion à fortes audiences (p.15). Concernant les émissions sportives, le temps de parole des commentatrices reste très faible avec une moyenne de 19% pour les compétitions diffusées en linéaire sur France Télévisions et Eurosport (p. 25). Elles restent également peu sollicitées pour le commentaire des sports masculins et mixtes (p. 27) ou à fort enjeu pour le public français (p.28), de même qu’aux heures de fortes audiences (p. 26). Malgré ces inégalités, plus de 50% des téléspectateurs interrogés ont indiqué que l’événement avait changé leur perception du sport féminin, tout en dénonçant largement une couverture médiatique encore insuffisante (p. 32).
La promotion de la pratique sportive et de la lutte contre le dopage. L’ARCOM a rappelé que les Jeux étaient une opportunité pour inviter le grand public à un mode de vie plus sain, notamment par un renforcement de la pratique sportive. Dans son bilan général post-diffusion elle a soulevé l’impact très positif des Jeux de Paris, plus de 50% des téléspectateurs ont indiqué vouloir faire plus de sport, taux atteignant 74% chez les moins de 35 ans (p.41). Elle a aussi invité le diffuseur officiel des Jeux ainsi que tous les éditeurs à faire la promotion d’un sport propre. L’ARCOM et l’AFLD se sont d’ailleurs félicitées des progrès des chaînes de télévision dans la lutte contre le dopage par un communiqué du 10 octobre 2024, en encourageant les éditeurs à sensibiliser aux risques du dopage lors des grandes manifestations sportives, invitant alors à faire de la promotion d’un sport propre un héritage des JO pour la lutte contre le dopage.
Capucine Colin, Doctorante en droit public, École de droit, Université Toulouse Capitole
II. Le suivi par les AAI des politiques publiques impactant les droits fondamentaux
Revenant de manière récurrente au centre de l’attention des AAI, les enjeux liés à l’accès de tous aux droits (A), à la transparence de l’action publique (B) et aux politiques sécuritaires (C) ont fait l’objet en 2024 d’un traitement renouvelé et approfondi.
A. L’accès aux droits, aux services publics et aux juges
L’effectivité des droits a été une nouvelle fois au cœur de l’action des AAI[17]. Plus précisément, pour s’assurer de leur réalisation, plusieurs autorités ont concentré leur attention sur la question de l’accès aux droits qui se décline à travers plusieurs problématiques.
Le constat des discriminations dans l’application des droits. Comme l’ont constaté différentes AAI, certains droits, pourtant universels, font encore l’objet de discriminations dans leur reconnaissance.
Une telle différence de traitement concernant les populations ultra-marines a ainsi été dénoncée par la CNCDH dans une déclaration (27 sept. 2024). Alors que les conditions économiques et sociales connaissent une forte dégradation dans ces territoires, l’Autorité recommande à la France de déclarer au secrétariat général du Conseil de l’Europe l’application de la charte sociale européenne aux territoires ultramarins. La CNCDH soutient ainsi une réclamation introduite devant le Comité européen des droits sociaux pour défendre l’accès à l’eau potable en Guadeloupe, et considérée comme irrecevable par le gouvernement français en raison de cette absence de déclaration. L’Autorité rappelle que cette inapplicabilité est contraire au « droit international des droits humains » ainsi qu’aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.
La question des inégalités en Outre-mer a également été dénoncée par le CGLPL, usant alors d’une nouvelle méthode de communication consistant à adresser ses observations relatives à la situation des personnes privées de liberté à Mayotte (23 sept. 2024) au Premier ministre, en sus des ministres de l’Intérieur, de la Justice et de la Santé, afin d’en appeler à une « action globale » pour ce territoire. Le Contrôleur fait le constat d’« insuffisances structurelles gravissimes […] à l’origine de nombreux manquements et atteintes aux droits de ces populations, bien que leurs régimes juridiques respectifs ne diffèrent pas du droit applicable sur le reste du territoire », excepté en ce qui concerne le « cadre juridique dérogatoire et moins protecteur » du droit des étrangers sur ce territoire.
Information et accès aux droits. Avant de pouvoir bénéficier d’un droit qui leur est reconnu, les individus doivent être informés de son existence et des modalités de son accès. En ce sens, plusieurs AAI ont été à l’initiative d’importantes campagnes de communication auprès de populations éloignées ou de publics empêchés.
Dans son rapport annuel, le CIVEN qualifie l’année 2023 de « rupture » en raison de l’explosion des saisines (+ 72 %) qui s’explique par la mise en place de la mission de suivi des conséquences des essais nucléaires ou mission « Aller vers », créée fin 2021 avec pour objectif de permettre aux personnes vivant en Polynésie française et souffrant d’une maladie radio-induite potentiellement due aux essais nucléaires d’exercer le droit à réparation reconnu par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010. Les permanences sur place accompagnent les demandeurs, en les aidant à constituer leur dossier d’indemnisation auprès de l’Autorité. L’accès à ce dispositif est également facilité par la traduction, en arabe et en tahitien, des textes et des formulaires de saisine.
De son côté, le DDD a élaboré en novembre 2024 un Guide pour les personnes détenues constitué de 52 fiches pratiques qui répondent à des questions concernant la vie quotidienne, la discipline, la justice et les démarches administratives, ou les situations de particulière vulnérabilité. Rédigé en un « langage clair » et mis à la disposition dans les bibliothèques des établissements pénitentiaires, ce guide explique comment le DDD peut être saisi en cas d’atteintes aux droits. Il répond en partie à la recommandation faite par le CGLPL dans son rapport consacré à l’effectivité des voies de recours contre les conditions indignes de détention (oct. 2024), de mettre à disposition des personnes détenues des « kits de saisine » clé en main portant sur les recours juridictionnels et d’élaborer une « charte des droits fondamentaux de la personne détenue » remise à toute personne détenue et présentant ses droits et les modalités de saisine des juridictions compétentes.
Accès aux services publics et accès aux droits. Dans son rapport Droits des usagers des services publics : de la médiation aux propositions de réforme (juin 2024), le DDD met en évidence les situations d’entrave subies par les individus dans leur accès aux services publics qui conditionnent eux-mêmes l’ouverture des droits. Il souligne l’importance du rôle de vigie des AAI en la matière comme en témoignent par exemple les indicateurs d’accessibilité publiés chaque trimestre par l’Arcep portant sur le respect des obligations des offres des services de communications électroniques accessibles aux personnes sourdes, malentendantes, sourdaveugles et aphasiques afin de garantir leur accès à différents services publics en ligne.
Développant depuis plusieurs années[18] une vigilance particulière sur les situations de précarité administrative ou d’éloignement numérique[19], le DDD s’attache en particulier à démontrer que la dématérialisation des services publics peut être à l’origine d’importantes violations des droits fondamentaux. Dans un rapport extrêmement critique relatif au déploiement de l’Administration numérique pour les étrangers en France (ANEF), le DDD souligne la hausse considérable des réclamations relatives aux difficultés rencontrées pour une demande de titre de séjour en raison des défaillances structurelles de la plateforme. L’institution relève l’insuffisance des solutions de substitution exigées par le Conseil d’État (CE, 3 juin 2022 n° 452798), comme les points d’accueil numérique. Il recommande une nouvelle fois de consacrer le droit universel à un accès omnicanal aux services publics[20] (guichet, courrier papier, téléphone) « afin que le service public s’adapte aux besoins et aux réalités des usagers et non l’inverse ».
Dans le contexte du déploiement de la télésanté, la HAS formule de son côté des recommandations (fév. 2024) relatives aux cabines de téléconsultations qui peuvent être implantées hors des lieux de santé. Si l’accès aux soins peut être ainsi amélioré par une configuration sécurisée de l’environnement et la présence d’une personne responsable assurant l’accueil et l’accompagnement des patients, il est cependant possible de s’interroger sur la permanence des discriminations dans l’accès à la qualité des soins ainsi offerts[21].
Accès aux droits et invocation des droits devant le juge. L’effectivité des droits dépend enfin de l’existence et de la qualité des voies de recours permettant aux individus de les invoquer et d’en sanctionner la violation. Certaines AAI ont ainsi évalué l’effectivité des voies de recours sur le point d’être réformées ou existantes avant d’en proposer de nouvelles pour garantir un droit au recours effectif.
C’est ainsi que dans son avis 24-04 du 26 avril 2024 relatif au projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole qui vise à limiter les possibilités de mise en cause devant le juge administratif des procédures d’autorisation d’ouvrages hydrauliques agricoles ou d’installations d’élevage, le DDD dénonce une atteinte au droit au recours de leurs opposants.
De même, ses recommandations transversales formulées en février 2024 en matière de lutte contre les discriminations font le constat d’un « contentieux difficile, rare et peu dissuasif » et invitent à doter le juge du pouvoir de prononcer des amendes civiles et des mesures correctrices. Ouverte depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle en matière de discriminations, l’action de groupe constitue « un dispositif prometteur pour faciliter l’accès au droit des victimes », mais encore trop faiblement mobilisé. Toujours en attente d’une adoption législative la proposition de loi n° 639 du 15 décembre 2022 visant à faciliter le recours aux actions de groupe n’a pas totalement convaincu le DDD qui recommande toujours dans son avis n°24-01 du 18 janvier 2024 la possibilité de rendre publique une action de groupe dès le déclenchement de la procédure, l’allègement total des charges du procès ou la création d’un fonds de financement des recours collectifs en matière de discriminations.
De son côté la CNCTR, dans son rapport annuel 2023, juge « perfectible » le droit au recours prévu par les textes en matière de contrôle des techniques de renseignement. Son pouvoir de vérification de la régularité de la mise en œuvre d’une technique de renseignement est en effet limité par ce qu’elle juge être une « interprétation contestable de la loi », lui interdisant d’accéder aux fichiers de souveraineté. Si le justiciable peut saisir la formation spécialisée du Conseil d’État prévue à l’article L. 773-2 du code de justice administrative, il ne peut accéder lui-même au dossier. Malgré le brevet de conventionnalité délivré par le juge administratif (CE, 22 mars 2024, n° 476054) et le juge européen lui-même (CEDH, 16 janv. 2025, Association confraternelle de la Presse Judiciaire et autres c. France, n° 49526/15 et al.), la CNCTR recommande la possibilité pour les requérants d’être défendus par des avocats spécialement habilités secret défense.
Dans son rapport thématique consacré à l’effectivité des voies de recours contre les conditions indignes de détention (oct. 2024), le CGLPL a scruté la jurisprudence des juges administratif et judiciaire, et notamment le nouveau recours créé à l’article 803-8 du code de procédure pénale par la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. Il en tire un bilan négatif et propose une série de mesures comme le déploiement de nouvelles stratégies contentieuses, la mise en place d’un mécanisme d’astreinte automatiquement liquidée ou la création d’une juridiction mixte paritaire.
Outre l’effectivité des voies de recours elles-mêmes, les AAI se penchent également sur l’effectivité de l’exécution des décisions de justice par les pouvoirs publics. Dans sa déclaration sur l’exécution des décisions de la CEDH par la France (5 oct. 2024), la CNCDH vient rappeler au gouvernement l’importance pour la France d’exécuter les décisions de la CEDH. Elle invite ainsi plus particulièrement les autorités à prendre les réformes nécessaires pour se conformer aux condamnations européennes concernant la situation des mineurs isolés étrangers (CEDH, 18 fév. 2019, Khan c. France, n° 12267/16 ; 25 juin 2020, Moustahi c. France, n° 9347/14), les conditions de détention dans les prisons (CEDH, 30 janv. 2020, J.M.B. et autres c. France), ou les expulsions de terrain (CEDH, 28 avr. 2016, Winterstein et autres c. France, n° 27013/07). Confortée par le juge administratif (CE, ord. 7 déc. 2023, n° 489817) et le Comité des ministres du Conseil de l’Europe (1501e réunion, 11-13 juin 2024 (DH)) au sujet des expulsions d’étrangers en violation des mesures provisoires prises par la Cour européenne, elle dénonce également les réactions du ministre de l’Intérieur remettant en cause l’autorité de la Cour et « le principe même de la prééminence du droit ».
Julia Schmitz, Maître de conférences en droit public, École de droit, Université Toulouse Capitole
B. Le développement de la transparence et de l’intégrité
En se faisant tour à tour gardiennes de l’accès à l’information et vecteur d’une culture de l’intégrité, les AAI contribuent à protéger et à promouvoir le droit à la liberté d’expression et à garantir les conditions d’un bon fonctionnement démocratique.
Les AAI, gardiennes de l’accès à l’information. L’accès à l’information a été au cœur des préoccupations de plusieurs AAI cette année.
En témoigne le rapport Les Français et l’information publié par l’Arcom à la suite d’une étude conduite auprès d’un échantillon représentatif de 3 400 Français. Par cette étude, l’Arcom entend « veiller à une information fiable et indépendante ainsi qu’à l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les médias audiovisuels, nationaux et locaux, ainsi qu’à la transparence des plateformes en ligne » (p. 4). De même, la tribune dans Le Monde publiée par la Présidente de l’Arcep alerte sur les risques d’atteinte à la « liberté de choix dans l’accès aux contenus en ligne » et plus généralement sur les risques d’atteinte à la liberté d’expression liés aux outils d’intelligence artificielle mis en place par les fournisseurs d’accès. Dans la continuité de sa contribution à la consultation publique de la Commission européenne sur les IA génératives, elle dénonce « une remise en cause fondamentale du principe d’ouverture d’Internet » et réclame un « droit au paramétrage » pour que chacun puisse contrôler les services d’IA qu’il utilise.
L’importance que les AAI accordent à l’accès à l’information se traduit dans un premier temps par la recherche d’une plus grande accessibilité des informations sur leurs propres actions qu’elles cherchent à rendre plus efficaces. Le CNDP a ainsi mis en ligne pour la première fois une version numérique enrichie de son rapport annuel en vue de le rendre plus accessible. Cette version comprend une carte interactive des procédures de participation ainsi que des témoignages des équipes de la CNDP et de responsables de projet sous forme de podcasts. De même, l’ACNUSA a complété les cartographies disponibles sur son site internet via son atlas des aéroports avec les trajectoires des aéronefs sur chacun des sites. Cette cartographie « participe à la compréhension et à la transparence de l’information à la disposition des riverains et de l’ensemble des parties prenantes des territoires aéroportuaires » (communiqué, 17 juin 2024).
Au-delà de l’information sur leurs actions, les AAI renforcent aussi l’information sur leurs décisions et s’affirment, de fait, comme des interprètes des textes au même titre que les juridictions. Un peu à l’image de ces dernières, plusieurs AAI ont publié des recueils de leurs décisions afin de donner une visibilité particulière à leurs interprétations et d’inciter les acteurs à s’y conformer. Le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la CRE a publié un recueil des décisions qui « réunit et classe l’ensemble des décisions marquantes rendues depuis 20 ans tant en matière de règlement de différend qu’en matière de sanction ». Destiné « notamment à rendre accessible la pratique décisionnelle du comité à un large public », la publication du recueil s’est même accompagnée de l’organisation d’un colloque intitulé « Régler les différends, réguler différemment » (communiqué, 27 mars 2024). De même, la CNIL a publié des tables informatique et libertés qui rassemblent et classent l’essentiel de ses décisions afin d’ « améliorer la diffusion de sa doctrine tout en permettant une meilleure prévisibilité de l’application du RGPD et de la loi Informatique et Libertés » (communiqué, 14 déc. 2023). Ainsi qu’elle l’explique en introduction des tables, cette publication « répond à un manque » quant à la diffusion de sa pratique décisionnelle et vise un double objectif. Le premier est « de contribuer à la bonne appropriation de la doctrine à l’intérieur de la CNIL » « pour continuer d’assurer le respect de l’égalité de traitement » face aux milliers de dossiers à traiter. Le second est de « faire connaître les points de droit sur lesquels la CNIL, avant la jurisprudence ou en la précisant, a dû prendre position » dans « une volonté de plus grande transparence et ouverture vers l’extérieur ».
Sans aller jusqu’à classer leurs décisions et ordonner leur doctrine, la publication des décisions des AAI constitue un véritable défi organisationnel et technique comme en atteste l’avis n° 20237734 du 25 janvier 2024 rendu par la CADA où elle a eu à examiner le refus opposé par son propre Président à une demande de communication de l’ensemble des avis rendus par la commission sur une période récente. Après avoir relevé « l’intérêt particulier qui s’attache à la diffusion de sa doctrine, en termes de transparence administrative et d’information du public », elle estime qu’eu égard aux moyens humains dont elle dispose, au volume de documents à traiter et aux difficultés matérielles liées à l’anonymisation manuelle des avis, « un aménagement des modalités de communication [par une communication différée et échelonnée sur une période d’un an] est nécessaire pour ne pas compromettre le fonctionnement normal de ses services »[22].
L’importance que les AAI attachent à l’accès à l’information se traduit dans un second temps par l’accompagnement voire le contrôle des acteurs privés et des pouvoirs publics dans leurs obligations d’information.
L’AMF a ainsi publié un guide pédagogique à destination des entreprises pour les aider à fournir des informations de qualité sur leur plan de la transition climatique. De même, l’Arcep a signé un partenariat pédagogique dans le cadre du Master « Data and economics for public policy » créé en 2023 par trois établissements d’enseignement supérieur membres de l’Institut Polytechnique de Paris et destiné à former sur les possibilités de collecte et d’utilisation de données en vue de l’amélioration des politiques publiques (communiqué, 19 sept 2024).
Dans son avis du 4 septembre 2024 sur le projet d’EPR2 à Penly dans le cadre d’un programme de nouveaux réacteurs nucléaires, la CNDP a rappelé quant à elle que, conformément aux articles 121-1 et suivants du code de l’environnement « les débats publics doivent permettre au public de débattre de l’opportunité des projets, et pas seulement sur leurs caractéristiques et leurs impacts ». Mais elle a constaté qu’en l’espèce les questions posées n’ont pas reçu de réponses des maîtres d’ouvrages et de l’Etat et que la concertation n’a pas débuté. Elle a listé en conséquence un certain nombre de points sur lesquels des informations « précises et complètes sont attendues ». Dans son avis n° 20240645 du 18 avril 2024, la CADA a interprété de son côté l’article L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l’administration comme imposant aux autorités administratives de publier en ligne les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés lorsqu’ils fondent des décisions individuelles et d’élaborer un document présentant ces règles dans l’hypothèse où elles n’en disposeraient pas d’ores et déjà. Elle « relève l’intérêt particulier qui s’attache pour le public au respect de cet article » qui « renforce la transparence de l’action publique » et elle « souligne en outre que le respect de cette obligation (…) constitue un gage de confiance démocratique ». Ce contrôle des obligations d’information peut d’ailleurs conduire les AAI à se contrôler. A la suite du refus de communication du Président de la CNCCFP, la CADA a en effet estimé que la décision de la CNCCFP de saisine du Conseil constitutionnel à l’issue de son contrôle d’un compte de campagne constitue un document administratif communicable à toute personne (avis n° 20240765, 18 avril 2024).
Enfin, lorsque la transparence prévue par le droit positif semble insuffisante, les AAI contribuent à dégager et à formaliser de nouvelles obligations d’information. En collaboration avec le MNE et les acteurs concernés, la CRE a par exemple mis en place des lignes directrices relatives aux pratiques des fournisseurs d’électricité et de gaz pour renforcer l’information fournie aux consommateurs sur les offres. Si la Commission appelle le législateur à reprendre les 13 mesures contenues dans ces lignes directrices afin qu’elles puissent s’imposer à l’ensemble des acteurs, elle incite néanmoins les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel à s’y soumettre dès à présent en publiant une liste de ceux qui se seront formellement engagés à les respecter.
Les AAI, vecteur d’une culture de l’intégrité. La culture de l’intégrité passe notamment par la mise en lumière des différentes influences qui peuvent s’exercer sur la définition et l’application des politiques publiques. Dans son examen des demandes d’accès aux documents administratifs, la CADA contribue indirectement à la mise à jour de ces influences. Elle relève d’ailleurs dans son rapport d’activité pour 2022/2023 une évolution de l’origine des demandes traduisant une nouvelle finalité de la transparence administrative, 15% des demandes étant désormais présentées par « des journalistes, ainsi que des organismes promoteurs de transparence, tels que des associations, des lanceurs d’alerte et des chercheurs ».
C’est d’abord l’influence des acteurs privés sur les politiques publiques qui peut être mis à jour grâce au droit d’accès aux documents administratifs. La CADA a précisé cette année dans son avis n° 20242506 du 30 mai 2024 que les déclarations annuelles de cadeaux faites par les élus de la ville de Paris depuis 2020 auxquelles souhaitait accéder un journaliste constituent des documents administratifs communicables non couverts par les différents secrets prévus par la loi.
C’est aussi l’influence des cabinets de conseils privés qui peut être identifiée. Si les discussions sur la proposition de loi qui a suivi les travaux de la commission d’enquête du Sénat de 2021 ont été interrompues du fait de la dissolution, le juge administratif a plusieurs fois été amené à se prononcer sur cette influence. Les rapports fournis par des cabinets de conseil privés relativement à la campagne de vaccination contre la covid-19 sont des documents administratifs communicables au journaliste qui en fait la demande dès lors que cette campagne est achevée (TA Paris, 2 avr. 2024, n° 2110528/6-2)[23]. Tel est également le cas des documents relatifs aux missions de conseil réalisées par des cabinets de conseil privés pour le compte du ministère de l’Intérieur entre 2018 et 2021 (TA Paris, 9 fév. 2024, n° 2224808). Le tribunal précise de manière intéressante que la profession de journaliste « rend particulièrement digne d’intérêt pour lui ainsi, en outre, que pour le public, que lui soient communiqués les documents demandés ».
C’est enfin l’influence étrangère sur les politiques publiques qui peut être révélée. Si l’influence étrangère n’est pas nouvelle, elle a été au cœur des préoccupations cette année à la suite de révélations médiatiques notamment dans l’affaire du Quatargate et de la prise de conscience de la multiplication et de la diversification des activités d’influence étrangère. La HATVP, qui a été régulièrement saisie de cette question, a directement contribué à l’élaboration d’un régime juridique spécifique dans lequel elle occupe un rôle central. Face à l’inadaptation des dispositifs existants au risque d’influence étrangère, la HATVP a sollicité l’OCDE. Dans son rapport, celle-ci formule un ensemble de recommandations propres au cas français et inspirées des dispositifs mis en place par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie (Renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France, 19 avr. 2024). Conformément à ces recommandations, la loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 attribue à la HATVP la gestion d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, en parallèle du répertoire des représentants d’intérêts dont elle a déjà la charge, et étend le contrôle des projets de mobilité professionnelle au risque d’influence étrangère pour lequel le délai est porté à 5 ans au lieu de 3. Cette nouvelle mission de la HATVP consolide ainsi la place de cette autorité dans le mouvement de renforcement de la transparence de la sphère publique qui contribue à la diffusion de la culture de l’intégrité. A l’occasion de son rapport annuel, elle dresse d’ailleurs un bilan positif de ses 10 années d’existence qui ont fait d’elle « l’institution de référence en matière de transparence et de prévention des conflits d’intérêts dans la sphère publique » tout en proposant un ensemble de réformes pour renforcer son action.
Émilie Debaets, Maître de conférences en droit public, École de droit, Université Toulouse Capitole
C. Le contrôle des dérives sécuritaires
L’année 2024 a de nouveau été l’occasion pour les différentes AAI de se saisir de l’enjeu majeur des dérives sécuritaires de l’État du point de vue de la protection des droits et libertés fondamentaux. Près de dix ans après les attentats de 2015 qui ont marqué le point de départ de la tendance sécuritaire actuellement observée, avec notamment le passage dans le droit commun des modalités de l’état d’urgence et la multiplication des outils et techniques de surveillance, les AAI ont largement contribué à la réflexion et à la recherche sur les différentes dérives, en plus des différents contrôles effectués par leurs services. Enfin, du fait notamment de la tenue des Jeux Olympiques de Paris, la vidéosurveillance algorithmique constitue encore cette année un enjeu spécifique majeur qui permet aux autorités d’asseoir leur doctrine protectrice.
La contribution à la recherche sur ces dérives. La réflexion a pris différentes formes, témoignant ainsi de la diversité des acteurs et des enjeux. Par exemple, un colloque a été co-organisé le 19 novembre 2024 par la CNIL et la CNCTR dans le cadre de l’événement « air » (avenirs, innovations, révolutions) organisé annuellement par la CNIL depuis 2020 et intitulé pour cette dernière édition « La surveillance dans tous ses états : quelle éthique pour (protéger) nos libertés ? ». Il y a notamment été question de l’éthique des services de renseignement lors d’une table-ronde réunissant trois institutions représentées à leur plus haut niveau : la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, la direction générale de la sécurité extérieure et le collège de déontologie de la juridiction administrative. Par ailleurs, pour la première fois, le rapport d’activité pour l’année 2023 de la CNCTR a inclus des « éclairages » sur des thèmes en lien avec ses missions : l’intelligence artificielle, spécifiquement dans le cadre de l’adoption le 13 juin 2024 de l’AI Act européen, et l’usage responsable des capacités commerciales de cyber-intrusion dans une perspective diplomatique, rédigé par des intervenants extérieurs à qui l’autorité a laissé le soin d’apporter leur expertise. Par là même, la CNCTR prend en 2024 toute la mesure de son importance dans le débat relatif à la surveillance et aux techniques de renseignement. En effet, en plus de ces éclairages, deux études concernant les zones grises de la surveillance viennent compléter le rapport d’activité de la commission. Elles concernent d’une part les « contours et enjeux de la surveillance au titre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées », étude dans laquelle la CNCTR s’inquiète notamment de ce que la caractérisation de « bande organisée » puisse être détournée « pour permettre le recours à une technique de renseignement prévue par le code de la sécurité intérieure » et appelle de ses vœux à une délimitation stricte de cette notion. D’autre part, la seconde étude est, elle, consacrée à la surveillance de l’« entourage » des personnes cibles et atteste du souci de la commission de strictement circonscrire les cibles qui feront l’objet des différentes techniques de renseignement permises par le CSI. Enfin, le CGLPL a lui aussi contribué à la recherche sur les dérives sécuritaires en commandant à la clinique juridique EUCLID de l’université Paris Nanterre une étude sur la comparution immédiate, procédure pourvoyeuse d’incarcération. Si le rapport rendu part du constat d’une « justice à deux vitesses, une justice de classe » fait par Dominique Simonnot dans son ouvrage Coup de Barre. Justice et injustices en France paru aux éditions du Seuil en 2019, son apport principal réside dans la démonstration de ce que « les comparutions immédiates permettent d’enfermer des personnes pour des durées très longues en un temps record », ce qui apparaît contraire aux droits fondamentaux de la personne prévenue. Cette étude, réalisée par des membres de la communauté universitaire sur demande d’une autorité indépendante, et de manière générale ces différents travaux, montrent l’intérêt d’un réel temps pour la recherche qui permettrait aux AAI, à condition évidemment de leur en donner les moyens humains, matériels et financiers, de limiter encore davantage les dérives sécuritaires en alertant l’opinion et les pouvoirs publics sur leur dangerosité pour les droits et libertés.
Le contrôle des pouvoirs publics par les AAI. Le contrôle des – éventuelles – dérives sécuritaires par les autorités indépendantes s’exerce tant en amont de l’adoption d’un texte réglementaire ou législatif qu’en aval dans l’application du droit existant. L’Arcep a par exemple été saisie pour avis le 23 janvier 2024 sur le projet de décret pris en application des dispositions relatives à la sécurité des systèmes d’information de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 conformément à l’article L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques. Elle a rendu le 28 février 2024 un avis n° 2024-0369 dans lequel elle se prononce sur les différentes dispositions visant à permettre d’une part à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) de renforcer ses capacités de détection, de caractérisation et de prévention des attaques informatiques, en impliquant notamment les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs électroniques, et d’autre part à l’Arcep d’étendre son contrôle au travers d’un nouveau contrôle a priori constitué d’avis préalables conformes. L’autorité s’inquiète en ce sens des moyens opérationnels et organisationnels dont elle dispose pour mener à bien cette nouvelle mission, dans un délai fixé à un mois. Globalement toutefois, les mesures proposées par le Gouvernement dans ce projet de décret sont accueillies favorablement par l’Arcep qui rappelle que « la lutte contre la cybercriminalité et les cybermenaces est […] un enjeu majeur pour la sécurité nationale et l’économie française dans son ensemble ». La CNIL s’est elle aussi prononcée sur ce projet de décret dans une délibération n° 2024-025 du 7 mars 2024 dans laquelle elle considère que les modalités de mise en œuvre des techniques prévues par le texte sont « susceptibles de porter une atteinte particulièrement importante à la vie privée des individus et au droit à la protection des données à caractère personnel ». C’est donc une régulation à deux aspects qui est prévue par le projet de décret, impliquant à la fois l’Arcep et la CNIL dans la protection des données et renforçant par là même le rôle des autorités indépendantes dans le contrôle des dérives sécuritaires.
Les AAI interviennent également dans l’application du droit en s’adressant directement à des ministères dont elles estiment que les services ont contrevenu à certains droits et libertés. C’est le cas de la CNIL et du DDD qui ont tous deux rappelé à l’ordre ou mis en demeure les ministères de l’Intérieur et de la Justice. À l’issue d’une réunion du collège « déontologie de la sécurité » du DDD du 8 octobre 2024, le ministre de l’Intérieur a par exemple été mis en cause pour le non-respect par des agents de police d’une mineure durant sa retenue judiciaire, pour la non prise en charge des enfants mineurs d’un père de famille placé en garde à vue ou encore pour le refus par un agent de police d’enregistrer la plainte d’un ressortissant étranger en situation irrégulière. Le ministre de la Justice, lui, a été saisi pour l’usage disproportionné de la force par une surveillante pénitentiaire et pour différents manquements de la chaîne hiérarchique. De son côté, la CNIL a rappelé à l’ordre les deux mêmes ministères pour leur gestion du traitement des antécédents judiciaires dans sa délibération n° SAN-2024-017 du 17 octobre 2024 : elle leur enjoint d’une part de prendre des mesures pour mieux assurer l’exactitude des données et d’autre part de garantir l’effectivité des droits des personnes.
L’enjeu spécifique de la vidéosurveillance algorithmique. La vidéosurveillance algorithmique doit faire l’objet d’un traitement spécifique, notamment en raison de son utilisation massive dans le cadre des Jeux Olympiques de 2024. Nous avions rappelé dans ces colonnes les risques soulevés par la CNIL et la CNCDH liés à l’expérimentation de ces caméras intelligentes. Depuis, la CNCDH a adopté le 20 juin 2024, en Assemblée plénière et à l’unanimité, un avis A-2024-5 sur la surveillance de l’espace public dans lequel elle rappelle que « l’essor de nouvelles technologies, telles que les caméras aéroportées ou les logiciels de traitement automatisé d’images, ont ravivé ces dernières années les craintes d’atteintes aux droits de l’Homme » pour d’abord défendre la « réaffirm[ation d]es exigences de proportionnalité et [la restriction de] l’utilisation de la vidéosurveillance » et ensuite pour affirmer la nécessité de « renforcer les garanties qui encadrent l’utilisation des caméras ». Cet avis, rédigé avant le rapport d’évaluation de l’expérimentation qui a été remis au ministère de l’Intérieur le 14 janvier 2025 et non encore rendu public à ce jour, dresse une liste de dix recommandations parmi lesquelles on retrouve, à l’attention du législateur, la nécessité d’ « insérer, au sein du titre du code de la sécurité intérieure relatif à la vidéoprotection, une disposition qui conditionne l’installation d’un système de vidéoprotection à l’exigence de son caractère nécessaire et proportionné à l’exercice des finalités envisagées, et non discriminatoire » ou encore d’ « interdire l’identification biométrique à distance en temps réel des personnes dans l’espace public et les lieux accessibles au public […] [sauf dans le cadre de] la prévention d’une menace grave et imminente pour la vie ». Dans la continuité de ses positions antérieures, la CNCDH relève donc à nouveau les dangers de la vidéosurveillance algorithmique pour les droits et libertés des personnes. Ces dangers, soulignés également depuis plusieurs années par la CNIL, mais de façon parfois plus frileuse, ont incité la commission à réaliser des contrôles auprès de quatre services du ministère de l’Intérieur et de huit communes sur l’utilisation du logiciel d’analyse vidéo BriefCam avec reconnaissance faciale et à mettre en demeure le ministère de l’Intérieur notamment de « prendre les mesures adéquates permettant d’empêcher […] l’utilisation des fonctionnalités de reconnaissance faciale », malgré le fait qu’elle conclut – dans le cadre de ces contrôles – au respect du cadre légal de l’usage de la reconnaissance faciale, tant en ce qui concerne le ministère de l’Intérieur que les communes. Toutefois, la CNIL soulève l’usage illégal par les communes de « la détection automatisée de situations laissant présumer une infraction sur le domaine public ». Dans la lignée de la première ordonnance du Conseil d’État concernant BriefCam, rendue le 21 décembre 2023, l’année 2025 sera sans nul doute celle du contrôle juridictionnel de ces dispositifs : le Tribunal administratif de Grenoble a enjoint dans une décision du 30 janvier 2025 la commune de Moirans de cesser l’utilisation du logiciel BriefCam dans la mesure où elle ne démontrait ni finalité légitime, ni respect de la vie privée des administrés. Le juge des référés du Conseil d’État, lui, avait adopté une position plus souple en considérant que la seule possession du logiciel permettant la reconnaissance faciale n’était pas illégale si la fonctionnalité était désactivée. En plus du contrôle effectué par les AAI, c’est donc le développement de la jurisprudence administrative en matière de caméras augmentées qui devra être surveillé.
Zakia Mestari,Docteure en droit public, École de droit, Université Toulouse Capitole, Enseignante contractuelle en droit public, Université d’Orléans
III. Les propositions des AAI pour le renforcement de la protection des droits fondamentaux
En 2024, les AAI ont continué d’œuvrer en faveur de la protection des droits fondamentaux et de leur renforcement afin d’assurer notamment l’effectivité du droit au logement (A) et des droits de l’enfant (B).
A. Le droit au logement
Assurer l’effectivité du droit au logement. À l’aune d’une étude inédite qu’il a soutenu[24], le DDD relève dans son rapport annuel d’activité 2023 des différences systématiques de traitement dans l’instruction de la demande et de la production de l’offre de logements sociaux susceptibles de caractériser une discrimination à raison de la « particulière vulnérabilité économique » envers les demandeurs concernés. Aussi, le DDD a-t-il rendu plusieurs décisions reconnaissant ces discriminations envers des personnes particulièrement vulnérables (déc. 2024-098, 25 juin 2024 ; déc. 2024-145, 11 oct. 2024). Sur ce point, la CNCDH, rejoignant le DDD, recommande dans son abondant avis « Rendre effectif le droit au logement pour tous » de « veiller à ce que la réglementation relative au logement garantisse l’effectivité du droit au logement pour les ménages aux revenus les plus faibles » (p. 97), notamment en revalorisant l’importance du critère de la faiblesse des revenus dans l’attribution des logements sociaux. La CNCDH n’est pas moins pessimiste s’agissant de l’effectivité du droit au logement opposable (DALO) : elle s’inquiète de la baisse du taux de décisions favorables, notamment pour les personnes reconnues prioritaires, qui témoigne à la fois de l’augmentation des demandes et de la raréfaction des logements disponibles. La Commission propose dans le même avis une série de recommandations qui vont dans le sens d’une procédure plus juste, par exemple en posant le principe du versement de l’astreinte en cas d’absence de relogement d’une personne désignée prioritaire directement à celle-ci (pp. 86-87). L’avis de la CNCDH revient également sur les effets pernicieux de la « financiarisation » du logement, c’est-à-dire la recherche de la rente, en particulier sur la croissance exponentielle des locations de courte durée du type « Airbnb », et recommande l’encadrement strict de cette pratique par les communes avec l’appui de l’État ainsi que l’organisation d’une taxation plus favorable aux propriétaires qui louent en baux de longue durée (p. 36). L’équilibre que la CNCDH appelle de ses vœux revêt, à la manière de la jurisprudence de la CEDH[25], « une dimension collective qui relègue le droit de propriété au second plan derrière la justice sociale »[26].
Dans un avis sur le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables très mitigé, le DDD considère que le DALO et le parc social de logements, en tant que « vecteurs essentiels de la réalisation du droit à obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », jouent un rôle central dans la politique du logement. Le DDD se fonde sur une interprétation large du « droit à l’aide sociale » qu’il dégage des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946[27] incluant « l’ensemble des moyens matériels permettant de vivre », et ce dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui en déduit un objectif à valeur constitutionnelle d’offrir la « possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent » (déc. n° 94-359 DC, 19 janv. 1995). Par conséquent, toute évolution de la politique de logement doit nécessairement veiller à l’effectivité du DALO et à la suffisance du parc social de logements. Or, d’une part, le projet de loi fragiliserait l’offre de logement social à destination des personnes précaires et également d’une grande partie des classes moyennes dans la mesure où les constructions de logements locatifs intermédiaires permettront aux communes d’échapper aux sanctions associées au non-respect des objectifs de rattrapage en construction de logements sociaux (p. 5-8) ; et, d’autre part, il affaiblirait le DALO par une mise en concurrence de publics prioritaires confiée aux communes et à Action Logement Services, au risque d’augmenter les pratiques discriminatoires (p. 8-13). Enfin, le projet de loi porterait des atteintes disproportionnées au droit de propriété sans pour autant atteindre les objectifs poursuivis (p. 13-16).
La CADA a également apporté sa pierre à l’action en faveur de l’effectivité du droit au logement. La Commission émet des avis favorables (not. avis du 7 mars 2024, n° 20240533 et 20240337) aux demandes faites à une préfecture de communiquer les documents montrant la carence de plusieurs communes en matière de construction de logements sociaux et les mesures prises à l’encontre desdites communes. Elle considère, en effet, que l’atteinte des objectifs de réalisation de logements sociaux n’est pas étrangère à l’accomplissement des missions de service public des communes concernées et que, dès lors, la préfecture doit se soumettre aux règles d’accès aux documents administratifs. L’action du DDD et de la CNCDH en matière de logement est donc complétée par celle de la CADA ; alors que les premières participent à la construction de politiques publiques pertinentes, la seconde contribue au contrôle de l’application celles-ci.
Du droit au logement au droit à l’habitat. Les AAI rappellent l’insuffisance des dispositifs qui permettent aux personnes les plus vulnérables d’accéder à un logement si celui-ci est insalubre ou indigne. En effet, tel que le démontre la HAS dans sa recommandation relative à l’accompagnement vers et dans l’habitat par les professionnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux, le logement joue un rôle cardinal dans le développement de la personnalité d’un individu. Celui-ci « habite » un lieu qu’il s’approprie et qui devient donc son « habitat », c’est-à-dire un espace investi par l’occupant qui est le support de l’expression de ses émotions et de son vécu. Autrement dit, l’habitat est un marqueur d’identité déterminant l’estime de soi, l’intimité et la socialisation. Un individu mal logé évolue donc socialement avec plus de difficulté. Or, le DDD considère, s’inspirant alors de la CEDH[28], que l’absence de logement peut entraver l’accès à des droits cruciaux « pour l’identité de la personne, l’autodétermination de celle-ci, son intégrité physique et morale, le maintien de ses relations sociales ainsi que la stabilité et la sécurité de sa position au sein de la société »[29]. L’accès à ces droits ainsi que le développement personnel de l’individu dépendent donc de l’existence d’un logement décent, c’est-à-dire dont les commodités contribuent à la vie dans un environnement sain. La précarité énergétique affecte au premier chef la qualité de l’habitat dans un contexte où un million d’interventions pour impayés de factures ont été mises en œuvre[30]. Cela amène le CRE à mettre en avant le concept de « justice énergétique » (Justice énergétique, questions à Anthony Cellier) qui signifie « permettre à tout individu d’accéder de manière équitable à l’énergie, quelle que soit sa situation géographique et économique ». C’est également la hausse de la précarité énergétique qui pousse le MNE à se prononcer positivement dans son rapport d’activité annuel 2023 sur l’instauration d’un droit à une alimentation minimale en électricité, le versement du fonds de solidarité pour le logement (FSL) directement aux départements, la mise en place d’un fournisseur de dernier recours en électricité, l’extension de l’application de la trêve hivernale au gaz propane et le port à trois semaines du délai de paiement d’une facture d’énergie.
Sous la plume des AAI guidées par une acception subjective du logement semble se dessiner un droit à l’habitat dérivant du droit à un environnement sain. Élargissant la conception initiale du droit au logement, elles intègrent des enjeux écologiques et de qualité de vie afin d’orienter les politiques de logement pour répondre à des besoins immédiats certes, mais également aux défis environnementaux et sociaux du XXIe siècle. Le droit à un environnement sain ayant une valeur constitutionnelle, cela renforcerait une « portée obligatoire symbolique »[31] du droit au logement et donnerait au juge un argument solide pour mieux assurer son effectivité[32]. C’est d’ailleurs dans ce mouvement que s’inscrit le DDD lorsque, dans son rapport annuel sur les droits de l’enfant 2024, il fait découler du droit à un environnement sain le droit pour les enfants de disposer d’un logement décent car les conditions de vie portent durablement atteinte à leur santé physique et mentale, compromettant leur développement[33] et donc leur vie de futurs adultes[34]. S’appuyant sur le droit international et le droit constitutionnel pour établir un lien entre droits de l’enfant et droit à un environnement sain, il donne ici un exemple topique du renouvellement autant du droit au logement que de la protection des droits de l’enfant.
Dimitri Dragacci, Doctorant en droit public, École de droit, Université Toulouse Capitole
B. Les droits de l’enfant
L’enfant en tant que personne vulnérable occupe toujours une place centrale dans l’activité des AAI centrées sur la protection des droits et libertés. L’année 2024 illustre encore cette préoccupation constante. La DDD Claire Hédon, auditionnée par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2024 pour présenter le contenu du rapport d’activité 2023, a d’ailleurs fait le tour de l’ensemble des thématiques permettant de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant qui sont partagées par de nombreuses AAI.
La protection des droits fondamentaux de l’enfant. Elle rappelle d’abord que le DDD avait consacré son rapport annuel sur les droits de l’enfant en 2023 aux droits aux loisirs, au sport et à la culture en évoquant qu’ils sont indispensables au bien-être et au développement de l’enfant. Le rapport réalisé en 2024 a fait place à un nouveau thème, largement partagé par toutes les AAI, qui est l’environnement. Intitulé « le droit des enfants à un environnement sain, protéger l’enfance, préserver l’avenir », ce rapport s’attache, autour de 20 recommandations, à protéger l’enfant contre les dégradations environnementales, à lui garantir un accès aux ressources vitales, à un cadre de vie respectueux de sa santé et de son bien-être et à l’accompagner dans la défense de son droit à un environnement sain. Pour ce faire, le DDD propose des modifications de la règlementation nationale ou internationale rendant plus contraignante la protection de l’environnement et accélérant les mesures visant à accompagner la transition écologique (exemple : la rénovation des bâtiments scolaires). Il recommande également une sensibilisation dès le plus jeune âge (école, enseignements).
Le rapport annuel 2023 du DDD se préoccupe ensuite du droit à l’éducation en évoquant les élèves sans affectation au lycée à la rentrée scolaire et la rupture d’égalité dans le processus d’affectation Affelnet. Cela rejoint une déclaration qu’il a faite à la rentrée 2024 regrettant que des dizaines de milliers d’enfants soient toujours privés de leur droit à l’éducation. Au-delà des lycéens sans affectation, le DDD pointe du doigt le manque d’accessibilité et d’inclusivité pour les élèves en situation de handicap, à la fois pendant le temps scolaire et les temps périscolaires notamment la pause méridienne (avis du 29 mars 2024). Peu après cette déclaration, la CNCDH s’est saisie de la question en adoptant un avis sur l’accès à une scolarisation effective pour tous les enfants le 17 octobre 2024. Elle y préconise la création d’un observatoire de la non-scolarisation afin de lutter contre toutes les formes de non-scolarisation (élèves allophones, handicapés, vivant dans les territoires ultramarins, mineurs enfermés et hospitalisés). Le but est ainsi de pallier le manque de données sur le nombre d’enfants empêchés d’aller à l’école et trouver des solutions au manque de moyens et à l’insuffisante coordination entre les acteurs permettant la scolarisation. Cela rappelle en partie l’avis du CGLPL du 17 novembre 2023 publié au JO du 31 janvier 2024 qui avait fait quant à lui un focus sur l’accès à l’enseignement des mineurs enfermés. Cet avis recommande donc « de faire de la scolarité une priorité absolue pour les enfants enfermés », et ce grâce à une obligation légale et à la définition de programmes spécifiques adaptés aux profils des enfants enfermés.
La protection des enfants en situation de sur-vulnérabilité ou de risque avéré. Le rapport annuel 2023 du DDD fait ensuite état des inquiétudes qui pèsent sur la prise en compte des situations de danger. Il relève ainsi que même après l’arrêt Association Innocence en danger et association Enfance et Partage c. France de la CEDH du 4 juin 2020 (n° 15343/15 et 16806/15) et les évolutions qui ont été réalisées, l’état de la protection de l’enfance en France est toujours défaillant et ne permet pas de protéger de manière satisfaisante les enfants du fait d’une application hétérogène du cadre légal, de l’absence de coordination entre les acteurs nationaux et locaux, d’une évaluation des situations de danger insatisfaisante (délais trop longs, qualité médiocre due à un manque de formation), d’un recueil de la parole de l’enfant inadapté et de l’absence d’effectivité des mesures de protection de l’enfance.
Une autre situation de danger potentiel pour les mineurs est le numérique, notamment l’utilisation massive et de plus en plus précoce des réseaux sociaux, sites de rencontre ou plateformes de jeux en ligne par les jeunes ; c’est pourquoi la CNIL cherche à approfondir cette thématique de manière contemporaine. Cette tendance est partagée par l’ensemble des autorités de protection des données du G7 qui ont adopté une position commune le 18 octobre 2024 sur leur rôle dans la promotion d’une intelligence artificielle digne de confiance et surtout l’importance de protéger les droits fondamentaux des mineurs dans ce contexte. Les autorités du G7 préconisent ainsi d’intégrer la protection des données dans la conception des systèmes d’intelligence artificielle et d’éduquer les enfants au numérique afin de les sensibiliser aux opportunités et risques de l’IA. C’est exactement dans ce sillage que se situe l’action de la CNIL. Son rapport annuel 2023 précise qu’elle a créé une nouvelle rubrique sur son site web dédiée aux enfants et adolescents afin de les sensibiliser et les éduquer au numérique. Elle a également défini parmi ses thématiques prioritaires de contrôle en 2024 les données des mineurs collectées en ligne. Si le principe de la minimisation des données a été posé, force est de constater que les sites internet collectent des informations massives sur l’identité, les habitudes et préférences de vie et ainsi l’intimité des usagers du net. La CNIL s’attache donc à vérifier que les applications et sites utilisés par les mineurs mettent bien en place des mesures de sécurité notamment par des mécanismes de contrôle de l’âge. C’est en ce sens que la CNIL a rendu un avis le 26 septembre 2024 sur le projet de référentiel de l’Arcom relatif aux systèmes de vérification de l’âge mis en place pour l’accès à certains services permettant l’accès à des contenus pornographiques. En effet, la loi SREN du 21 mai 2024 a confié à l’Arcom de nouveaux pouvoirs de sanction et de blocage des sites qui ne respecteraient pas leur obligation légale d’empêcher l’accès des mineurs à leurs contenus. Pour vérifier le respect de cette obligation l’Arcom a adopté le 9 octobre 2024 un référentiel déterminant les exigences techniques minimales applicables aux systèmes de vérification de l’âge pour ces sites diffusant des contenus pornographiques. Ces derniers auront trois mois pour s’y conformer sous peine de sanction et/ou blocage. Au-delà des contenus pornographiques, les jeux en ligne sont également un enjeu important en raison de l’addiction qui peut en découler notamment dans le cas d’un public vulnérable comme les mineurs ; c’est pourquoi l’ANJL a signé une convention de partenariat avec l’Union nationale des associations familiales pour lutter contre le jeu des mineurs au moyen d’actions de formation et de prévention.
Un autre thème soulevé par le rapport annuel 2023 du DDD est le rapport entre les mineurs et les procédures pénales. Il dénonce notamment les conditions d’auditions de mineurs, victimes ou mis en cause, en mettant en évidence l’absence des parents ou d’un avocat, la durée excessive des auditions (sans pause), etc. Le collège « déontologie de la sécurité » présidé par le DDD a soulevé d’autres cas d’atteinte au droit des mineurs dans le cadre de leur prise en charge par les forces de l’ordre. Outre la problématique des auditions dénoncée dans le rapport annuel, deux autres situations retiennent son attention : la non prise en charge d’enfants mineurs restés seuls au domicile familial alors que le père était en garde à vue et avait signalé cette situation aux forces de l’ordre et l’atteinte à la dignité d’un mineur placé en garde à vue. Globalement ces situations démontrent un manquement aux obligations de discernement et d’exemplarité des forces de l’ordre dû au manque de formation et de directives claires permettant une prise en charge respectueuse et adaptée des mineurs. L’avis du DDD du 21 novembre 2024 relatif à la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents déplore enfin le rapprochement opéré entre le traitement pénal des mineurs et celui des majeurs alors même qu’un principe fondamental reconnu par les lois de la République impose que les procédures et la justice pénales des mineurs soient spécifiques et adaptées à l’âge. La France remettrait ainsi en cause non seulement ses propres principes de valeur constitutionnelle mais également ses engagements internationaux et en particulier la Convention internationale des droits de l’enfant.
Le DDD a enfin rendu un avis le 6 mai 2024 sur la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre. Il estime que cette proposition de loi porte atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant en interdisant toute transition médicale pour les mineurs et en faisant des distinctions parmi les mineurs transgenres et cisgenres cela pouvant provoquer des discriminations. Le DDD estime que l’état actuel du droit est satisfaisant et pertinent, d’autant plus que les interventions médicales auprès des mineurs transgenres sont exceptionnelles et rares et qu’elles s’inscrivent déjà dans un parcours médical approfondi.
Finalement, il convient de souligner que pour rendre effective la protection des droits des enfants, il importe de sensibiliser et promouvoir ces droits mais également d’informer sur le rôle et les compétences du DDD dans la protection de l’enfant. C’est ce que fait chaque année une nouvelle promotion de jeunes ambassadeurs des droits (JADE) qui sillonne la France et notamment les lieux accueillant des jeunes afin de sensibiliser ce public aux droits. Après la publication du rapport annuel JADE 2023-2024 faisant un bilan de ce programme éducatif de sensibilisation, une nouvelle promotion a été recrutée pour l’année 2024-2025 afin de développer davantage la protection des droits et de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Valérie Palma-Amalric, Maître de conférences en droit public, École de droit, Université Toulouse Capitole.
[1] Les AAI sont présentées par leur acronyme : Autorité de la concurrence (ADLC) ; Autorité des marchés financiers (AMF) ; Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ; Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) ; Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) ; Autorité nationale des jeux (ANJ) ; Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ; Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) ; Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) ; Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) ; Commission nationale du débat public (CNDP) ; Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques (CNCCFP) ; Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ; Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ; Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) ; Commission de régulation de l’énergie (CRE) ; Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ; Défenseur des droits (DDD) ; Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) ; Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ; Haute Autorité de santé (HAS) ; Médiateur national de l’énergie (MNE).
[2] v. chron. 2022 et chron. 2023.
[3] Directive (UE) 2024/1499 du Conseil du 7 mai 2024 et Directive (UE) 2024/1500 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024
[4] Loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique
[5] M. Musson, « Loi SREN : renforcement des pouvoirs de l’ARCOM et de la CNIL au service de la protection des internautes », Dalloz actualité, 17 juin 2024.
[6] M. Grandjean, « Lutte contre les contenus illicites en ligne : plaidoyer en faveur d’un retour au juge », Légipresse, 2024, n° 421, p. 22 et n° 422, p. 89.
[7] L. Pailler, « Un grain de SREN », Recueil Dalloz, 2024, n°25, p. 1241.
[8] L. Benezech, « Les actes de droit souple des autorités administratives, vers l’affermissement d’une portée normative », RFDA 2024 p. 467.
[9] Le juge réserve cependant la possibilité d’une telle qualification si les modalités de gouvernance, les conditions de financement et celles dans lesquelles les études et travaux sont menés, font apparaître que l’organisme de réflexion poursuit la défense d’un intérêt au sens de la loi du 11 octobre 2013, et « qu’il remplit, par ailleurs, la condition tenant à l’exercice d’une activité principale ou régulière d’influence sur la décision publique ».
[10] V. par ex. CE, 20 juil. 2023, n° 465382 ; CE, 1er fév. 2023, n° 460587 ; CE, 6 oct. 2021, n° 437622 ; CE, 16 nov. 2020, n° 431120 ; CE, 4 déc. 2019, n° 423060 ; CE, 27 avr. 2011, n° 334396.
[11] Ces situations d’inter-mandature ont impacté le fonctionnement de plusieurs AAI en 2024. Au-delà de la CNCDH, l’ACNUSA n’a quant à elle pas pu siéger pour délibérer sur les sanctions pendant une longue période d’interim de 8 mois jusqu’à la nomination du nouveau président, Pierre Monzani. De son côté, la HATVP fonctionne avec un président intérimaire, Patrick Matet, à la suite du départ de Didier Migaud au ministère de la Justice.
[12] Loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire.
[13] Définies par la CNIL comme les « Dispositifs vidéo auxquels sont associés des traitements algorithmiques mis en œuvre par des logiciels, permettant une analyse automatique », position sur les conditions de déploiement des caméras augmentées, juil. 2022, p. 5.
[14] Loi n°2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024.
[15] V. chron. 2023, Z. Mestari, « La confiance dans l’espace public ».
[16] Les Jeux Paralympiques n’étaient pas concernés.
[17] V. chron. 2022.
[18] DDD, Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, 2019; Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, 2022.
[19] Selon une étude de l’ANCT, du CREDOC et de l’Université Rennes 2, 16 millions de personnes sont éloignées du numérique en France, soit un tiers de la population résidant en France de plus de 18 ans, La société numérique française : définir et mesurer l’éloignement numérique, 2023.
[20] V. en ce sens la proposition de loi tendant à la réouverture des accueils physiques dans les services publics, n° 1773, déposée le mardi 17 oct. 2023.
[21] V. pour une analyse critique, C. Alonso, « Le développement du numérique en santé : une fausse bonne solution pour lutter contre les inégalités ? », RDSS, 2023, n° 5, p. 805.
[22] Pour un raisonnement équivalent s’agissant des rapports de l’inspection générale de la justice conduisant à un aménagement temporel des modalités de communication sur quatre mois v. TA Paris, 5 déc. 2024, Syndicat de la magistrature, n° 2311913/5-2 – 2311916/5-2 – 2311920/5-2.
[23] Sur le lien entre le droit d’accès aux documents administratifs et le contrôle de cette influence v. les conclusions de V. Thulard, « Contrôle de l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques », AJDA, 2024, p. 1346.
[24] P. Madec et al., « Quelles difficultés d’accès des ménages les plus pauvres au parc social ? », Eclairages, oct. 2023, p. 8
[25] Not. CEDH, 25 sept. 1985, Spadea et Scalabrino c. Italie, req. n°12868/87.
[26] X. Bioy, « Droits fondamentaux et libertés publiques », LGDJ, 8e éd., sp. p. 942.
[27] DDD, déc. n° 2019-199, 23 juil. 2019 et avis n°23-05, 6 juil. 2023.
[28] En ce sens, DDD, avis n°23-01, 23 janv. 2023.
[29] CEDH, 17 oct. 2013, Winterstein c. France, req. n° 27013/07, pt. 148
[30] Observatoire national de la précarité énergétique, « Tableau de bord de la précarité énergétique », 2024, Observatoire des inégalités, « La précarité énergétique est stable, mais jusqu’à quand », 2017 ; Fondation Abbé Pierre, « Logements bouilloires : l’État reste de glace », 2024.
[31] A. Tsalpatourou, « L’effectivité du droit au logement en France », Thèse de doctorat en droit, sous la direction de B. Mathieu, Paris, Université Paris I Panthéon Sorbonne, 491 p., spé. p. 396.
[32] J-P. Brouant, « Faut-il constitutionnaliser le droit au logement ? », SERDEAUT, nov. 2012.
[33] Santé publique France, « Le logement, un déterminant majeur de la santé des populations », La santé en action, sept. 2021, n° 457.
[34] Unicef France, Samusocial de Paris, Santé publique France, « Grandir sans chez-soi : quand l’absence de domicile met en péril la santé mentale des enfants », 2022.