Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Premier semestre 2025
Par Mustapha Afroukh, Maître de conférences HDR en droit public à Université de Montpellier, IDEDH UR_UM205 ; Caroline Boiteux-Picheral, Professeure de droit public à l’Université de Montpellier, IDEDH UR_UM205 ; Thibaut Larrouturou, Professeur de droit public à l’Université Évry Paris-Saclay, CRLD EA 4107. Ancien référendaire à la Cour européenne des droits de l’homme

Human Rights Building
1. Élection de Mattias Guyomar à la présidence de la Cour. Une fumée blanche s’est de nouveau élevée du Palais des droits de l’homme, le 28 avril 2025, pour signaler l’élection du dix-huitième président de la juridiction strasbourgeoise. Alors qu’une précédente livraison de la chronique attirait l’attention du lecteur sur le véritable carrousel qui semblait s’installer à la tête de la Cour, avec une multiplication de présidences « courtes » – inférieures, parfois de beaucoup, à la durée théorique de trois ans du mandat -, le nom du nouvel élu a de quoi rassurer sur ce terrain. En effet, le juge Mattias Guyomar, élu au titre de la France en remplacement du juge André Potocki, a pris ses fonctions à la Cour en juin 2020, de sorte qu’il pourra à tout le moins réaliser l’entièreté de son mandat présidentiel, voire être réélu pour une année supplémentaire, avant son départ en juin 2029. Il est ainsi le premier à pouvoir imprimer durablement sa marque sur la fonction depuis le mandat de l’Italien Guido Raimondi, entre 2015 et 2019. Il s’agit là d’un premier motif de réjouissance, dans une période où la Cour navigue en eaux agitées et a besoin d’un cap clair autant que d’une main ferme sur le gouvernail.
Un second motif de réjouissance se trouve dans les qualités intellectuelles et humaines de celui qui succède à René Cassin et Jean-Paul Costa en tant que président français de la juridiction strasbourgeoise. Il aura besoin de chacune d’entre elles, ainsi que de soutien à l’intérieur comme à l’extérieur de la Cour, pour mener à bien sa difficile mission dans un contexte de désamour des sociétés européennes pour les principes libéraux qu’elles ont gravés dans le marbre conventionnel au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Trois mots d’ordre ont été choisis par Mattias Guyomar pour définir l’impulsion qu’il souhaite donner à la juridiction qu’il préside : efficacité, visibilité et responsabilité. L’efficacité semble avant tout renvoyer à la bonne administration de la justice, thème sur lequel il s’est particulièrement engagé dès son entrée en fonction comme juge français. Et les besoins en la matière sont immenses, alors que la Cour reste à ce jour saisie de dizaines de milliers de requêtes et peine à agir sur ce qui constitue maintenant le cœur de son stock d’affaires pendantes : les affaires de chambre non répétitives. La visibilité est quant à elle associée dans le discours du nouveau président à la transparence et à l’accessibilité de la Cour. Là encore, les besoins sont patents, une large partie de son action et de sa production contentieuses étant mal connue, voire inaccessible à ceux qui la saisissent. L’exemple des mesures provisoires qui sera évoqué ci-après en témoigne avec éclat. La responsabilité renvoie enfin à la nécessité pour la Cour de se maintenir à la hauteur de la mission qui lui a été confiée, malgré les vents mauvais qui soufflent en Europe. Un fort coup de tonnerre a d’ailleurs secoué la juridiction strasbourgeoise quelques jours à peine avant l’entrée en fonction du nouveau président, sous la forme d’une lettre ouverte de gouvernements l’appelant à baisser son niveau de protection en matière migratoire.
2. Haro de neuf gouvernements sur la jurisprudence relative au renvoi d’étrangers. Chercher à arriver au pouvoir en faisant de l’immigration la cause de tous les maux que connaît un pays est une technique à double tranchant : si elle peut porter ses fruits dans une Europe obsédée par cette thématique, elle impose à celui qui l’emploie avec succès d’expliquer, une fois au pouvoir, pourquoi ni la situation économique, ni la situation sécuritaire, ni la situation des services publics ne se rétablissent miraculeusement après la mise en place de politiques « dures » face à l’immigration légale comme illégale. L’exemple de l’Amérique trumpienne fournit toutefois aux États du vieux Continent un échappatoire commode en la matière : accuser les juges de paralyser les salutaires mesures de renvoi d’étrangers. Si le remède prodigué ne fonctionne pas, ce n’est pas parce qu’il n’a pas ou peu de lien avec les maux dont souffre le pays, mais parce qu’il n’est pas administré avec suffisamment de vigueur, le médecin ne pouvant pas agir à sa guise. Bien évidemment, si le juge empêcheur de tourner en rond est par‑dessus le marché européen, donc « étranger », donc déconnecté des réalités du terrain, c’est un argument de plus à mobiliser. En application de cet axiome, la Cour européenne des droits de l’homme est logiquement devenue la cible toute désignée de la vindicte des gouvernements qui font de la politique migratoire l’alpha et l’omega de leur action publique.
En a récemment témoigné, bien qu’elle ait de toute évidence des racines multiples, une lettre ouverte publiée sur le site internet du gouvernement italien et signée par neuf chefs d’État et de gouvernements d’États membres du Conseil de l’Europe (Italie et Danemark, à l’initiative, mais également Autriche, Belgique, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne et République tchèque) 1. Dans celle-ci, est en substance dénoncée l’interprétation extensive de la Convention assurée par la Cour européenne des droits de l’homme en matière de renvoi d’étrangers criminels et de pratiques étatiques aux frontières. Il est difficile de ne pas ressortir affligé de la lecture de ce document.
En premier lieu, du fait de la qualité stylistique du courrier, qui fait penser à l’œuvre d’un mauvais tabloïd plutôt qu’à l’expression officielle de personnalités politiques de premier plan (« il va au-delà de notre compréhension que certaines personnes puissent venir dans nos pays, bénéficier de notre liberté et de nos nombreuses opportunités, et décider de commettre des crimes »…).
En deuxième lieu, du fait du vide argumentatif absolu du courrier, qui dénonce une interprétation trop extensive de la Convention sans viser aucune affaire précise ni même aucun droit en jeu. Les questions d’expulsion d’étrangers ne peuvent, pourtant, tout de même pas être analysées de la même manière selon qu’est en jeu l’article 2 ou l’article 8 de la Convention. Plusieurs collègues se sont en outre chargés de démontrer que l’affirmation générale portée par les signataires est fondamentalement erronée 2). Les fidèles de la présente chronique en sont sans doute déjà convaincus à la lecture des nombreuses rubriques consacrées à la question migratoire lato sensu.
En troisième lieu, du fait du cynisme d’une Italie régulièrement condamnée par la Cour de Strasbourg pour la mort de femmes et d’enfants tombant sous les coups de conjoints violents à cause de l’inertie totale de ses forces de police ou de ses procureurs, et qui se pose néanmoins ici, sans démonstration, dans la position de celle que cette même Cour empêche de protéger ses citoyens.
En quatrième lieu, du fait de la philosophie portée par le document. « À notre avis, la sécurité des victimes et de la grande majorité des citoyens respectueux des lois est un droit crucial et déterminant. Et, en règle générale, elle devrait primer sur toute autre considération », nous disent les signataires. Qui leur rappellera que, pour de nombreuses et excellentes raisons, la sécurité n’est pas un droit ? Que l’essence de la Convention est de ne pas faire primer la sécurité sur toute autre considération sans mise en balance car bien des régimes autoritaires, y compris ceux dont ce traité international cherche à conjurer à la fois le souvenir et le retour, ont de tout temps utilisé cette exacte logique pour justifier les pires atteintes aux droits ?
En cinquième et dernier lieu, du fait de la démarche employée ici, absolument inédite, d’interpellation intergouvernementale d’un acteur judiciaire au sujet de son action jurisprudentielle. La réaction du Secrétaire général du Conseil de l’Europe a été à la hauteur de cette prise de parole inacceptable : « Le respect de l’indépendance et de l’impartialité de la Cour est notre fondement. Débattre est sain, mais politiser la Cour ne l’est pas. Dans une société régie par l’État de droit, aucun pouvoir judiciaire ne devrait être soumis à des pressions politiques » 3.
Pourtant, malgré ses multiples faiblesses, il est à craindre que cette lettre ouverte atteigne l’un au moins de ses objectifs, à savoir la fragilisation au sein de l’opinion publique des contrepouvoirs juridictionnels en Europe. Une question décisive se pose dès lors pour la Cour et pour les soutiens du système conventionnel, à savoir comment répondre efficacement aux critiques illibérales de cet ordre – leur canaux de propagation étant avant tout médiatiques et leur attachement à la vérité n’étant pas toujours leur caractéristique première. Il y a là une réflexion d’ampleur à adopter, ce qui n’a pas empêché la Cour d’apporter un premier élément de réponse sur le terrain hautement sensible des mesures provisoires.
3. Trouble dans le champ des mesures provisoires. Les personnes familières du site internet de la Cour auront peut-être remarqué que celui-ci comporte depuis peu un onglet « mesures provisoires » sur sa page d’accueil. Il vise à publier, à un rythme hebdomadaire, les statistiques relatives à cet instrument prétorien, principalement utilisé par des requérants devant faire l’objet d’un renvoi vers un État tiers afin de bloquer celui-ci pendant le temps de l’examen de leur requête par la Cour. L’objectif poursuivi par cette dernière est de toute évidence la mise en avant de la très faible proportion des décisions d’acceptation de ces mesures, sans doute en réaction à la remise en cause opérée par la lettre ouverte évoquée plus haut. Chaque communiqué de presse rappelle en effet que les affaires pendantes dans lesquelles une mesure provisoire est appliquée représentent moins d’un demi-point de pourcentage du total… S’il n’apparaît pas inutile de mettre de la sorte en avant une réalité statistique incontestable, qui contredit largement les fantasmes figurant entre les lignes du courrier précité, cela reste sans doute trop peu : un seul cas de criminel dont le renvoi est empêché par la Cour suffira toujours à nourrir le récit d’États empêchés de protéger leur population par le diktat strasbourgeois, tandis que l’inaccessibilité des décisions accordant les mesures provisoires empêche encore et toujours les spécialistes de la Convention d’avoir accès à – et donc de défendre publiquement – la rationalité de la Cour en la matière.
Et, malheureusement, l’actualité contentieuse du premier semestre 2025 a livré de nombreuses nouvelles occasions de regretter l’absence de toute motivation des mesures adoptées par la Cour, absence dont on rappelle qu’elle constitue une exception à l’échelle des juridictions internationales et qu’elle ne semble avoir rien d’inéluctable 4.
Ont ainsi pu être rejetées deux demandes de mesures provisoires portant sur des sujets particulièrement sensibles : la première, présentée par Mme Marine Le Pen, tendait à la suspension de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité prononcée à son encontre par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement national ; la seconde, présentée par M. Călin Georgescu, visait à suspendre l’annulation du processus électoral présidentiel en Roumanie, par la Cour constitutionnelle de cet État, en raison d’ingérences étrangères. L’absence de toute motivation de ces rejets empêche la Cour de contribuer à la sérénité des processus judiciaires et démocratiques en cause, et accroît le risque de voir sa saisine instrumentalisée par des acteurs qui portent des valeurs peu compatibles avec la Convention.
Un troisième exemple de demande de mesure provisoire examinée au premier semestre 2025 jette quant à lui le trouble sur ce que l’on pensait savoir du mécanisme, en l’occurrence qu’il ne permettait pas d’obtenir des mesures générales et absolues mais toujours des mesures concrètes et spécifiques, liées à la personne du ou des requérants, et nécessaires à la bonne tenue du débat judiciaire devant la Cour. Or, le 29 avril 2025, cette dernière a ordonné à la Serbie, dans une affaire Đorović et autres 5, d’empêcher l’utilisation, par des acteurs étatiques et/ou non étatiques, d’armes sonores ou de dispositifs similaires lors de manifestations à l’avenir. Cette mesure surprend pour deux raisons. D’une part, elle est parfaitement générale et absolue, puisqu’elle s’applique à toute manifestation à venir sur le territoire serbe, sans que les requérants ayant saisi la Cour dans cette affaire ne soient nécessairement présents dans les futures manifestations en question. D’autre part, les mesures provisoires ont normalement pour objet d’éviter des situations irréversibles qui seraient de nature à empêcher les juridictions nationales ou la Cour de procéder dans de bonnes conditions à un examen des griefs tirés de la Convention – l’expulsion vers l’étranger du requérant, ou sa dissolution s’il s’agit d’une association, constituent deux exemples de mesures difficilement compatibles avec un effet utile d’une saisine de la Cour. Ici, le juge strasbourgeois ne cherche cependant pas à permettre la bonne tenue du débat dans son prétoire, mais plutôt à empêcher l’émergence potentielle de nouvelles victimes de la violation alléguée, ce qui relève d’une toute autre dimension. S’il ne sera pas critiqué en soi que la Cour s’oppose à l’utilisation d’armes incapacitantes illégales lors de manifestations pacifiques, son action contentieuse méritait ici d’être clairement exposée et justifiée. À l’heure actuelle, bien peu de personnes à l’extérieur des murs du Palais des droits de l’homme paraissent en mesure de connaître et comprendre sa jurisprudence en matière de mesures provisoires, et l’auteur de ces lignes est forcé d’admettre qu’il n’est de toute évidence plus l’une d’entre elles. La visibilité doit ici s’accroître, sans remettre en cause l’efficacité de la Cour. Une motivation claire et convaincante est en effet la condition sine qua non d’une application optimale de la Convention en droit interne, ce dont témoigne avec bonheur un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris.
4. Compétence du juge administratif français en matière de rapatriement des enfants de djihadistes. Chacun garde sans doute en mémoire l’arrêt. Un peu plus de deux années plus tard, c’est toutefois bien une juridiction administrative qui a pris le parti de permettre la correcte exécution de cet arrêt, en l’absence de mécanisme alternatif de contrôle qu’aurait par exemple pu mettre en place le législateur ou le ministère des affaires étrangères. En effet, la Cour administrative d’appel de Paris, dans quatre arrêts du 27 février 2025, a accepté sa compétence pour contrôler un refus de rapatriement opposé à une femme et à ses enfants mineurs, aux motifs que l’article 46 de la Convention impose à l’État « qu’il adopte les mesures individuelles et, le cas échéant, générales nécessaires pour mettre un terme à la violation constatée ». La théorie des actes de gouvernement est ainsi écornée dans la stricte limite de ce que commandait ici la Cour européenne des droits de l’homme – la contestation du refus de rapatriement opposé à trois majeurs partis mener le djihad reste par exemple impossible devant le juge administratif, en l’absence de « circonstances exceptionnelles » au sens de l’arrêt H.F.
Les arrêts de la Cour administrative d’appel de Paris sont tout à fait exemplaires en matière de respect des arrêts de la Cour de Strasbourg, et il faut se réjouir qu’à la responsabilité exercée par cette dernière ait fait écho la responsabilité partagée qu’elle met au cœur de sa stratégie depuis plusieurs années. La nouvelle configuration ouverte par les arrêts de la juridiction administrative française devrait sans nul doute permettre la clôture prochaine de la surveillance de l’arrêt H.F. par le comité des ministres – lequel arrêt, pour rappel, n’implique pas que tous les enfants de djihadistes français soient de retour sur le territoire national mais simplement que le processus décisionnel les concernant exclue l’arbitraire.
Plan de la chronique. Pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2025, cinq thèmes ont été retenus. Seront traités le contentieux environnemental (I), le droit de l’asile et des étrangers – une lecture recommandée à neuf gouvernements qui se reconnaîtront et verront peut-être leurs inquiétudes dissipées (II), la question du consentement aux rapports sexuels (III), les agissements des agents de l’État (IV) et enfin la Cour européenne des droits de l’homme et l’économie (V).
Thibaut Larrouturou
I – Le contentieux environnemental
Les branches environnementale et climatique de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sont appelées à croître sans cesse dans les prochaines années et décennies, à la fois du fait d’un phénomène cinétique classique – plus d’arrêts de violation sur ces questions entraînent plus de requêtes sur ces sujets – et du fait d’une multiplication continue des situations problématiques sur ces terrains. L’environnement et le climat sont pourtant bien partis pour faire l’objet d’un traitement distinct au sein de la jurisprudence strasbourgeoise, ce que confirme un récent arrêt Cannavacciuolo c/ Italie en date du 30 janvier 2025 6.
5. Atteinte au droit à la vie dans la Terra dei Fuochi. La Cour était saisie dans cette affaire difficile par plusieurs dizaines de personnes physiques et d’associations, du fait de la situation de la « Terre des feux ». Derrière ce nom, qui pourrait passer pour poétique, se trouvent environ quatre-vingt-dix communes et près de trois millions d’habitants des provinces italiennes de Caserte et de Naples, mais aussi et surtout une pratique établie depuis des décennies d’enfouissement et d’incinération sauvages de déchets parfois dangereux, opérés en partie par la criminalité organisée. Les conséquences de ces agissements illégaux pour la santé des locaux sont évidemment catastrophiques, particulièrement en raison d’une exposition continue sur un temps très long, et le tableau recensant les requérants devant la Cour contient d’ailleurs une colonne glaçante précisant la maladie, le plus souvent mortelle, dont ils souffrent.
Les requérants dénonçaient, essentiellement sous l’angle de l’article 2 de la Convention, l’absence de mesures prises pour préserver leur santé et les informer de la situation, malgré la connaissance par les autorités italiennes de l’existence du problème. La reconnaissance unanime de la violation de cette disposition par la Cour, aux motifs que celles-ci n’ont pas abordé le problème en cause avec la diligence requise – la liste de leurs manquements est longue – n’appelle pas de remarque particulière, si ce n’est qu’il faut saluer le choix de la Cour de se placer sur le terrain de l’article 2 au regard de la gravité exceptionnelle des faits plutôt que sur le terrain plus classique en matière environnementale de l’article 8. Si ce n’est peut‑être, également, que l’on s’explique mal que la Cour ait mis plus de dix années à adopter un arrêt de Chambre dans cette affaire de violations massives du droit à la vie, bien balisée sur le plan des faits par des rapports et jugements nationaux et internationaux aussi nombreux que solidement documentés, dont ses propres précédents…
6. Recevabilité – absence de qualité de victime ou de locus standi des associations en matière environnementale. S’agissant toutefois de la recevabilité de la requête, l’arrêt est intéressant en ce qu’il refuse de reconnaître la qualité de victime ou la qualité pour agir des associations requérantes. Dans la lignée de ses jurisprudences les plus classiques 7, la Cour souligne qu’une association requérante qui invoque exclusivement les droits individuels de ses membres sans démontrer avoir elle-même subi des répercussions importantes, quelles qu’elles soient, ne peut se voir accorder la qualité de victime au regard d’une disposition matérielle de la Convention. Or, une association ne pouvant souffrir directement de la pollution, qui n’affecte que les personnes physiques, elle ne peut valablement saisir la Cour sur ce sujet. La juridiction strasbourgeoise confirme ainsi le caractère tout à fait exceptionnel de sa récente jurisprudence Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c/ Suisse 8, où elle a par contraste très largement admis la capacité des associations à la saisir sur le terrain du contentieux climatique.
Le distinguo ainsi opéré entre contentieux climatique et contentieux environnemental se comprend parfaitement si l’on adopte une approche conséquentialiste : puisque la menace climatique touche chacun des 700 millions d’habitants du Conseil de l’Europe, la Cour était tenue de fixer particulièrement haut le seuil permettant sa saisine par une personne physique, sous peine d’être submergée de recours ; puisqu’elle souhaitait tout de même pouvoir se prononcer sur cette question existentielle pour l’espèce humaine, elle devait desserrer l’étau qui empêche d’ordinaire les associations de se tourner vers elle. Toutefois, la Cour n’a bien évidemment pas pu justifier de la sorte son arrêt KlimaSeniorinnen, et a dû opter pour des critères plus objectifs (au premier rang desquels se trouve l’importance de l’action collective et de la répartition intergénérationnelle de l’effort dans le domaine du changement climatique). Ces critères peuvent cependant militer pour la reconnaissance de la même faculté de saisine des associations dans certains contentieux environnementaux, dont celui de l’espèce, ainsi que n’ont pas manqué de le relever les juges Frédéric Krenc et Georgios A. Serghides dans leurs opinions séparées sous l’arrêt. Il est donc à craindre un certain degré d’incertitude sur le sujet dans les années à venir, et il est possible de s’interroger sur ce que fera la Cour lorsqu’elle sera confrontée à des contentieux purement environnementaux mais tirant entièrement leur source du changement climatique et menaçant des dizaines ou centaines de millions d’européens sur tout le continent – il n’y a qu’à évoquer la montée des eaux océaniques induite par la fonte des glaces. La prudence imposera, pour un temps au moins, aux requérants de soumettre à la Cour, dans certains domaines, des requêtes portées à la fois par des personnes physiques et morales, charge à elle de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie.
7. Première application de l’arrêt pilote en matière environnementale. Le second point qui doit être particulièrement relevé dans cet arrêt est l’application de la procédure de l’arrêt pilote, une première en matière environnementale malgré une jurisprudence de la Cour déjà ancienne et étoffée. Cette application paraît justifiée aussi bien au regard du caractère systémique et irrésolu du problème à la racine des requêtes et du nombre important de requérants s’étant tournés vers la Cour (près de 5.000 attendent déjà une réponse) ou susceptibles de le faire (virtuellement, chacun des près de 3 millions d’habitants de la région, car la Cour poursuit ici une politique jurisprudentielle préexistante consistant à considérer comme une « victime présumée » toute personne habitant sur le territoire des communes concernées par la pollution en jeu). Pas moins de onze paragraphes de l’arrêt sont consacrés aux mesures devant être adoptées par l’Italie, lesquelles incluent la définition d’une stratégie globale de gestion du problème, de ses racines et de ses conséquences, la mise en place d’un mécanisme de suivi de cette stratégie et l’ouverture d’une plateforme accessible aux citoyens devant les tenir suffisamment informés de la situation. L’implication de la Cour dans l’application à venir de son arrêt est à la hauteur des dysfonctionnements patents constatés pendant des décennies, et il convient de saluer l’absence de demande de renvoi à la Grande Chambre de l’Italie dans cette affaire qui n’a déjà que bien trop duré.
Par contraste, il est intéressant de relever que l’arrêt L.F. et autres c/ Italie en date du 6 mai 2025 9, lui aussi adopté en matière environnementale, s’est cantonné à l’article 8 de la Convention et n’a pas donné lieu à l’application de cette procédure d’arrêt pilote malgré la demande des requérants. Les parallèles ne manquaient pourtant pas avec l’affaire Cannavacciuolo précitée car, s’agissant du développement d’une zone résidentielle à proximité d’une fonderie rejetant des particules dangereuses pour la santé, notamment des métaux lourds comme le mercure, la Cour n’a ici pu que relever l’inertie des autorités italiennes à imposer des transformations techniques au complexe industriel, à suivre l’état de santé de la population ou encore à communiquer sur les risques en la matière. La Cour fait ici le choix de laisser celui des mesures générales d’exécution à l’État, suggérant tout au plus timidement une relocalisation de la fonderie déjà envisagée au niveau national. Les limites du contentieux environnemental devant la Cour, constatées dans une précédente livraison de la chronique 10 semblent donc bien relever du principe plutôt que de l’exception, et seule l’ampleur exceptionnelle de l’affaire de la Terre des feux semble avoir poussé la Cour à sortir de sa réserve habituelle en matière d’indications environnementales aux États.
Thibaut Larrouturou
II– Quelle effectivité des droits de l’homme dans le domaine de l’asile et des migrations ?
A. Une stigmatisation résolue des pratiques de renvoi sommaire
8. Essor du contentieux des pushbacks – Depuis plusieurs années maintenant, la gestion des frontières s’est imposée comme une problématique particulièrement névralgique, en droit de la CEDH comme dans le cadre de l’Union européenne, tant l’équilibre peine à s’établir entre respect du principe de non-refoulement d’un côté et efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière de l’autre. Loin de constituer des incidents isolés ou conjoncturels, les pratiques de refoulement sommaire (pushback) font désormais figure dans certains États parties de véritable politique publique, plus ou moins assumée. Le premier semestre 2025 manifeste bien l’ampleur du phénomène, que l’on considère la proportion écrasante de mesures provisoires accordées à ce sujet de janvier à juin 11, les audiences tenues en Grande chambre le 12 février – sur dessaisissement de la chambre – dans trois des trente affaires actuellement pendantes concernant la situation aux frontières de la Lituanie, de la Lettonie et de la Pologne avec le Bélarus du printemps 2021 à l’été 2023 12 ou, pour finir, les arrêts de violation rendus à six mois d’intervalle contre la Grèce, puis contre la Hongrie (encore que ce dernier présente la particularité de se rapporter à des éloignements du territoire et non à des refus d’entrée).
Sur le fond, la Cour condamne sans surprise, au regard de l’article 3 de la Convention considéré isolément et combiné avec l’article 13, des renvois opérés sans examen préalable approfondi des risques directs ou indirects de mauvais traitements auxquels les requérants seraient exposés dans le pays de destination, ainsi que le défaut de recours internes suspensifs, ces constats s’augmentant d’une infraction à l’article 4 du Protocole 4, portant interdiction des expulsions collectives, dans l’affaire hongroise et d’une violation des paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 5 dans l’affaire grecque. C’est toutefois à un autre titre – et pour des raisons différentes – que chacun des deux arrêts marque une évolution, sinon de la jurisprudence, du moins de la posture de la juridiction européenne.
9. Reconnaissance d’une pratique systématique en Grèce dans le cadre d’un assouplissement relatif du régime de la preuve – Dans le sillage d’une décision du 3 décembre 2024, G.R.J. c/ Grèce (n°15067/21), qu’ il ne cite curieusement pas (bien qu’elle ait été adoptée par la même chambre, sur une cause comparable), l’arrêt A.R.E. c/ Grèce du 7 janvier 2025 (n°15783/21) – relatif au refoulement sommaire d’une ressortissante turque, demandeuse d’asile, vers la Türkiye en 2019 – se distingue par une adaptation du régime de preuve applicable devant la Cour, face à une négation gouvernementale catégorique de l’ensemble des faits allégués par la requérante, à commencer par sa présence même sur le territoire aux dates indiquées. L’enjeu est crucial : alors que la preuve détermine à la fois la qualité de victime de l’intéressé et le bien-fondé de ses griefs, elle est en effet rendue particulièrement difficile s’agissant d’opérations souvent officieuses, pour ne pas dire secrètes, menées en dehors de tout cadre procédural et sans qu’il n’en subsiste de traces formelles. Aussi la Cour entend-elle éviter qu’en plaçant les requérants dans l’impossibilité d’établir la véracité de leur récit, cette opacité ne confère aux États une forme d’impunité, sans pour autant permettre à « n’importe quel ressortissant étranger [de] se prétendre victime d’une violation de la Convention en façonnant son récit sur la pratique décrite dans les rapports provenant d’institutions nationales et internationales » 13. Le moyen retenu – somme toute assez classique – consiste à s’aligner sur le standard déjà appliqué en matière de détention secrète (§ 208), voire dans certaines affaires d’expulsion collective 14 et à se satisfaire d’un commencement de preuve. Là où la démarche judiciaire innove, toutefois, c’est en se décomposant en deux temps, suivant un ordre « inversé », pour déterminer d’abord, à la lumière des rapports dressés par des instances nationales indépendantes, s’il existait au moment des faits litigieux une pratique systématique de renvois sommaires et évaluer, ensuite, si les éléments fournis par le demandeur apportent le commencement de preuve requis, concernant sa propre situation 15.
Le procédé a sans doute le mérite de restituer aux agissements litigieux leur portée systémique, formellement mise en exergue. Pour le reste, le sens et l’utilité de cette nouvelle approche peuvent néanmoins interroger. En effet, l’existence objective d’une politique générale de pushback n’apparait pas comme la condition préalable de l’assouplissement du régime probatoire, qui se justifie en soi par de toutes autres considérations, et la Cour elle-même ne manque pas de rappeler à cet égard qu’ « un requérant se prétendant victime d’un refoulement peut en principe satisfaire à la charge de la preuve sans avoir à alléguer que son refoulement s’inscrit dans le cadre d’une pratique systématique ou généralisée ou à fournir des preuves de l’existence d’une telle pratique » 16. En outre, même invoquée comme argument et tenue pour établie, une telle circonstance ne paraît pas non plus alléger de beaucoup les démonstrations attendues de l’individu : en tout état de cause, ce dernier reste en devoir de fournir « un récit détaillé, spécifique et cohérent », étayé « par des preuves concrètes, circonstanciées et concordantes » 17, de nature documentaire, audiovisuelle et/ou testimoniale. À défaut, et comme en témoigne l’irrecevabilité constatée dans l’affaire G.R.J., il importe peu, en définitive, que des indices sérieux laissent présumer qu’il existait au moment des faits allégués une pratique systématique de refoulement par les autorités grecques de ressortissants étrangers vers la Türkiye, aussi bien depuis l’île de Samos que dans la région du fleuve Évros : dès lors que l’intéressé, contrairement à la requérante dans l’affaire A.R.E, ne fournit pas d’éléments propres à convaincre de sa présence sur le territoire de l’État défendeur et de son renvoi par les garde-côtes, il ne peut prétendre à la qualité de victime. Et si, conformément à la jurisprudence Nagmetov c/ Russie 18, la gravité des violations constatées et l’absence de toute possibilité d’obtenir réparation au niveau interne conduisent bien dans l’affaire A.R.E à l’octroi d’une satisfaction équitable qui n’a pourtant pas été demandée dans les délais prescrits (§ 310), la nature systématique des pratiques litigieuses ne suscite pour sa part aucune indication de mesures générales. En revanche, c’est précisément un des apports de l’arrêt du 24 juin 2025, H.Q. et autres c/ Hongrie (n°46084/21, 40185/22 et 53952/22).
10. Arrêt quasi-pilote face à la persistance d’un système de renvoi automatique en Hongrie – Portée par trois demandeurs d’asile (un ressortissant syrien et deux ressortissants afghans), expulsés d’office en tant que migrants irréguliers, faute d’avoir préalablement présenté auprès de l’ambassade hongroise à Belgrade la déclaration d’intention requise par la loi et d’avoir obtenu un document de voyage les autorisant à entrer en Hongrie au titre de l’asile, cette seconde affaire a pour intérêt de mettre en cause un mécanisme qui, même s’il ne s’applique pas exclusivement aux personnes arrivant aux frontières, s’apparente bien à une forme détournée de pushback des candidats (surtout non-slaves) à une protection internationale.
Bien plus, introduite à titre transitoire en 2020, en remplacement des deux zones de transit par lesquelles tout étranger arrivant de Serbie était initialement contraint de passer pour entrer régulièrement sur le territoire hongrois et demander asile sous peine d’être immédiatement refoulé 19, puis pérennisée par un décret du 28 novembre 2024 malgré sa propre incompatibilité avec le droit de l’Union 20, cette « procédure d’ambassade », combinée aux dispositions de la loi relative à la frontière de l’État, s’avère révélatrice d’une posture de résistance nationale obstinée, non seulement à l’autorité de la chose jugée au niveau européen, mais plus largement aux valeurs censées unir les États parties à la Convention.
Dans ce contexte, l’arrêt H.Q. et autres c/ Hongrie donne alors d’autant plus de relief à la synergie des « jurisprudences venues d’ailleurs » qu’il ne se borne pas à constater que, sujette à application arbitraire, la « procédure d’ambassade » n’offre pas d’accès effectif à une voie d’entrée légale, au sens de la jurisprudence N.D. et N.T c/ Espagne 21 et qu’elle participe au contraire d’un système de renvoi automatique incompatible avec les droits garantis par la Convention ou le Protocole 4, dont plus de 150.000 étrangers ont été victimes en 2022. Tandis que la Cour de justice a sanctionné la mauvaise exécution de son premier arrêt en manquement concernant le régime des zones de transit 22, en infligeant à la Hongrie des astreintes de 1 million d’euros par jour au total et une somme forfaitaire de 200 millions d’euros, la Cour européenne des droits de l’homme répond à son tour à l’inflexibilité du gouvernement défendeur, en le sommant au titre de l’article 46 de la Convention de « prendre des mesures immédiates et appropriées » afin de prévenir toute nouvelle expulsion collective et de garantir un accès véritable et effectif à la procédure d’asile (§ 164). Si nécessaire soit elle, il est à craindre toutefois que cette admonestation reste sans effet, quand bien même le Comité des ministres se résoudrait à introduire le recours prévu à l’article 46§4 de la Convention, pour faire judiciairement constater la défaillance de l’Etat défendeur, comme il semble l’avoir envisagé, lors de sa dernière réunion de suivi en septembre 2025, en l’absence de progrès tangible d’ici septembre 2026 23.
B) Un contrôle mitigé sur les opérations maritimes de réacheminement, d’interception et de secours
11. Condamnation sélective d’un recours à la force meurtrière lors d’une opération d’interception – Relatif à la mort accidentelle en 2015 du fils mineur des requérants, victime collatérale du tir d’un garde-côte visant le skipper d’un bateau impliqué dans le trafic de migrants en Méditerranée, l’arrêt du 25 mars 2025, Almukhlas et Al-Maliki c/ Grèce (n°22776/18) s’inscrit dans une jurisprudence classique concernant le recours à la force meurtrière par des agents de l’État, sans que le contexte de l’affaire (une interception dans le cadre d’une opération de surveillance des frontières maritimes coordonnée par Frontex) n’apporte vraiment de nouveaux développements à l’interprétation du droit à la vie. Les faits eux-mêmes n’ayant malheureusement rien d’inédit, il n’est certes pas sans intérêt que, s’agissant des obligations positives matérielles pesant sur les autorités nationales, la Cour retienne que les garde-côtes auraient dû, sinon présumer, du moins envisager l’éventualité que d’autres passagers se trouvaient cachés à bord du navire (§ 147) et qu’elle fustige la priorité donnée à l’arrestation des trafiquants (§ 149) : la conduite d’une intervention qui n’a pas « fait l’objet d’une préparation particulière ou d’un contrôle spécifique », propre à réduire au minimum les risques pour la vie, est en conséquence fermement condamnée (§ 152 et § 155). Malgré l’importance de cette conclusion, il est cependant regrettable qu’à défaut d’enquête interne approfondie et effective, permettant d’établir certains faits au-delà de tout doute raisonnable, l’État soit en revanche dédouané d’un recours excessif à la force dans les circonstances de l’espèce (§ 141 et § 156), contrairement à ce qui avait pu être précédemment jugé dans une affaire assez analogue 24. Car si une juridiction internationale n’est sans doute pas en mesure d’assumer des fonctions équivalentes à celles d’un juge national d’instruction, un tel « non liquet» n’a pas moins pour fâcheuse conséquence de doter, in fine, l’infraction à l’article 2 sous son volet procédural d’un effet partiellement exonératoire à l’égard de la violation alléguée du volet matériel 25. Encore ce paradoxe n’est-il ni le plus cinglant, ni le plus frustrant.
12. Incompétence à l’égard des « refoulements par procuration » dans le cadre des opérations de secours – En effet, tout en répétant que « la spécificité du contexte maritime ne saurait aboutir à la consécration d’un espace de non-droit au sein duquel les individus ne relèveraient d’aucun régime juridique susceptible de leur accorder la jouissance des droits et garanties prévus par la Convention » (§ 111), la décision du 12 juin 2025, S.S. et autres c/ Italie(n°21660/18) fait pourtant mentir l’adage « ubi jus, ibi remedium », selon lequel là où il y a un droit, il doit exister une voie de recours.
En l’espèce, les requérants reprochaient à l’Italie de les avoir exposés en 2017 à un danger de mort et à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, en laissant aux autorités libyennes le soin de veiller au sauvetage du canot sur lequel ils avaient embarqué avec une centaine d’autres passagers pour tenter de rejoindre clandestinement l’Europe, lorsque leur bateau a menacé de sombrer dans les eaux internationales. À travers ce cas, qui se situe au carrefour du droit international de la mer, du droit international des réfugiés, du droit de l’Union et du droit de la Convention, la justice européenne des droits l’homme se voyait donc saisie des conséquences délétères d’une externalisation des opérations maritimes en Méditerranée centrale, dont le résultat est qu’en 2019, par exemple, 58% de celles et ceux qui avaient quitté la Libye par la mer y ont ensuite été débarqués de nouveau, généralement après interception ou sauvetage par les garde-côtes libyens 26. Sachant combien l’Italie, en particulier, s’est investie pour appuyer la mise en place d’une vaste zone de recherche et de secours libyenne en 2018 et améliorer les capacités de patrouille de ce douteux partenaire 27, bien qu’il soit de notoriété publique que la Libye bafoue les droits les plus fondamentaux des demandeurs d’asile, des réfugiés et des migrants, pareille politique – appuyée par l’Union européenne – avait certainement de quoi s’analyser en substance comme une forme de « refoulement par procuration ».
À la différence de l’interdiction des « refoulements indirects » 28, l’intronisation du concept en droit de la CEDH se heurte toutefois à la question primordiale, sine qua non, de savoir si un État partie peut être considéré comme ayant exercé une juridiction extraterritoriale, au sens de l’article 1 de la Convention, du seul fait qu’il initie une procédure de secours en haute mer et délègue une opération à des autorités tierces auxquelles il a précédemment fourni un soutien économique, logistique et technique. Une réponse positive aurait supposé que la Cour s’émancipe de ce qu’elle entend traditionnellement par un contrôle effectif en dehors des frontières, soit sur une zone, soit sur la personne des victimes. Or, malgré les parallèles (au demeurant, parfois assez hasardeux) plaidés en ce sens par les différents tiers intervenants ou les requérants et des arguments pris notamment des travaux de la Commission du droit international en matière de responsabilité des États, il était douteux qu’elle accepte de franchir un tel Rubicon, vu que – de la décision de Grande chambre du 5 mai 2020, M.N. et autres c/ Belgique 29, à celle du 9 avril 2024, Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres 30, en passant par l’arrêt du 14 septembre 2022, H.F. et autres c/ France 31 – la jurisprudence européenne récente tend au contraire à camper sur ses positions. Aucun des critères consacrés ne trouvant à s’appliquer dans la configuration litigieuse, la requête achoppe ainsi sur une irrecevabilité ratione personae, qui – pour s’entourer de certains accents compassionnels (§ 109) ou de pieuses observations (§ 111) – s’en tient malgré tout au principe selon lequel la Cour ne saurait s’ériger en gardienne d’autres obligations internationales extérieures à la Convention, ni être liée par les interprétations d’autres organes (§ 113).
En définitive, cette déclaration d’incompétence, qui peut au moins se réclamer d’une certaine cohérence (la délimitation de la notion de juridiction se confirmant au passage comme une question réfractaire au jeu des références croisées), était peut-être inévitable. Cela n’empêche pas qu’elle a ceci de pernicieux, non seulement de laisser subsister un vide en termes de mécanisme de garantie, mais aussi d’offrir aux États européens un motif supplémentaire d’abandonner les secours en mer Méditerranée à leurs partenaires d’Afrique du Nord en les assurant d’échapper par là à toute mise en cause de leur propre responsabilité au regard de la Convention. Aussi la décision S.S. et autres est-elle loin de vérifier l’image de censeur illégitime et intrusif des politiques migratoires nationales dont le gouvernement défendeur et d’autres ont affublé la juridiction européenne à travers la fameuse lettre des Neuf (voy. supra, l’introduction de T. Larrouturou, § 2), mais qu’une autre décision importante, rendue quelques semaines plus tôt, contribuait déjà à infirmer au sujet des opérations de réacheminement à la frontière.
13. Valorisation des recours internes à l’égard des opérations réacheminement à la frontière – À cet égard, le premier intérêt de l’affaire Mansouri c/ Italie (n°63386/16) tient à son contexte et à son objet, qui ont probablement pesé dans le choix de la chambre de se dessaisir : d’une part, était pour la première fois mise en cause l’exécution de l’obligation de réacheminement qui, en vertu de dispositions législatives internes mettant en œuvre l’acquis Schengen 32, s’impose aux transporteurs, notamment maritimes, lorsqu’ils ont embarqué un ressortissant de pays tiers auquel l’entrée aux frontières extérieures est refusée par décision immédiatement exécutoire 33 ; d’autre part, était directement portée devant la Cour la violation alléguée de deux « core rights », le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5§1, § 2, § 4 et § 5 CEDH) et l’interdiction des traitements dégradants (art. 3 CEDH), au regard du confinement auquel le requérant avait été soumis durant sept jours à bord du navire de croisière italien chargé de le réacheminer vers Tunis, suite à la décision de la police des frontières italiennes de lui refuser l’entrée. Dans ces circonstances, l’apport de la décision rendue en Grande chambre, le 29 avril 2025, se concentre alors à titre principal sur le non-épuisement préalable des voies de recours internes qui est opposé aux griefs pris d’une privation de liberté illégale 34.
Une nouvelle fois, en effet 35, la Cour semble plus encline qu’auparavant à admettre l’effectivité des remèdes juridictionnels offerts sur le plan national. Examinant en premier lieu le recours indemnitaire indiqué par le gouvernement défendeur, dans la mesure où le confinement du requérant avait déjà pris fin au moment de l’introduction de la requête, elle considère ainsi que trois décisions de la Cour d’appel de Rome – même postérieures aux faits de l’espèce et relatives à des cas distincts de rétention administrative – attestent « avec un degré suffisant de certitude » de la compétence des juridictions civiles pour sanctionner des privations de liberté irrégulières et accorder, le cas échéant, une réparation du préjudice subi (§ 98), sans que l’absence de précédents jurisprudentiels dans le domaine spécifique des renvois immédiats d’étrangers à la frontière ne lui apparaisse dirimante (§ 99). Se tournant en second lieu vers le recours préventif qui lui a été signalé, elle s’abstrait de la même manière de l’absence de tout exemple dans lequel le juge civil statuant en référé aurait ordonné la remise en liberté de la personne intéressée (§§ 105-106). Sur les deux plans, le principe se retrouve que, dans un ordre juridique où les droits fondamentaux sont protégés par la Constitution, il incombe à l’individu lésé d’éprouver l’ampleur de cette protection, en donnant aux juridictions nationales la possibilité de faire évoluer ces droits par la voie de l’interprétation 36 et en dissipant par leur saisine tout doute éventuel quant à l‘efficacité d’une voie de droit déterminée.
En l’occurrence, cependant, il n’en va pas seulement du respect du principe de subsidiarité, dont la Grande chambre tient à préciser qu’il s’impose d’autant plus dans le domaine du contrôle des frontières nationales (§ 113). Car l’implication du droit de l’Union européenne constitue un second motif, plus inédit, de valoriser le rôle des tribunaux nationaux, auxquels l’opportunité doit être donnée de statuer sur l’interprétation des dispositions du code Schengen et sur leur compatibilité avec le respect des droits fondamentaux, « le cas échéant par la voie d’un renvoi préjudiciel devant la CJUE » (§ 114). L’obligation d’épuisement préalable des griefs et des instances dans l’ordre juridique interne, imposée par l’article 35§1 de la Convention, prend alors une nouvelle dimension, en devenant la clé à la fois du partage vertical des responsabilités entre le juge interne et la Cour et de l’articulation horizontale entre le système de la CEDH et celui de l’Union.
C) Une censure ciblée des procédures de détermination de l’âge des migrants se déclarant mineurs non accompagnés
14. Sanction d’une insuffisance des garanties procédurales – Dans le sillage de l’arrêt du 21 juillet, Daboe et Camara c/ Italie 37, qui a incorporé la présomption de minorité applicable aux étrangers se déclarant mineurs non accompagnés à la protection du droit au respect de la vie privée (§ 153) et en a déduit diverses obligations procédurales lorsque des doutes rendent nécessaire une évaluation de leur âge, les deux arrêts du 16 janvier 2025, A.C. c/ France (n°15457/20) et du 6 mars 2025, F.B. c/ Belgique (n°47836/21) ont en commun de condamner les conditions dans lesquelles de telles vérifications se sont appliquées à deux jeunes ressortissants guinéens se disant âgés de 16 ans, entrainant la cessation de plein droit de la prise en charge dont ils avaient initialement bénéficié à ce titre 38.
Bien que l’article 8 de la Convention soit réputé ne contenir aucune obligation de résultat d’ordre matériel concernant la protection à accorder aux mineurs non accompagnés (Arrêt A.C. c/ France, § 160), la fermeté de ces constats successifs de violation témoigne de la vigilance de la Cour à l’égard de tout ce qui touche à l’identification de sujets particulièrement vulnérables 39 et de son souci d’empêcher qu’aucun enfant soit indument privé de la protection à laquelle il a droit, faute de garanties suffisantes lors de la procédure censée déterminer son état de minorité. Cependant, analysés plus en détail, les motifs de violation témoignent d’une certaine autolimitation judiciaire qui échoue à vraiment vider l’abcès. Car si les exigences procédurales impliquées par le respect de la vie privée ne donnent en soi guère prise à la marge d’appréciation reconnue aux autorités nationales sur le plan des principes 40, cette dernière se ressent d’une autre manière, à travers une soigneuse délimitation des défaillances reprochées aux États défendeurs.
15. Mise en cause indirecte du cadre législatif belge prévoyant un recours immédiat à un triple test osseux – Aux termes de l’arrêt F.B. c/ Belgique, la Cour n’entend ainsi pas se prononcer sur la fiabilité des tests osseux (§ 94) et même si elle se permet de souligner que les principes de nécessité et de proportionnalité des ingérences interdisent d’y recourir « immédiatement » (§ 92), contrairement à ce que prévoit le droit belge (§ 91), surtout quand le consentement à un examen médical aussi invasif qu’une triple radiographie – d’abord de la main et du poignet, ensuite de la clavicule, et enfin de la mâchoire et de la dentition – n’est pas toujours formellement requis en pratique (§ 90), c’est seulement en tant qu’élément d’examen du cas d’espèce, sans s’attaquer frontalement au dispositif législatif applicable (à charge, donc, pour le Comité des ministres du Conseil de l’Europe de veiller, dans l’exercice de sa mission de suivi, à ce que le gouvernement belge tire bien toutes les conséquences nécessaires de l’arrêt).
16. Manquements d’espèce à l’obligation d’informations appropriées et suffisantes malgré les garanties a priori satisfaisantes du cadre législatif français – Dans l’affaire A.C., le cadre juridique français donne certes lieu, en revanche, à une « identification » préalable (§§ 165-166), dont il ressort qu’il assure en principe aux mineurs étrangers non accompagnés les garanties procédurales minimales requises par l’article 8 de la Convention (§ 172 et § 176). Fondé sur une lecture plutôt cursive du droit interne, ce brevet de conventionnalité in abstracto occulte toutefois diverses ambiguïtés qui grèvent le régime de la présomption de minorité en France, telles que son défaut de reconnaissance formelle dans la loi 41 ou le pouvoir qui est attribué à l’autorité administrative compétente en matière de prise en charge des mineurs isolés étrangers, c’est-à-dire le président du Conseil départemental, de la renverser avant toute décision judiciaire définitive sur l’âge de l’intéressé, sans que les recours disponibles – dénués d’un effet suspensif de plein droit – offrent nécessairement une compensation suffisante 42.
En outre, loin d’être l’occasion pour la Cour d’y revenir par la petite porte, le contrôle in concreto des garanties fournies au requérant s’entoure au contraire d’une double limite. Primo, en l’absence d’une demande d’asile, la juridiction européenne choisit de ne pas faire porter son examen sur les mêmes aspects que ceux retenus dans l’affaire Darboe et Camara et passe donc en l’occurrence sur le fait que le régime juridique applicable aux mineurs isolés étrangers, ne prévoit pas de désignation ab initio obligatoire d’un représentant légal (§ 171). Secundo, à se focaliser sur la question de savoir si l’intéressé a bénéficié d’informations adéquates de nature à lui permettre d’assurer effectivement la protection de ses intérêts au cours du processus décisionnel (§ 172), elle n’envisage pas non plus les conséquences d’une détermination erronée de l’âge, qui en l’occurrence ont surtout été obviées par l’indication d’une mesure provisoire en application de l’article 39 de son règlement 43.
Au total, la Cour est donc sans doute parvenue à rendre la justice dans ces deux affaires, mais elle n’a pas complètement dit le droit, confirmant ainsi qu’elle évite plutôt de se comporter comme un jurislateur en matière migratoire 44.
Caroline Boiteux-Picheral
III – Le consentement aux rapports sexuels
Un acte sexuel doit être librement consenti : c’est en substance ce que la Cour européenne des droits de l’homme est venue par deux fois rappeler à la France en ce début d’année 2025, dans des affaires qui ne font pas honneur à celle-ci en matière de lutte contre les violences sexuelles.
17. Place du consentement dans la définition pénale du viol – A l’heure où ces lignes sont écrites, la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles n’est plus qu’à quelques jours de terminer, sauf surprise, son parcours parlementaire, à la suite de son adoption par l’Assemblée nationale dans les termes issus d’une commission mixte paritaire. Elle vise à introduire le consentement dans cette définition, à ce jour absent des articles 222-22 et suivants du code pénal. Si cette proposition de loi est promulguée, elle permettra à la France de rejoindre le cercle de plus en plus large des États ayant placé le consentement au cœur de leur définition des infractions sexuelles, et permettra peut-être de diminuer le risque de nouvelles condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme pareilles à celle résultant de l’arrêt L. et autres c/ France en date du 24 avril 2025. Était mise en cause, dans cette affaire, la réponse pénale de la France face à des accusations de viol portées par trois mineures à l’époque des faits.
L’arrêt L. et autres c/ France ne constitue pas le terrain d’une révolution de la jurisprudence de la Cour en matière d’autonomie sexuelle, puisque celle-ci a été fixée dans ses grandes lignes dès l’arrêt M.C. c/ Bulgarie de 2003 45. Il était déjà possible dans cet arrêt, rendu il y a plus de deux décennies, que « si, en pratique, il peut parfois se révéler difficile de prouver l’absence de consentement sans preuves “directes” de viol, comme des traces de violence ou des témoins directs, les autorités n’en ont pas moins l’obligation d’examiner tous les faits et de statuer après s’être livrées à une appréciation de l’ensemble des circonstances. L’enquête et ses conclusions doivent porter avant tout sur la question de l’absence de consentement » (§ 181).
C’est donc dire à quel point la foudre aurait pu tomber plus tôt sur la France, même si le défaut de consentement est de longue date pris en considération par la Cour de cassation dans sa jurisprudence. Le hasard du calendrier des requêtes soumises ici à la Cour, seulement en 2021, aura en tout cas permis à celle-ci de renforcer sa motivation avec la Convention d’Istanbul, ratifiée par la France, qui souligne la place du consentement en matière sexuelle, ainsi qu’avec les constatations de 2019 du GREVIO 46, qui a pu pointer du doigt la « forte insécurité juridique générée par les interprétations fluctuantes des éléments constitutifs » de l’infraction française de viol, laquelle ne permet pas « d’englober la situation de toutes les victimes non consentantes, notamment lorsque celles-ci sont en état de sidération ».
Il faut toutefois se garder d’un optimisme béat, qui voudrait que cette réforme législative corrige à elle seule toutes les failles qui caractérisent la lutte contre les violences sexuelles en France. L’arrêt commenté en témoigne : s’il va sans doute dans le sens de l’inscription du consentement dans la définition pénale du viol, il pointe aussi et peut-être surtout toute une série de dysfonctionnements, des enquêtes policières aux arrêts de la Cour de cassation et des juges d’instruction, qui ont eu pour effet de rendre inefficace la protection due par la France aux victimes de viol voire, plus encore, leur ont infligé une victimisation secondaire. Il est tout sauf certain qu’une loi pénale intégrant explicitement le consentement aurait empêché ces ratés en l’espèce. La question du consentement aux rapports sexuels risque de nouveau de trouver son chemin jusqu’aux arrêts de la Cour, s’agissant de la question du viol, comme elle l’a trouvé en matière de devoir conjugal.
18. Incompatibilité du « devoir conjugal » avec la Convention – Si tout bon juriste est normalement friand d’expressions latines, l’on se serait volontiers passé de lire les termes copula carnalis dans la jurisprudence de la Cour : l’« union des chairs », présente dans le droit canon, qui semble expliquer en droit français l’existence d’un « devoir conjugal » d’entretenir des relations sexuelles avec son conjoint. L’obligation en cause est jurisprudentielle mais constante, et justifiait encore récemment le divorce aux torts exclusifs de l’époux abstinent ou encore des actions indemnitaires à son endroit… Si la Cour de cassation française retient de longue date (quoique, pas si longue sans doute) le caractère répréhensible du viol entre époux (1984) et écarte dorénavant toute présomption de consentement des actes sexuels entre eux (1992), il reste là, dans ce devoir conjugal, un élément moyenâgeux que la Cour européenne des droits de l’homme a eu la main heureuse en le traitant comme tel.
La requérante, une femme dont le divorce fut prononcé aux torts exclusifs en raison de sa soustraction à ce « devoir conjugal », alléguait en l’espèce une violation de l’article 8 de la Convention. Fait exceptionnel et notable, l’ingérence litigieuse n’a pas été examinée sous l’angle des obligations positives de l’État mais sous celui de ses obligations négatives, puisque ce sont les agissements des autorités nationales qui sont ici en jeu en premier lieu, et non le comportement de l’ex-mari de la requérante.
Au stade de l’examen de la nécessité de l’ingérence, la Cour rappelle sa jurisprudence constante, selon laquelle seules des raisons particulièrement graves peuvent justifier des ingérences des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité. Le devoir conjugal est, à ce titre, fermement rejeté par la Cour : « l’existence même d’une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles ». Le juge strasbourgeois rejette fermement l’argument du gouvernement français, qu’on est peiné de lire en 2025, selon lequel le consentement au mariage emporterait un consentement aux relations sexuelles futures (sic). Cette tentative maladroite, pour ne pas dire plus, de défendre le devoir conjugal aura au moins permis à la Cour d’affirmer de manière inédite que « le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances » (§ 91). Une affirmation sans doute appelée à vivre longtemps dans la jurisprudence de la juridiction strasbourgeoise et, du moins faut‑il l’espérer, dans celle des juges judiciaires français.
Thibaut Larrouturou
IV – Agissements des agents de l’Etat
19. Exercice d’équilibriste délicat. Si le droit à la vie est bien « la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme » 47, il faut rappeler les fondamentaux et redire qu’il n’est pas absolu. Le jeu de la proportionnalité est ainsi au cœur de la jurisprudence européenne sur le recours à la force publique meurtrière. À cette aune, on comprend que le contrôle de « l’absolue nécessité », repris par les juges nationaux, peut être favorable à l’Etat mis en cause, ce dont témoigne l’arrêt Ghaoui c/ France (A). Dans un registre comparable mais différent, l’obligation de protection de la vie implique une dose de relativisation : l’obligation de prévention est en effet une obligation de moyens, qui ne doit pas imposer à l’Etat de fardeau excessif ou insurmontable. Alors qu’elle prête une attention particulière au critère de la vulnérabilité dans le contrôle du respect de cette obligation, le raisonnement de la Cour dans l’affaire Hasani c/ Suède ne peut que susciter la perplexité et nourrir des interrogations, voire des inquiétudes sur cette prise en compte (B). Enfin, la Cour a rendu son premier arrêt contre la France sur les contrôles d’identité « au faciès » qui se solde par un constat de violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 pour un seul des requérants. Celle-ci a surtout tenté d’éviter le piège d’un contrôle objectif en privilégiant une approche individualisée des situations à l’origine des violations alléguées (C).
A) Usage de la force
20. Rôle d’apaisement de la justice. On le sait, les méthodes de maintien de l’ordre en France sont régulièrement sous le feu du contrôle conventionnel 48. Encore récemment, sur le terrain de l’article 2 du Protocole n° 4 (liberté de circulation), la Cour a mis en cause la technique de l’encerclement 49. Un cas particulièrement significatif est l’arrêt Fraisse c/ France du 27 février 2025 (n°22525/21 et 47626/21), dont les faits dramatiques ont été largement médiatisés. Etait en cause le décès de Rémi Fraisse à la suite de l’utilisation par un gendarme mobile d’une arme au caractère létal, une grenade de type OF-F1, lors d’une manifestation organisée en opposition à la construction d’un barrage sur le site de Sivens. Intervenant onze après les faits, l’arrêt de la Cour condamnant la France pour violation de l’article 2 dans son volet matériel est bien construit et soigneusement motivé. Il traduit un retour à la justice et l’apaisement d’une question qui aura déchaîné les passions en France et secoué le landerneau politique.
21. Contrôle hybride du recours à la force publique meurtrière. Devant les juridictions françaises, les différentes actions engagées par les proches de la victime ne furent pas vraiment couronnées de succès. Tandis que la plainte contre le gendarme auteur du lancer de grenade auteur se solda par un non-lieu, la reconnaissance de la responsabilité sans faute de l’Etat sur le fondement de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure n’a donné lieu qu’à une indemnisation partielle en raison de l’imprudence commise par la victime qui avait rejoint le lieu des « échauffourées ». Invoquant la violation de l’article 2 de la Convention qui protège le droit à la vie, les proches de Rémi Fraisse soutenaient que le recours à la force n’était pas proportionné, conclusion partagée par le Défenseur des droits, tiers intervenant, qui avait très tôt souligné ses préoccupations quant au cadre juridique entourant le recours à la grenade offensive OF-F1 50. En ce qui concerne le volet matériel de l’article 2, la Cour européenne s’inscrit dans le sillage de son arrêt Makaratzis c/ Grèce 51, en distinguant deux étapes différentes mais intimement liées : d’une part, le cadre juridique et administratif de l’emploi de la force et, d’autre part, la préparation et le contrôle de l’opération qui a conduit au tir mortel. En d’autres termes, comme nous l’avons déjà souligné, il y a une forte imbrication d’éléments abstraits et concrets qui démontrent une nouvelle fois la difficulté à séparer ces deux modalités du contrôle européen. Avec cet angle d’approche, le contrôle de proportionnalité intègre le respect de la condition de précision du cadre juridique. Il est intéressant de relever que le Conseil d’Etat s’est approprié dès 2009 ce cadre méthodologique du contrôle européen dans une décision relative à l’utilisation des pistolets à impulsion électronique par les agents de la police nationale et municipale 52, en faisant référence aux « conditions d’emploi, de contrôle et de formation instituées par le cadre juridique ». Dans le même sens, un arrêt du 11 février 2019 concernant l’usage du LBD de 40 mm souligne que les conditions d’utilisation de cette arme de catégorie A2 « (sont) encadrées, de manière à assurer, que son usage est nécessaire au maintien de l’ordre public compte tenu des circonstances et que son emploi est proportionné au trouble à faire cesser et prend fin lorsque celui-ci a cessé » 53. On voit donc ici le juge administratif prendre le relais de la jurisprudence européenne.
22. Nouvelle condamnation de la France pour violation du droit à la vie. En l’occurrence, soucieuse du caractère sensible de l’affaire, la Cour éprouve le soin d’expliciter la portée de son contrôle en distinguant les questions de responsabilité pénale individuelle réglées au niveau national par les juridictions internes et la question de la responsabilité internationale de l’Etat du fait des agissements de ses agents pour laquelle elle est compétente (§ 116). Il ne s’agissait pas de refaire le procès du gendarme auteur du lancer de grenade. Ce rappel est bienvenu tant le rôle de la Cour est encore méconnu. N’a-t-on pas déjà entendu que tel policier a été condamné ou débouté par la Cour ! C’est dans le même esprit d’apaisement et de pédagogie qu’il faut interpréter la formule classique désormais selon laquelle il ne lui appartient pas « dans la sérénité des délibérations, (de) substituer sa propre appréciation de la situation à celle de l’agent qui a dû réagir, dans le feu de l’action, à ce qu’il percevait sincèrement comme un danger afin de sauver sa vie ou celle d’autrui » (§ 118). La cause du décès de Rémi Fraisse n’étant pas discutée par les parties, ni d’ailleurs son absence d’agressivité lors des manifestations – son seul tort a été de rejoindre la zone des affrontement, l’arrêt entre immédiatement dans le vif du sujet. Primo, faisant sienne les conclusions du Défenseur des droits, la Cour estime que le cadre juridique applicable au moment des faits était « complexe » et « lacunaire » (§§ 122-123) en ce qu’il ne permettait pas aux forces de l’ordre de « déterminer en pratique quelle arme était la mieux adaptée à la menace ni pour en faire un usage réellement gradué ». Le flou régnait. Preuve en est : l’usage de la force lors des d’attroupements était régi par plusieurs dispositions « dont la combinaison rendait le cadre juridique applicable complexe » (§ 122). Nous employons le passé à dessein car la grenade OF-F1 a été retirée de la liste des armes à feu pouvant être utilisés pour le maintien de l’ordre public le 1er décembre 2014. Autre modification notable, depuis le 8 mai 2021, l’article R. 211-21 du code de sécurité intérieure est plus précis sur les règles de sommation avant l’emploi de la force, alors qu’au moment des faits le même code permettait une dispersion par la force avec ou sans avertissement par des agents attaqués ou placés dans l’impossibilité de défendre leur position. Secundo, sur des aspects plus concrets, l’arrêt relève plusieurs défaillances dans l’encadrement dans la préparation et la conduite des opérations, qu’il s’agisse l’absence de formation des gendarmes sur la dangerosité des grenades OF-F1 ou, plus problématique encore, l’absence de l’autorité civile sur les lieux au moment des faits litigieux qui a perturbé toute la chaine de commandements (§ 131). Là encore, le droit a évolué puisqu’une note du ministre de l’Intérieur du 2 mai 2017 prévoit qu’en cas d’absence du préfet sur place lors des situations les plus difficiles, un membre du corps préfectoral le remplace. La violation de l’article 2 dans son volet matériel est sans appel et confirme que la France ne saurait être comparée à un élève modèle en matière de maintien de l’ordre. Sans y faire référence, l’arrêt donne l’impression de pointer du doigt une défaillance systémique du droit français. Le souci d’apaisement relevé plus haut, comme les modifications du droit français postérieurs aux faits, expliquent sans doute l’absence de cette terminologie. Ceci expliquant au passage l’absence d’indication de mesures d’exécution de caractère général. En revanche, la Cour ne conclut pas à une violation du volet procédural de l’article 2, la procédure prise dans son ensemble n’ayant pas été entachée d’aucun manquement à l’indépendance et à l’impartialité.
23. Réalisme de la Cour dans l’affaire Ghaoui. Le constat de non-violation de l’article 2 dans l’affaire Ghaoui c/ France (16 janv. 2025, n°41208/21), dans laquelle le requérant est devenu paraplégique à la suite du tir d’un policier en état de légitime défense face à la voiture avec laquelle il heurta un policier en tentant d’échapper à un contrôle, est-on ne peut plus logique. Le réalisme de la Cour n’est certes pas nouveau. Au premier chef est ainsi mis en exergue le principe selon lequel « elle ne saurait, en réfléchissant dans la sérénité des délibérations, substituer sa propre appréciation de la situation à celle de l’agent qui a dû réagir, dans le feu de l’action, à ce qu’il percevait sincèrement comme un danger afin de sauver sa vie ou celle d’autrui » (§ 109), posé de longue date. Tout laissait à penser en l’espèce que le recours à un moyen de défense potentiellement meurtrier était justifié et proportionné dans la mesure où le policier a dû réagir, dans le feu de l’action, à ce qu’il a perçu sincèrement comme un danger afin de sauver sa vie ou celle d’autrui. La Cour européenne rejoint ainsi la solution de la Cour de cassation qui avait jugé, au visa de l’article 2 de la Convention que « le fonctionnaire de police a agi dans l’absolue nécessité de protéger son collègue et n’a pas disposé du temps utile pour effectuer des sommations, la légitime défense d’autrui étant ainsi caractérisée, la chambre de l’instruction qui a répondu aux articulations essentielles du mémoire produit par la partie civile, a justifié sa décision ». Qui plus est, l’arrêt rappelle l’absence d’obligation à la charge des Etats d’utiliser l’usage de moyens neutralisants avant de se servir d’armes à feu. À partir de ces prémisses, la Cour européenne n’a aucune difficulté à conclure à la non-violation de l’article 2. Bref, l’arrêt Ghaoui confirme que, contrairement à une idée reçue, les forces de police ne sont pas maltraitées par la Cour européenne des droits de l’Homme (C. Laurent-Boutot, préc), qui est particulièrement sensible aux difficultés dans lesquelles elles exercent leurs missions.
B) Obligation de protection de la vie
24. Vulnérabilité multiple. La Cour européenne a toujours attaché une grande importance, du moins verbalement, au critère de la vulnérabilité dans son appréciation du respect de l’obligation de prévention. Mais cet attachement semble bel et bien erratique. C’est précisément ce qui ressort de l’arrêt du 6 mars 2025 Hasani c/ Suède (n°35950/20) concluant à la non-violation de l’article 2 à propos du suicide d’un demandeur d’asile (A.H.), atteint de troubles mentaux, à la suite du rejet de sa demande de protection internationale par les autorités suédoises. En statuant de la sorte, le juge européen apporte une limitation sérieuse au jeu de l’obligation de prévention d’individus en situation de « vulnérabilité exceptionnelle », alors que partout en Europe les tentatives de suicide des demandeurs d’asile se multiplient. La construction de l’arrêt est hautement problématique puisqu’il annonce des principes très fermes sur l’appréciation de l’obligation de prévention, avant d’en retenir une interprétation très souple dans les circonstances de l’espèce. Tout d’abord, fidèle au processus d’effectivité appliqué à la lecture des obligations positives opposables aux Etats au titre de l’obligation de vigilance, la Cour européenne estime que l’obligation positive de prendre des mesures opérationnelles préventives pour protéger un individu contre lui-même n’est pas limitée aux situations de privation de liberté, de service militaire ou de soins psychiatriques (§ 64). En l’espèce, au moment du suicide, A.H. n’était pas pris en charge dans un établissement de soins spécialisés mais vivait dans un logement avec son frère mis à disposition par les autorités. Pour la Cour, cela n’est pas de nature à exonérer les autorités du respect de l’obligation de prévention 54. Autre précision importante, l’arrêt reconnaît qu’en tant que demandeur d’asile, A.H. était une personne vulnérable. À bien y regarder, cette vulnérabilité était multiple puisqu’il était très jeune, affecté d’un handicap visuel important et de problèmes de santé mentale (§§ 63-64).
25. Interprétation restrictive du risque immédiat. À partir de là, l’Etat défendeur-t-il manqué à son obligation positive de prévention ? Etant précisé que pour constater un tel manquement, il faut se convaincre que lesdites autorités savaient ou auraient dû savoir que A.H. présentait un risque réel et immédiat de suicide et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient pallié ce risque. Dans un premier temps, l’arrêt semble répondre par l’affirmative en relevant que compte tenu de nombreux comportement d’automutilation et de tentatives de suicide, le risque était connu par les autorités qui n’ont pas procédé à un « examen approfondi de l’état mental de A.H. (qui) n’a jamais été mis en contact avec des services de soins psychiatriques » (§ 75). Mais interprétant de la façon la plus restrictive qu’il soit le risque « immédiat », la Cour juge, sans explication véritable, qu’il faut prendre en compter les derniers jours du décès de la victime (intervenu le 20 septembre 2017). Tirant argument de son nouveau logement plus adapté à ses besoins, de l’absence de tentative de suicide lors de cette période de référence et du nécessaire respect de l’autonomie personnelle 55, la Cour conclut à l’absence de violation de l’article 2 (§ 76). Or, c’est précisément là que le bât blesse puisque, comme l’ont relevé les trois juges dissidents, l’abaissement du niveau de protection accordé par l’article 2 est ici flagrante. La circonstance que A.H. n’était pas sous le contrôle exclusif des autorités semble agir comme une circonstance exonératoire pour les autorités nationales. Le moins que l’on puisse dire est que la délimitation temporelle à laquelle procède la Cour est artificielle dans la mesure où elle fait fi de l’attitude des autorités depuis février 2017, date correspondant aux premières manifestations de détresse mentale d’A.H. En avril et juin 2017, celui-ci déclara lors d’entretiens devant l’office des migrations « que s’il était expulsé, il se suiciderait ». Alors même qu’elle relève « l’absence apparente de directives ou de procédures de l’Office des migrations pour rendre des décisions négatives aux demandeurs d’asile qui ont manifesté des tendances suicidaires et pour les contacts avec des institutions de soins psychologiques ou psychiatriques », la Cour n’en tire aucune conséquence. Que dire enfin des vulnérabilités multiples de la victime, évoquées par l’arrêt, qui relèvent plus ici de l’emphase rhétorique que d’un critère véritablement opérationnel de l’appréciation du respect de l’obligation de prévention. Bref, la lecture de l’arrêt donne à voir un juge européen très modéré, pour ne pas dire timide, dans l’exercice de son contrôle du respect de l’obligation de prévention au sens de l’article 2 de la Convention.
C) Contrôle d’identité
26. L’approche équilibrée de la Cour. Le 26 juin 2025, la Cour, statuant en chambre, a rendu son arrêt très attendu Seydi et autres c/ France (n°35844/17) : il s’agit en effet de la première affaire dans laquelle le juge européen avait à connaître de la question des contrôles d’identité discriminatoire en France. Clairement invitée par les requérants, se disant victimes de contrôle d’identité discriminatoires (art. 14 combiné avec art. 8), et par le Défenseur des droits, agissant en tant que tiers intervenant, à reconnaître l’existence d’une discrimination systémique, la Cour s’y refuse en reconnaissant toutefois pour l’un des requérants une présomption de traitement discriminatoire, lequel avait fait l’objet de trois contrôles d’identité dans le centre-ville de Besançon en l’espace de dix jours. Il semble ainsi que tout le monde ait pu sauver la face : la Cour, tout d’abord, qui a condamné la France en appliquant sa jurisprudence antérieure ; l’Etat défendeur, qui insistait sur le caractère exceptionnel des contrôles d’identité discriminatoires. Cette réalité a souvent été ignorée dans la présentation de l’arrêt de la Cour le plus souvent analysé comme une condamnation sans appel de la France.
L’arrêt ayant déjà été largement commenté, nous voudrions ici insister sur quatre points qui permettent de mieux comprendre la portée de cet arrêt.
1/ En premier lieu, contrairement à d’autres affaires comparables déjà examinées par la Cour de Strasbourg 56, les requérants n’ont pas emprunté la voie de l’action pénale pour se plaindre de contrôles d’identité discriminatoires. En l’occurrence, ils ont saisi les juridictions civiles pour engager la responsabilité de l’Etat au sens de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire qui lui impose de réparer dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice, la Cour de cassation appliquant dans ce domaine un régime de responsabilité pour faute lourde. C’est au regard de ce cadre juridique que la Cour examine le grief formulé par les requérants. Ce point est singulièrement important puisque les requérants comme le Défenseur des droits développaient des arguments sur la conventionalité in abstracto du régime juridique général encadrant les contrôles d’identité en France. La Cour a tenté d’éviter autant que possible ce débat.
2/ En second lieu, rappelant qu’un contrôle d’identité par les forces de police peut relever du champ de la vie privée, l’arrêt précise au § 72 que « la notion de vie privée recouvre également le droit au développement personnel et le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur. Le respect de ces droits est l’une des exigences fondamentales du « vivre ensemble » dans une société démocratique ». La formule, qui n’est pas inédite, confirme que l’application du concept du vivre-ensemble n’a pas vocation à rester limitée à la seule problématique du port des signes religieux et que vivre-ensemble et égalité sont indissolublement liées. Ainsi, le vivre-ensemble n’a certainement pas fini de se déployer dans la jurisprudence européenne…
3/ En troisième lieu, l’arrêt Seydi est très instructif sous l’angle des rapports de systèmes. Le fait est que si la Cour européenne estime que le cadre juridique et administratif interne applicable à l’époque des faits était compatible avec les exigences conventionnelles de l’article 14 combiné avec l’article 8, c’est en grande partie parce qu’elle s’est intéressée au régime prévu par l’article 78-2 du code de procédure pénale tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel (§ 102). Comme on le sait, dans une décision du 5 août 1993, celui-ci avait formulé une réserve d’interprétation soulignant que « la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle ; que s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ». Selon Patrick Wachsmann, cette réserve avait « pour effet d’interdire les contrôles qui seraient uniquement destinés à traquer les immigrés clandestins, puisque, dans un tel cas, ne pourrait être invoquée aucune des circonstances particulières requises par le Conseil constitutionnel » 57. De même, il est intéressant de constater que la Cour reprend à son compte la conclusion du Conseil d’Etat selon laquelle s’il existe bien une pratique de contrôles d’identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, elle ne saurait être qualifiée de « systémique » ou « généralisée » 58. À l’inverse, sur certains points comme l’absence de traçabilité administrative des contrôles d’identité, l’approche développée par les juridictions françaises et reprise par la Cour semble en deçà des standards de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe 59. Au regard des conclusions du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale dans le cadre de l’examen du 6ème rapport périodique de la France, on peut également avancer sans grands risques que le sort réservé aux plaintes présentées par cinq associations et ONG en avril 2024 dénonçant des contrôles au faciès sera plus favorable aux requérants.
4/ En quatrième lieu, en ce qui concerne le régime de preuve applicable au contrôle au faciès, l’arrêt se place sous les auspices de l’arrêt Wa baile c/ Suisse précité en considérant que lorsqu’un requérant apporte un commencement de preuve de l’existence d’une discrimination, la charge de la preuve est transférée au Gouvernement (§ 107). Dans cette affaire d’ailleurs, le juge européen s’était montré plus rigoureux dans l’application de ce régime probatoire que dans de précédentes affaires puisqu’il avait tiré argument de l’absence de motif valable du contrôle d’identité du requérant pour établir une présomption de traitement discriminatoire. In specie, dès lors que les juridictions françaises se sont bien mises au diapason des standards européens de preuve et ont recherché pour chaque requérant si des motifs discriminatoires ont joué un rôle dans les contrôles d’identité litigieux, le rôle de la Cour se limite à vérifier les modalités de ces différents contrôles afin de vérifier l’existence d’une présomption de traitement discriminatoire (§ 112). Or, pour les quatre premiers requérants, bien que les contrôles aient donné lieu à des propos déplacés et menaces, rien ne révélait dans leur justification et leur déroulement l’existence d’une différence de traitement (contrôle réalisé à la suite du signalement d’une infraction ; dans un contexte de menace à l’ordre public). En revanche, pour M. Touil, outre que les contrôles d’identités litigieux étaient problématiques du point de vue de leur base légale, le déroulement de l’un de ces contrôles a donné lieu à des violences verbales et physiques. Pour ce seul requérant, l’arrêt constate une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8. Il serait évidemment naïf et excessif de prétendre que la Cour condamne l’attitude des autorités françaises en matière de profilage racial. Alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que des opinions séparées mettent en cause un standard européen fort accommodant pour l’Etat français en ce qu’il minorerait la réalité des contrôles d’identité dans le contexte français, la seule opinion séparée de la juge Mourou-Vickstrom écrit que « le constat de non-violation aurait (…) dû être étendu à l’ensemble des requérants, et les critères auraient dû être resserrés, précisés au lieu d’être fluidifiés au risque d’affaiblir lourdement les exigences en matière probatoire. Les allégations de « discrimination au faciès » lors des contrôles d’identité par les forces de police sont un sujet important scruté dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. La preuve et son régime doivent rester au centre de ces questions ».
Mustapha Afroukh
V – Economie et CEDH
27. Valorisation du bien-être économique au détriment des droits. L’arrêt rendu en grande chambre le 1er avril 2025 Ships Waste Oil Collector B.V. et autres c/. Pays-Bas 60 passera assurément à la postérité par cela seul fait qu’il précise le degré de protection du droit au respect de la vie privée des personnes morales, dans une affaire très sensible – le Royaume-Uni a d’ailleurs présenté des observations comme tiers-intervenant – concernant le transfert, au profit de l’Autorité de la concurrence, de données issues d’écoutes téléphoniques interceptées lors d’enquêtes pénales visant plusieurs sociétés soupçonnées d’infractions de faux en écritures et d’implication dans des pratiques de traitement des déchets polluants contraires à la législation sur la protection de l’environnement. Sur la question de la conformité de ce transfert aux exigences de l’article 8, deux points retiennent l’attention. En premier lieu, s’agissant des principes applicables à de tels transferts de données, l’arrêt retient que « si les normes élaborées pour régir les mesures de surveillance secrète constituent un cadre utile aux fins de son appréciation, elles doivent être adaptées aux spécificités du transfert de données interceptées d’une autorité chargée de veiller au respect de la loi à une autre. Dans cette optique, elle tiendra également compte des normes applicables à la protection des données » (§ 155), ce qui permet à la Cour d’insister sur les qualités que doit revêtir le droit interne : définition précise des conditions précises dans lesquelles peut avoir lieu un transfert ; garanties applicables à l’examen des données interceptées, à leur conservation, à leur utilisation, à leur communication à des tiers et à leur destruction ; contrôle juridictionnel ou par un organe indépendant. En second lieu, en l’espèce, la Cour estime que l’absence de motivation des transferts litigieux a été compensée par un contrôle juridictionnel a posteriori portant sur leur légalité et leur nécessité dans une société démocratique (§ 189 et s.), ce qui est loin d’être évident. L’effectivité d’un contrôle juridictionnel n’est-elle pas définitivement compromise par l’absence de motivation ? À cela s’ajoute un constat de non-violation de l’article 8 qui concerne l’ensemble des sociétés requérantes. Or, pareille approche englobante perturbe au plus haut point tant certaines ingérences dans l’exercice du droit au respect de la vie privée étaient spécifiques. Par exemple, et comme l’ont relevé les juges dissidents, certaines sociétés avaient fait l’objet de consultations exploratoires avant même la délivrance d’une autorisation de transfert délivrée par le parquet. L’opinion dissidente des juges Guyomar et Ravarani portent notamment sur ce point.
L’immixtion de la préoccupation économique dans tous les domaines du droit n’est plus à démontrer 61. Aussi le contentieux européen des droits de l’homme, aussi spécifique soit-il, n’échappe pas à une telle lame de fond. Dans l’arrêt Ships Waste Oil Collector B.V. et autres c/ Pays-Bas, le bien-être économique s’attachant à l’application effective du droit de la concurrence est ainsi préservé. Ce faisant, l’arrêt s’inscrit dans un mouvement de prise en compte de la logique économique dans la jurisprudence conventionnelle. Comme a pu l’écrire O. Baillet, « en acceptant d’assimiler des objectifs de régulation économique, comme ceux poursuivis par le droit de la concurrence ou le droit financier, à ceux traditionnellement poursuivis par le droit pénal, la Cour banalise l’économie au profit des bénéficiaires des droits » 62.
28. Fin de la distinction entre personnes physiques et morales dans l’application de l’article 8 ? Cette logique tentaculaire de l’économie va même jusqu’à affecter une différence essentielle entre le droit au respect de la vie privée des personnes physiques et celui des personnes morales. On se souvient de la célèbre formule de l’arrêt Uj c/ Hongrie (19 juill. 2011) selon laquelle « il existe une différence entre les intérêts commerciaux d’une entreprise en matière de réputation et la réputation d’un individu en ce qui concerne son statut social. Alors que ce dernier peut avoir des répercussions sur la dignité d’une personne, pour la Cour, l’intérêt de la réputation commerciale est dépourvu de cette dimension morale ». Il s’agissait ici de distinguer leur droit à la réputation. Pour la Cour, ce qui importe désormais, ce n’est pas la nature physique ou morale de la personne mais la nature des données collectées. Il apparaît alors qu’une société peut faire valoir l’atteinte à des « données intimes » au même titre qu’une personne physique (§ 162 et s.). À cet égard, il n’est pas anodin de noter que les données interceptées en l’espèce ne faisaient pas partie de ce noyau dur. Selon la Cour, « les éléments transférés concernaient uniquement des activités commerciales de personnes morales ; ils ne contenaient aucune donnée pouvant être considérée comme sensible » (§ 199). Sans doute, l’arrêt rendu enrichira les débats de la doctrine française sur la question de l’existence d’un droit au respect de la vie privée des personne morales, en écho à l’arrêt Anticor rendu par le Conseil d’Etat en 2022.
29. Paradoxe conclusif. Enfin, ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir les entreprises continuer d’alimenter le contentieux européen des droits de l’homme alors même qu’il existe encore des interrogations, voire même des doutes sur la base juridique leur permettant d’accéder au prétoire strasbourgeois 63.
Mustapha Afroukh
Notes:
- https://www.governo.it/sites/governo.it/files/Lettera_aperta_22052025.pdf ↩
- Voir par exemple le Professeur Joël Andriantsimbazovina pour le club des juristes : https://www.leclubdesjuristes.com/international/pressions-politiques-sur-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-11031/ ; ou la Professeure Marion Larché pour la présente revue . ↩
- Voir le texte complet de son commentaire. ↩
- Qu’il soit permis de renvoyer à l’étude de l’un des auteurs de la présente chronique : Th. Larrouturou, « Plaidoyer pour la motivation des mesures provisoires adoptées par la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, 2023/2, no 134, pp. 343 s. ↩
- no8904/25. ↩
- nos 51567/14 et autres. ↩
- par exemple la décision Greeenpeace‑Luxembourg c/ Luxembourg en date du 29 juin 1999, no29197/95. ↩
- GC, 9 avril 2024, no53600/20. ↩
- no 52854/18. ↩
- RDLF 2022 chron. n°44. ↩
- Selon les statistiques fournies par la Cour (voy. Interim measures accepted – By respondent State and key theme from 1 January to 30 June 2025), 75 des 118 mesures indiquées en application de l’article 39 du règlement se rapportaient aux frontières, soit un taux de 63,57%. ↩
- Affaire H.M.M. et autres c/ Lettonie, n° 42165/21 ; affaire C.O.C.G. et autres c/ Lituanie, n° 17764/22 et affaire R.A. et autres c/ Pologne, n° 42120/21. ↩
- Cour EDH, décision G.R.J., § 183 ; arrêt A.R.E., § 218. ↩
- En ce sens, voy, par ex., Cour EDH, Gde ch., 13 février 2020, N.D. et N.T. c/ Espagne, n° 8675/15, §§ 84-88 ; 8 juillet 2021, Shahzad c/ Hongrie, n° 12625/17, §§ 35-40 ; 18 novembre 2021, M.H. c/ Croatie, n° 15670/18, §§ 269-273. ↩
- Cour EDH, décision G.R.J., § 182 ; arrêt A.R.E., § 217. ↩
- Ibid. ↩
- Ibid. ↩
- Cour EDH, Gde ch., 30 mars 2017, n° 35589/08, » Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Premier semestre 2017 | Revue des droits et libertés fondamentaux. ↩
- Régime restrictif et dissuasif, condamné à divers titres par la Cour EDH (Gde ch., 21 nov. 2019, Ilias et Ahmed c/ Hongrie, n°47287/15, cette Chron., RDLF 2020, n° 32, III B, et 15 déc. 2022, W.A. et autres c/ Hongrie, n°64050/16 : application automatique du concept de pays tiers sûr sans examen du risque d’un déni d’accès aux procédures d’asile en Serbie ; 8 juillet 2021, Shahzad c/ Hongrie, n°12625/17 ; 12 octobre 2023, S.S. et autres c. Hongrie, n°56417/19 et 44245/20 : mesures de rétention et d’escorte vers le côté externe de la clôture frontalière en direction de la Serbie sans décision ni examen de la situation individuelle des demandeurs ; 8 octobre 2024, M.D. et autres c/ Hongrie, n°60778/19 : détournement des déclarations volontaires de retour pour couvrir une expulsion collective à partir des zones de transit) aussi bien que par la CJUE (Gde ch., 14 mai 2020, FMS e.a., aff. C-924 et C-925/19 PPU, ECLI:EU:C:2020:367 ; CJUE, Gde ch., 17 décembre 2020, Commission européenne contre Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale I), aff. C-808/18, ECLI:EU:C:2020:1029). ↩
- CJUE, 22 juin 2023, Commission c/ Hongrie (Déclaration d’intention préalable à une demande d’asile), Aff. C-823/21, ECLI:EU:C:2023:504. ↩
- Cour EDH, Gde ch., 13 février 2020, n° 8675/15 et 8697/15, » Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Premier semestre 2020 | Revue des droits et libertés fondamentaux, IV B. ↩
- CJUE, 13 juin 2024, Commission c/ Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale II), Aff. C- 123/22, ECLI:EU:C:2024:493, pts. 68 à 70. ↩
- M.D. AND OTHERS v. Hungary. ↩
- Cour EDH, 16 janvier 2024, Alkhatib et autres c/ Grèce, n°3566/16, § 155. ↩
- Voy. à ce propos l’opinion séparée du juge Hüseynov, en particulier le pt. 15. ↩
- UNHCR, Document – Desperate Journeys – January – September 2019, p. 9. ↩
- Voy. les éléments exposés par Amnesty International et Human Rights Watch, (§ 72). ↩
- Cour EDH, Gde ch., 23 février 2012, Hirsi Jamaa et autres c/ Italie, n° 27765/09, § 146. ↩
- n°3599/18, cette Chron., RDLF 2020, n°75, III C. ↩
- Req. n°39371/20, cette Chron., RDLF 2024, n° 77, § 10. ↩
- Req. n°24384/14, cette Chron., RDLF 2023, n°25, I A. ↩
- Convention d’application de l’accord de Schengen du 19 juin 1990, JO L 239 du 22 septembre 2000, p. 1, art. 26§1, point a). ↩
- Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), JO L 77 du 23 mars 2016, p. 1, art. 14. ↩
- Les autres objections préliminaires du gouvernement, fondées sur l’absence de juridiction de l’Italie et sur la nature soi-disant purement privée des prérogatives exercées par le commandant du navire au cours de l’opération de réacheminement, se distinguent par une telle mauvaise foi qu’elles ne pouvaient qu’être lapidairement écartées. Quant aux conditions de séjour du requérant à bord du navire, où l’intéressé disposait d’une cabine de 11 m2 dont il n’est pas établi qu’il ne pouvait jamais sortir et qui était dotée de sanitaires et d’un hublot, elles n’atteignaient manifestement pas le degré de gravité requis par l’article 3. ↩
- Voy. précédemment, » Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Second semestre 2024 | Revue des droits et libertés fondamentaux, §§ 4 à 5 ; Cour EDH, Gde ch., 9 avril 2024, Duarte Agostinho et autres c/ Portugal et 32 autres, Req. n°39371/20, cette Chron., RDLF 2024, n° 77, § 10 ; Cour EDH, Gde ch., 27 novembre 2023, Communauté genevoise d’action syndicale c/ Suisse, n°21881/20, cette Chron., RDLF 2024, n° 38, § 8, obs. T. Larrouturou. ↩
- CourEDH, Gde ch., 25 mars 2014, n°17153/11, Vučković et autres c/ Serbie. ↩
- Req. n°5797/17, cette Chron, RDLF 2023, n° 25, III B 3°). ↩
- À noter que le requérant dans l’affaire française a néanmoins réussi, un an après son arrivée, à faire reconnaître sa minorité en appel. ↩
- Voy. à cet égard, Cour EDH, 28 février 2019, Khan c/ France, n° 12267/16, cette Chron., RDLF 2019, n° 47, III B. ↩
- Arrêt A.C. c/ France, § 157 ; arrêt F.B. c/ Belgique, § 72. ↩
- Aucune des initiatives parlementaires sur le sujet n’a à ce jour prospéré, qu’il s’agisse de celle déposée le 29 novembre 2022 par la députée Elsa Faucillon, Proposition de loi n° 573 visant à protéger les droits fondamentaux des mineurs non accompagnés, ou de celles successivement déposées par le député Jean-François Coulomme, le 21 décembre 2023 sous le n°2023, puis le 21 janvier 2025 sous le n 798, Proposition de loi visant à instaurer une présomption de minorité et à interdire les tests osseux. ↩
- Voy. les différentes limites pointées en l’occurrence par le Défenseur des droits, s’agissant du recours devant le juge des enfants (§§ 200-201) ainsi que les ambiguïtés signalées plus largement par F. Jault-Seseke, « Mineurs non accompagnés : l’affirmation d’une présomption de minorité », Rev. crit. DIP 2023, p. 385. ↩
- Voy. sur ce point les commentaires critiques de T. Onillon, « Les conséquences démesurées de l’erreur dans la détermination de l’âge d’un mineur non accompagné », AJDA, 2025, p. 1082. ↩
- M. Larché, « La Cour européenne des droits de l’homme n’est ni un censeur, ni un législateur », RDLF 2025, Chron. n° 42. ↩
- n°39272/98. ↩
- Le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, chargé par la Convention d’Istanbul de veiller à son application. ↩
- Pour paraphraser la Cour : 22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c/ Allemagne. ↩
- T. Larrouturou, « Violences policières », in C. Laurent-Boutot, Y. Lécuyer et D. Tharaud (dir.), Dictionnaire thématique de la CEDH, Pedone, 2022, p. 437 ; C. Laurent-Boutot, « Policiers : bien maltraités » in M. Afroukh (dir.), En finir avec les idées reçues sur la CEDH, Mare et Martin, 2024, p.277. ↩
- CEDH, 8 févr. 2024, Auray et autres c/ France, n° 1162/22, nos obs., cette Chronique. ↩
- Déf. droits, déc. MDS-2016-109, 25 nov. 2016. ↩
- 20 déc. 2004, n° 50385/99. ↩
- 2 sept. 2009, Association Réseau d’Alerte et d’Intervention pour les Droits de l’Homme, req. n° 318584 et 321715. ↩
- Décision n° 427386. ↩
- Voy. également en ce sens l’affaire Mikayil Mamadov du 17 décembre 2009 à propos d’une personne qui s’est suicidée lors de son expulsion. ↩
- Dans le domaine des violences domestiques, la Cour admet difficilement que l’Etat mis en cause s’abrite derrière le prétexte du respect de l’autonomie personnelle. L’arrêt Opuz c/ Turquie de 2009 est topique à cet égard, la Cour, soulignant « qu’une ingérence des autorités dans la vie privée ou familiale peut se révéler nécessaire à la protection de la santé ou des droits des tiers ou à la prévention des infractions pénales en certaines circonstances». ↩
- voy. par exemple nos obs. sur l’arrêt Wa Baile c/ Suisse du 20 février 2024. ↩
- « Réaffirmation par le Conseil constitutionnel du caractère limité des contrôles d’identité », AJDA, 1993, p. 815. ↩
- Décision n° 454836, Amnesty International France et autres, du 11 octobre 2023. ↩
- Voir les § 54 et s. de l’arrêt. ↩
- n°2799/16, 2800/16, 3124/16 et 3205/16. ↩
- Voir le récent manuel de Pierre-Yves Gahdoun, Droit constitutionnel de l’économie, Lexisnexis, 2023. ↩
- L’économie dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, thèse soutenue à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne le 3 décembre 2019. ↩
- Voir l’opinion dissidente très documentée du juge Serghides sur ce point. ↩


