Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Second semestre 2017
Mustapha Afroukh, Maître de conférences en droit public à Université de Montpellier, IDEDH
Céline Husson-Rochcongar, Maître de conférences en droit public à Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS,
Caroline Picheral, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier, IDEDH
Dans le registre des symboles, le second semestre 2017 aura sans conteste été marqué par le discours du premier Président français en exercice devant la Cour européenne des droits de l’homme le 31 octobre 2017. Prononcée le jour de l’application de la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, la déclaration d’Emmanuel Macron a immédiatement été décriée comme relevant d’une démarche opportuniste de défense d’un texte liberticide. Peut-être faut-il être moins cynique et reconnaître avec le Professeur Burgorgue-Larsen que « le discours du 31 octobre 2017 prononcé au palais des droits de l’homme a eu pour ambition, tout en assumant une part de tactique diplomatique, de réaffirmer haut et fort l’engagement de la France en faveur du système européen de garantie, dernier rempart contre les dérives totalitaires » 1, et, ce, dans un contexte où la Convention européenne a mauvaise presse. La défense du rôle de la Cour, la nécessité de bien exécuter ses arrêts, le dialogue des juges sont autant de sujets sur lesquels la France entend se montrer exemplaire. Sur ce dernier point, Emmanuel Macon s’est d’ailleurs engagé à ce que la France soit le 10ème État à ratifier le Protocole 16, ce qui permettra son entrée en vigueur. Une loi de ratification du protocole a été adoptée le 3 avril 2018 2. Le moins que l’on puisse dire est que l’intérêt porté au Protocole 16 n’est pas partagé par tous, de nombreux parlementaires, apparemment peu au fait du cadre conventionnel et du mécanisme de contrôle, considérant qu’il traduit un nouveau coup de canif à la souveraineté. On épargnera au lecteur la lecture des attaques les plus virulentes tant le propos est caricatural. De ce point de vue, un passage du discours du Président français retient particulièrement l’attention. Celui sur « la relation entre la souveraineté juridique des États et celle de la Cour ». A travers deux affirmations fortes, le Président français a déclaré que la Convention n’entraîne pas une perte de souveraineté : « Nous n’avons pas remis (…) entre les mains de la Cour notre souveraineté juridique. Nous avons donné aux Européens une garantie supplémentaire que les droits de l’homme sont préservés » et souligné la force du principe de subsidiarité qui valorise les juridictions nationales, « la place primordiale des juges nationaux n’est aucunement remise en cause », loin s’en faut. A l’occasion de cette déclaration, le Président a également identifié trois défis à relever : la lutte contre le terrorisme, la gestion des flux migratoires et l’état des prisons. Ces thématiques sont également des défis pour la Cour européenne. Le juge Sicilianos l’a très bien montré dans une magistrale étude publiée à la Revue trimestrielle des droits de l’homme en 2016 (« La Cour européenne des droits de l’homme face à l’Europe en crise », RTDH, 2016, p. 5). Or, en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, la jurisprudence récente a de quoi inquiéter. D’aucuns ont vitupéré, à juste titre, une diffusion préoccupante de « l’exception terroriste » au sein du droit conventionnel 3. Il reste à espérer que la Cour se montrera plus courageuse lorsqu’elle aura à examiner l’application de la législation antiterroriste adoptée au titre de l’état d’urgence ainsi que les dispositions issues de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Autre défi essentiel pour le système européen de protection des droits de l’homme, l’exécution des arrêts de la Cour 4. A cet égard, il convient de souligner que le 5 décembre 2017, le Comité des ministres a activé, pour la première fois, la procédure en manquement prévue à l’article 46 § 4 de la Convention 5, laquelle lui permet de saisir la Cour pour déterminer si un Etat a refusé de se conformer à un arrêt définitif. En l’occurrence, constatant que l’arrêt Mammadov du 13 octobre 2014 par lequel la Cour condamna l’Azerbaïdjan (pour l’arrestation et la détention arbitraires du requérant et détournement de pouvoir) n’avait toujours pas été exécuté, le Comité, après mise en demeure de l’État défendeur, a adopté une résolution intérimaire 6 à la majorité des deux tiers afin de saisir la Cour. C’est la Grande Chambre qui examinera l’affaire. Alors que l’arrêt rendu en 2014 supposait conformément à l’obligation de restitio in integrum la libération du requérant, celui-ci purge toujours une peine d’emprisonnement. Dans ces conditions, la violation de l’article 46 § 1 apparaît inévitable. Près de huit ans après la date d’entrée en vigueur du Protocole 14, il était temps que le Comité des ministres prenne enfin ses responsabilités en usant de cette procédure. Pourquoi ne pas l’avoir activé à propos d’autres cas d’inexécutions, certes plus sensibles, mais tout aussi importants ? 7. Sa première application en appellera-t-elle d’autres ? La nouvelle condamnation sera-t-elle prise en compte par un régime autoritaire peu préoccupé par le respect de la Convention européenne ? 8. Bref, le recours en manquement cessera-t-il d’être un simple tigre de papier ? A suivre donc !
Enfin, le défi de l’effectivité des droits demeure tout aussi important, surtout dans une période où cette exigence a souvent été malmenée. On ne le dit pas assez, mais l’effectivité ne concerne pas seulement le contenu du droit mais également ses conditions d’exercice. Or, de jurisprudence constante, la Cour a toujours considéré que les limitations aux droits appellent une interprétation étroite. Il en va ainsi dans le cadre de la clause d’ordre public. De même, parce qu’elle conduit à la déchéance pure et simple d’un droit, l’utilisation de la clause d’interdiction d’abus de droit doit demeurer exceptionnelle. En bonne logique, l’article 18 qui prévoit que les restrictions aux droits « ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues » devrait faire l’objet d’une interprétation rigoureuse. Or, l’arrêt de Grand chambre du 28 novembre 2017 Merabishvili c/ Géorgie (n° 72508/13) témoigne d’une certaine frilosité du juge européen. Se donnant pour but de clarifier sa jurisprudence sur l’application de l’article 18 de la Convention dans une situation de pluralité de buts, la Cour met au jour le « but prédominant », apprécié selon « la nature et le degré de répréhensibilité du but non conventionnel censé avoir été poursuivi » (§ 307). Il est dès lors assez troublant de constater que l’existence d’un but non légitime au sens de la clause d’ordre public n’est pas nécessairement contraire à l’article 18 (!). Dans une logique qui recoupe en partie la théorie de substitution des motifs en contentieux administratif, la Cour est d’avis qu’un tel but peut être couvert par un but légitime. Autant dire que le détournement de pouvoir est à géométrie variable et qu’il n’est pas ici interprété dans un sens favorable aux requérants 9. Ceci a d’ailleurs conduit à une critique assez vive des juges dissidents (au nombre de huit).
Pour la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2017, cette quatrième livraison s’articulera autour de sept thématiques qui entendent rendre compte de tendances significatives qui marquent la jurisprudence européenne : l’effectivité du système européen de protection des droits de l’homme (I), le contentieux des étrangers (II), les devoirs de l’Etat dans le domaine de la santé (III), les questions économiques et la gestion de la crise (IV), le droit au respect de la vie privée (V), la liberté de religion (VI) et la liberté d’expression (VII).
I- L’équation équivoque de l’effectivité par la subsidiarité du système européen de protection des droits de l’homme
Alors que la Cour identifie un nouveau défaut systémique dans l’accès à la justice en Russie, dû à l’absence de détermination objective et uniforme de la date à partir de laquelle les délais d’appel commencent à courir 10, l’efficacité « durable » du système de la Convention semble de plus en plus devoir reposer sur la subsidiarité 11. Cependant, il ne s’agit plus tant, alors, de concevoir le principe comme un facteur de retenue judiciaire, que d’insister sur les propres responsabilités des Etats dans la protection des droits de l’homme (A), voire – s’ils y manquent et dans l’attente qu’ils y pourvoient – de s’investir à leur place (B).
A – L’efficacité discutée de la subsidiarité comme principe de responsabilisation des Etats en matière d’exécution
Selon les points de vue, l’arrêt Burmych et al. c/ Ukraine 12 apparaîtra comme salvateur ou « sacrificiel » 13. Confrontée à une impasse, la Grande chambre y redéfinit en effet le rôle de la Cour lorsqu’à la suite d’un arrêt pilote, l’Etat défendeur n’a pas pris de mesures générales de redressement dans un délai raisonnable, avec pour conséquence d’entretenir un flux croissant de requêtes répétitives.
Celles traitées en l’occurrence procèdent d’un problème structurel en Ukraine d’inexécution ou d’exécution tardive de décisions de justice internes faisant droit aux créances détenues par diverses personnes privées contre le gouvernement et d’autres débiteurs publics, et s’inscrivent ainsi dans un contentieux de masse nourri par l’inexécution de l’arrêt pilote Ivanov du 15 octobre 2009 14, qui avait conclu à la violation du droit à un procès équitable et du droit au respect des biens, engagé le gouvernement défendeur à introduire sous un délai d’un an des recours internes effectifs permettant aux justiciables d’obtenir un remède approprié et ajourné, dans l’attente, l’examen de 1400 affaires similaires. Faute de réformes nationales opérantes, de nouvelles requêtes, toujours plus nombreuses, étaient donc introduites, décidant la Cour à en reprendre l’examen par deux fois, en février 2012 et en janvier 2015. Bien que durant cette période, quelques 14.430 affaires de la lignée d’Ivanov aient de la sorte été traitées, 12.143 étaient encore pendantes en octobre 2017. A travers les affaires Burmych et autres, l’enjeu était alors de déterminer si la Cour européenne des droits de l’homme devait persister à suppléer à l’absence de mécanismes internes de redressement, en répétant les constats de violation établis dans l’arrêt pilote et en allouant aux requérants une indemnité forfaitaire individuelle. La Grande chambre s’y refuse, en se réclamant de la logique de la procédure de l’arrêt-pilote et du principe de subsidiarité (§ 156). Quoique dense, l’argumentaire, parfois itératif, est simple : la mission que l’article 19 de la Convention attribue à la Cour – d’assurer le respect des engagements souscrits par les Etats – ne saurait être transformée en allocation de dédommagements financiers individualisés (§ 181), tandis que son rôle au titre de l’article 46 se limite, dans le cadre d’une procédure d’arrêt pilote, à indiquer le type de mesures propres à résoudre le problème systémique identifié (§ 194), sans que la juridiction puisse être transformée en un organe de surveillance de ses propres arrêts (§ 193). Conformément à l’article 46§2 de la Convention, cette tâche incombe au seul Comité des Ministres, eu égard à « la responsabilité collective partagée des Etats parties en matière d’exécution » (§ 185). En bref, les questions juridiques ayant déjà été résolues dans l’arrêt pilote, veiller à ce que chaque victime d’une défaillance structurelle bénéficie ensuite d’une réparation n’est pas du ressort de la Cour, mais de celui de l’Etat défendeur et de l’organe politique du Conseil de l’Europe (§ 197), qui doivent « assumer leurs responsabilités découlant de l’article 46 » (§ 195). Dès lors, les mêmes considérations qui rendent inutiles la poursuite de l’examen des requêtes du point de vue des buts de la Convention justifient, aux yeux d’une faible majorité de dix juges, qu’elles puissent être purement et simplement rayées du rôle, en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention.
Le virage opéré est aussi drastique que pragmatique.
Il est indubitablement drastique pour les requérants, puisque la Grande chambre s’arroge, par surcroît, la nouvelle faculté de joindre aux cinq cas dont elle était saisie toutes les autres affaires réputées procéder de la lignée d’Ivanov, soit l’ensemble des 12.143 requêtes actuellement pendantes plus les futures requêtes qui seraient du même type ! Toutes les victimes en Ukraine d’une inexécution prolongée des décisions de justice rendues en leur faveur 15 sont donc renvoyées à l’hypothétique introduction en droit interne de mécanismes effectifs de redressement, qui – vu l’expérience 16 – ne garantiraient probablement pas les mêmes standards de réparation que l’octroi d’une indemnité au titre de l’article 41, quoiqu’ils soient censés jouer le « même rôle » (§ 196). En écho à la virulente opinion dissidente des sept juges minoritaires, qui fustigent ce procédé sommaire de radiation massive et l’abdication par la Cour de ses tâches judiciaires, on ne peut que douter de l’effectivité qui sera en l’occurrence assurée à la sauvegarde des droits individuels, alors qu’en dix ans, la surveillance politique de l’exécution de l’arrêt Ivanov n’a guère produit de résultats. En contrepoint, et au risque de paraître iconoclaste, il ne nous semble cependant pas acquis que la protection des droits de l’homme aurait été mieux servie par le maintien de la procédure groupée et accéléré mise en place depuis juillet 2012 (qui a donné lieu à 8.563 décisions d’irrecevabilité, 2.376 décisions de radiation – dont 1.233 consécutives à une déclaration unilatérale du gouvernement qui n’a pas toujours été respectée – et 3.491 arrêts sur le fond).
A cet égard, le virage apparaît résolument pragmatique pour « le bon fonctionnement du système de la Convention ». La mission de la Cour étant de statuer sur les violations alléguées de la CEDH, il serait, tout d’abord, assez théorique et illusoire d’occulter les 27.000 requêtes portant par ailleurs sur des questions juridiques nouvelles, qui sont déjà en attente d’être jugées, et de nier l’impact sur leur délai d’examen d’une politique judiciaire consistant à continuer de traiter les requêtes de la lignée d’Ivanov, à finalité principalement indemnitaire désormais, jusqu’à épuisement d’un stock qui – sans élimination de la cause structurelle de violation – pourrait se renouveler longtemps. La question n’est pas en ce cas de l’ordre de la performance administrative, mais de l’ordre de la justice au regard des intérêts et de l’effectivité du droit de recours individuel de ces autres victimes… Ensuite et surtout, le constat, cruel, se fait que le contrôle de la Cour n’a pas produit tellement plus d’effets sur le règlement du problème systémique dégagé par l’arrêt Ivanov que la douzaine de résolutions intérimaires du Comité des Ministres. En revanche, la reprise des examens individuels a incité de plus en plus de justiciables à se tourner vers son prétoire, au point que le juge de la Convention était en passe de devenir un « rouage du système ukrainien d’exécution des décisions de justice » (§ 155), d’ailleurs invité en l’espèce à modifier l’évaluation de l’indemnité allouée au titre de l’article 41 pour intégrer les pertes causées par l’inflation galopante dans le pays (§ 137). Son office risquait d’en être dénaturé. Ces considérations de fait ne rendent donc pas si incongrue, au regard du but et des valeurs de la CEDH, l’affirmation que « la répétition des mêmes conclusions dans une longue série d’arrêts serait vaine et ne contribuerait pas de manière utile ou sensée au renforcement de la protection des droits de l’homme dans le système de la Convention » (§ 174). Mais le poids même accordé à ces deux séries de données (§ 152, §§ 169 – 171, § 182) invite alors à se demander quelle portée doit être attribuée à la nouvelle politique initiée par l’arrêt Burmych, en tant qu’il consacre la possibilité de rayer du rôle toutes les requêtes faisant suite à une procédure d’arrêt pilote qui n’a pas atteint ses objectifs.
Car en définitive, le virage ne pourrait-il pas, dans une certaine mesure, être qualifié de casuistique ? Certes, à une question de principe, qui a justifié le dessaisissement en faveur de la Grande chambre, cette dernière répond par des formules de principe, non seulement sur le rôle respectif de la Cour et du Comité des Ministres (cf. supra), mais aussi sur la procédure même de l’arrêt pilote. Fondamentalement, la logique en serait d’incorporer à l’exécution des mesures générales requises de l’Etat défendeur les intérêts de toutes les victimes actuelles ou potentielles de la même défaillance systémique (§ 159, § 161, § 166, § 181), à charge pour le Comité des ministres de veiller au règlement définitif de leur situation et à la réparation des violations subies par chacune. Toutefois, ce recadrage, qui exonère la Cour du devoir de poursuivre l’examen individuel des griefs, ne s’inscrit pas moins dans un contexte particulier, singularisé à la fois – comme on vient de le voir – par le volume du contentieux et par l’échec des efforts déployés par la juridiction européenne des droits de l’homme depuis seize ans, en termes de rétablissement d’un aspect important de l’état de droit en Ukraine.
Conformément aux intitulés qui structurent la motivation de l’arrêt Burmych, c’est pour les affaires de la lignée d’Ivanov que la nécessité d’une nouvelle approche s’établit et c’est pour les requêtes de ce type que la poursuite des examens individuels est jugée ne plus se justifier au regard des articles 19 et 46 de la Convention. A cette aune, on veut donc croire que la Grande chambre n’a pas entendu fermer de manière générale les portes de la Cour aux requérants qui auraient matière à se plaindre d’un problème systémique préalablement identifié dans un arrêt pilote, en les condamnant tous désormais à s’en remettre aux bons offices du Comité des ministres, sans plus concevoir de reprendre jamais l’examen des affaires similaires ajournées. Au demeurant, même pour ce qui est du contentieux Ivanov, la radiation pourrait bien n’être qu’une mesure d’ajustement conjoncturel et non définitif : outre que la Cour n’exclut pas de réexaminer la situation dans deux ans, afin de déterminer s’il ne convient pas de réinscrire à son rôle les affaires radiées ou toute autre requête future du même type (§ 223), leur transfert immédiat au Comité des Ministres pourrait d’autant plus inciter l’organe politique à enclencher contre l’Ukraine la procédure en manquement prévue à l’article 46§4 de la Convention, comme il l’a fait contre l’Azerbaïdjan 17… Il est donc à espérer que la radicalité de l’option retenue dans l’arrêt Burmych aura valeur d’électrochoc et rappellera aux Etats que les vertueuses déclarations de la Conférence de Bruxelles du 27 mars 2015, concernant leur responsabilité première de garantir l’application effective de la Convention, ne sauraient se passer d’actes concrets. Et si le pari de la subsidiarité pour remédier aux dysfonctionnements de la subsidiarité peut alors sembler assez paradoxal et hasardeux, il n’empêche pas le juge européen de donner au principe une autre dimension dans des contextes qui n’ont pas (encore ?) atteint le même seuil critique.
B – L’efficacité précaire de la subsidiarité comme principe d’habilitation de la Cour en termes de réparation
La nature, dite « exceptionnelle », des affaires Chiragov et autres c/ Arménie (n° 13216/15), d’une part, et Sargsyan et autres c/ Azerbaïdjan (n° 40167/06), d’autre part, ne cesse d’inspirer à la Grande chambre des solutions volontaristes en faveur des victimes collatérales du conflit du Haut-Karabakh. Après des décisions du 14 décembre 2011 sur la recevabilité, qui ont revisité l’obligation de diligence raisonnable des requérants dans des situations continues, puis des arrêts au principal du 16 juin 2015, qui ont retenu une conception extensive de la juridiction des Etats défendeurs pour conclure à la violation des articles 8, 13 et 1 du protocole 1, la dernière touche est apportée à l’édifice par les arrêts du 12 décembre 2017 statuant sur la satisfaction équitable due – en application de l’article 41 – aux requérants, personnes déplacées qui n’ont pu reprendre possession de leurs biens depuis le début du conflit en 1992, sans avoir pourtant reçu aucune indemnisation, ni bénéficié de recours internes effectifs.
Par contraste avec l’arrêt Burmych (§ 159), évoqué ci-dessus, et en rupture avec le principe martelé depuis la décision Demoupoulos et autres c/ Turquie 18, on voit en effet une Grande chambre unanime accepter en l’espèce « d’agir comme une juridiction de première instance en établissant les faits de la cause, dont certains datent de plusieurs années, en appréciant des éléments de preuve relatifs à des droits de propriété et enfin en déterminant le montant de l’indemnité pécuniaire à accorder » 19. Bien plus, elle s’en justifie par le manquement même des Etats défendeurs « tant aux engagements […] pris lors de [leur] adhésion qu’aux obligations qui [leur] incombent en vertu de la Convention » 20 L’intérêt vient ainsi de l’interprétation du principe de subsidiarité, mis en exergue dans les « remarques liminaires », autant – sinon plus – que de la fixation en équité, face au nombre élevé de facteurs impondérables, d’une réparation globale de 5000 euros tous chefs de dommages confondus, qui donne l’exemple d’un net assouplissement des exigences probatoires 21. Car si la subsidiarité s’entend toujours de la responsabilité première des Etats dans la garantie des droits protégés par la Convention, cette dimension juridique classique connaît ici deux prolongements notables : elle se double, en premier lieu, d’une nouvelle dimension politique qui fait devoir à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan de « trouver un règlement politique au conflit dans lequel ils sont impliqués » 22 ; elle amène la Cour, en second lieu, à sortir des limites de son office quand il ne se trouve pas de juridictions internes pour assurer un redressement approprié.
L’enjeu, pour le système de la Convention, n’est pas moindre que dans les cas de violation systémiques : en effet, plus d’un millier de requêtes individuelles du même type sont déjà pendantes et à la lumière des arrêts Chiragov et Sargsyan, érigés en affaires de principe, beaucoup d’autres pourraient affluer dès lors qu’on estime à plus d’un million le nombre des personnes déplacées, privées de la jouissance de leurs biens par le conflit du Haut-Karabakh. Il apparaît donc que, quoi qu’ait pu suggérer l’arrêt Burmych, la charge de travail n’est pas en soi de nature à dissuader le juge européen de suppléer les carences nationales et de s’efforcer de protéger les droits individuels… Pour autant, et comme en témoigne – dans un autre contexte – l’expérience du contentieux Ivanov (cf. supra), cette substitution de la Cour de Strasbourg aux juridictions internes ne saurait constituer une solution viable à long terme. Aussi les décisions prises en l’occurrence au titre de la satisfaction équitable ne dispensent-elles nullement les Etats défendeurs de mettre en place des mesures générales au niveau national, en particulier un mécanisme de revendication des biens qui soit aisément accessible et qui offre des procédures fonctionnant avec des règles de preuve souples. Une « exécution effective et constructive » des arrêts rendus au principal le commande au contraire 23 : la boucle est bouclée !
C. Boiteux-Picheral
II- Nouvelle valse à deux temps en contentieux des étrangers
Au cours du second semestre 2017, il semblerait que la protection des droits des étrangers marque encore un pas en avant pour un pas en arrière … Si, après la désillusion de l’arrêt Khlaifia et autres c/ Italie 24, le risque d’un effritement de l’interdiction des expulsions collectives paraît au moins conjuré (A), le contrôle européen des atteintes portées au droit au respect de la vie privée et familiale s’édulcore singulièrement en matière d’éloignement des étrangers délinquants (B).
A – Le rappel à l’interdiction des expulsions collectives dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière
S’inscrivant dans la lignée des arrêts Hirsi Jamaa et autres c/ Italie 25 et Géorgie c/ Russie I 26, l’arrêt N.D. et N.T. c/ Espagne 27 ne renouvelle guère, en substance, l’interprétation des notions de « juridiction », au sens de l’article 1 de la Convention, ou d’« expulsion », au sens de l’article 4 du Protocole 4. Mais c’est précisément son apport, dans une affaire dont les enjeux sont manifestés par l’intervention du HCR et du Commissaire aux droits de l’homme.
En ces temps de crise migratoire, les faits tendent à devenir tristement banals : les deux requérants, d’origine malienne et ivoirienne, ont été arrêtés par la police espagnole et derechef refoulés, alors qu’avec un groupe de 75 à 80 autres migrants subsahariens, ils étaient montés à l’assaut de la clôture frontalière de Melilla. Dans ce contexte, l’essentiel des débats tenaient donc à la compatibilité ratione personae et materiae des griefs pris de l’article 4 Protocole 4. La Grande chambre ayant déjà pris acte des « nouveaux défis » que rencontrent les Etats européens dans la gestion des flux migratoires et posé que l’interdiction des expulsions collectives ne garantit pas en toute circonstance le droit à un entretien individuel 28, on pouvait craindre que la portée de la norme européenne n’enregistre un second recul. Au contraire, l’arrêt N.D et N.T c/ Espagne revient à condamner toute politique de refoulement automatique et indifférenciée. S’abstrayant des discussions autour du statut des frontières et de leur inclusion (ou non) dans le territoire d’un Etat, la Cour s’en tient fermement à sa propre jurisprudence sur les applications extraterritoriales de la Convention pour constater, d’une part, que les intéressés se trouvaient bien sous la juridiction de l’Espagne (dès lors qu’ils avaient été soumis au contrôle continu et exclusif de la Guardia civil – cf. § 54) et établir d’autre part qu’ils avaient été de facto expulsés (puisqu’ils ont été renvoyés manu militari vers le Maroc contre leur gré – § 105). A partir de là, toute exception d’irrecevabilité devant être écartée, les modalités même de l’expulsion ne laissaient guère de doute sur sa nature collective, en l’absence de toute mesure préalable d’identification et de la moindre décisions administratives ou judiciaires (§ 107), même si le groupe concerné ne partageait pas d’autres caractéristiques communes et spécifiques que le franchissement irrégulier de la frontière au même moment.
Alors que d’autres Etats parties s’engagent depuis 2015 dans l’édification de « murs » pour repousser les migrants 29 et que, postérieurement aux faits de l’espèce, l’Espagne a elle-même introduit un régime dérogatoire d’interception pour les enclaves de Melilla et de Ceuta 30, le juge de la Convention signifie ainsi que la surveillance des frontières n’est pas « hors droit », autant qu’il préserve indirectement le droit d’asile, compris comme droit d’accès à une procédure effective et diligente permettant de faire valoir des craintes fondées de persécutions 31. On souhaitera alors que cette heureuse conclusion de violation de l’article 4 du Protocole n° 4 ne soit pas désavouée par la Grande chambre, à laquelle l’affaire a été renvoyée le 29 janvier 2018 sur demande du gouvernement espagnol…
B – Une régression singulière du contrôle européen sur les atteintes à la vie privée et familiale en matière d’éloignement des étrangers délinquants
La systématisation des critères permettant de fixer le point de juste équilibre entre les nécessités de l’ordre public et le respect de la vie privée et familiale 32 n’a sans doute jamais assuré une parfaite linéarité à la jurisprudence européenne sur l’éloignement des étrangers délinquants, dès lors que le poids accordé – notamment – à l’intérêt (direct ou indirect) des enfants et à la durée du séjour reste variable, d’une espèce à l’autre, face à la nature et à la gravité des infractions commises. Une nouvelle surpondération des considérations d’intérêt général n’aurait donc pas surpris, s’agissant d’un nigérian qui, pour avoir vécu quelques trente-deux ans au Royaume-Uni, s’y est signalé dès sa minorité par des infractions de plus en graves jusqu’à sa condamnation pour trafic de stupéfiants – crime qui a souvent légitimé une grande fermeté aux yeux de la Cour 33.
La particularité de l’arrêt Ndidi 34, cependant, tient à la relecture que la Cour fait de sa compétence même (§ 76). Certes, la formule selon laquelle il ne lui appartient pas, sauf raisons sérieuses, de substituer sa propre appréciation à celle de juridictions nationales, indépendantes et impartiales, qui ont soigneusement examiné les faits, appliqué des standards de protection des droits de l’homme conformes au droit de la Convention et dûment mis en balance les intérêts en présence n’est pas inédite 35. Mais à notre connaissance, c’est la première fois que cet esprit de subsidiarité, version conférence de Brighton, s’applique à la protection de la vie privée et familiale des étrangers menacés d’expulsion pour menace à l’ordre public. En général dans ce type de contentieux, et contrairement à ce que déclare l’arrêt Ndidi en son paragraphe 76, la Cour s’est plutôt employée à soupeser elle-même les divers éléments de la « grille Boultif » 36, y compris dans ses arrêts de non-violation 37. Plus ou moins préfigurée par deux décisions d’irrecevabilité 38, une rupture s’opère donc en l’occurrence dans le mode de contrôle, qui n’impliquerait pas que la Cour doive nécessairement s’assurer à nouveau de la proportionnalité, en particulier dans ses « détails factuels » (§ 76).
Conclure à un tournant régressif de la jurisprudence européenne pourrait toutefois être hâtif. Dès 2010-2012, une Grande chambre – statuant dans le cadre de l’article 13 – a certes répété « qu’en ce qui concerne les requêtes relatives à l’immigration, telles que celle du requérant, [la Cour] se consacre et se limite, dans le respect du principe de subsidiarité, à évaluer l’effectivité des procédures nationales et à s’assurer que ces procédures fonctionnent dans le respect des droits de l’homme » 39. Depuis, néanmoins, les arrêts sont demeurés assez isolés, qui ont donné effet à cette autolimitation en requalifiant les griefs 40. Bien que l’arrêt Ndidi puisse être considéré comme une autre manifestation du même principe, un abandon général du contrôle de proportionnalité ne saurait donc en être encore inféré.
C. Boiteux-Picheral
III. Clarification stérilisante des responsabilités des Etats en matière de soins de santé
A défaut d’être reconnu en tant que tel, un droit à des soins de santé a du moins pu émerger par « ricochet » dans le droit de la Convention, à travers les obligations positives de protection qui incombent aux Etats au titre des articles 2, 3 ou 8. Alors que, récemment, sa promotion semblait même devoir bénéficier d’une appréciation plus exigeante des responsabilités publiques, dans des cas de défaut de traitements d’urgence en milieu hospitalier 41, la Grande chambre recadre sèchement ces évolutions dans l’affaire Lopes de Sousa Fernandes c/ Portugal 42. Se donnant pour but de clarifier l’approche de la Cour, elle livre une lecture, à tous égards, restrictive des obligations matérielles qui pèsent sur les Etats sur le terrain du droit à la vie, au profit de leurs obligations procédurales.
Sur le plan des principes, il en ressort d’abord – sur le ton de la confirmation – qu’en dehors du contexte particulier des privations de liberté ou des placements de personnes vulnérables sous la garde des autorités (§ 163), les obligations matérielles des États en matière de traitement médical se limitent « au devoir de mettre en place un cadre réglementaire effectif obligeant les établissements hospitaliers, qu’ils soient publics ou privés, à adopter les mesures appropriées pour protéger la vie des patients » (§ 186). De cette première pétition, il est ensuite et surtout déduit que seules des « circonstances tout à fait exceptionnelles », de deux ordres, peuvent alors engager la responsabilité de l’État (§ 190), lorsque l’accès à un traitement d’urgence vital est délibérément refusé, au mépris des dangers pour la vie du patient (§ 191) ou qu’il est empêché par un dysfonctionnement systémique ou structurel dans les services hospitaliers, dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance sans avoir pris les mesures nécessaires pour y remédier (§ 192). Bien que formellement distingués, les deux séries d’exceptions se rejoignent ainsi autour de l’idée que l’Etat doit seulement répondre de circonstances qui accusent une défaillance sévère de son cadre réglementaire (soit parce qu’il a permis le recrutement d’un personnel dangereux, bafouant ses obligations déontologiques, soit parce que sa propre mise en œuvre n’est de notoriété publique pas adéquate ou effective). Données pour alternatives, ces deux hypothèses tendent enfin à fusionner quand, en dernier lieu, la Grande chambre systématise les critères cumulatifs qui permettent de faire le départ avec les affaires dites « de simple négligence médicale » (§§ 194-196). Car, pour espérer obtenir gain de cause au titre du volet matériel de l’article 2, le requérant doit établir à la fois, et tout ensemble, que les prestataires de santé savaient pertinemment que leur refus exposait le patient à un risque vital, que le dysfonctionnement en cause est objectivement systémique ou structurel et, troisièmement, que ce dysfonctionnement a non seulement provoqué le préjudice allégué mais qu’il est aussi dû au non-respect par l’État de son devoir de règlementation. A une telle aune, la garantie conventionnelle du droit substantiel à des soins de qualité est plus ou moins enterrée.
Les applications à l’espèce en font au demeurant la démonstration. Excluant qu’une erreur alléguée de diagnostic retardant l’administration du bon traitement ou le caractère supposément tardif d’une intervention puisse être mis sur le même plan qu’un refus de soins (§ 200), la Grande chambre n’admet pas – à rebours de la chambre qui avait statué en l’espèce le 15 décembre 2015 43 – qu’un dysfonctionnement des services hospitaliers puisse être révélé à partir d’un manque de coordination interne dans un cas particulier (ici, entre le service ORL qui avait pris en charge le mari de la requérante pour une banale polypectomie et le service des urgences du même hôpital, où il a par la suite été plusieurs fois admis en raison tout d’abord d’une méningite bactérienne directement consécutive à l’opération, puis d’ulcère et de colites, jusqu’à une péritonite généralisée et une perforation viscérale qui lui ont coûté la vie). Dès lors, seule une violation de l’article 2 dans son volet procédural est retenue avec une belle unanimité, faute pour le système judiciaire portugais d’avoir effectivement permis d’établir les causes du décès et obligé les éventuels responsables à répondre de leurs actes. Dans une logique de subsidiarité qui ne dit pas son nom, la Convention ne semble donc pénétrer que par une porte dérobée dans le milieu des responsabilités médicales…
C. Boiteux-Picheral
IV – Questions économiques et gestion de la crise
A – Un contrôle minimal des mesures d’austérité
Depuis 2011, les conséquences de la crise économique et financière ont amené la Cour à examiner la compatibilité de diverses mesures d’austérité avec la Convention. Deux décisions récentes lui ont permis de préciser sa jurisprudence Valkov et a. c/ Bulgarie (25 oct. 2011, n° 2033/04 et a.), dans laquelle elle avait conclu que le plafonnement du montant des retraites – qui visait un but légitime dans la mesure où il permettait de faire des économies et n’entrainait qu’une « réduction raisonnable » du droit à pension des requérants – n’était pas contraire à l’article 1er du Protocole n° 1.
Portant à nouveau sur la réduction d’une prestation sociale, l’affaire Mockienė c/ Lituanie (4 juil. 2017, n° 75916/13) concerne toutefois une pension de service et non de retraite. Se plaignant d’une diminution de 15% de sa pension pour les années 2010 à 2013, la requérante affirmait avoir subi une discrimination dans la mesure où, contrairement à celle des pensions de retraite, la diminution des pensions de service (versées en fonction du mérite ou des services rendus à l’Etat et non liées à des cotisations sociales) n’avait pas donné lieu à indemnisation. Jugeant l’article 1er du Protocole n° 1 applicable puisque la requérante pouvait se prévaloir d’une espérance légitime à continuer à percevoir sa pension, la Cour constate que l’ingérence était bien prévue par une loi de 2010 et se dit « convaincue » qu’une telle « réduction temporaire du montant des pensions de service et d’autres prestations sociales poursuivait un but légitime dans l’intérêt général » eu égard au fait que l’ingérence « visait à faire baisser les dépenses publiques pendant la crise économique, à stabiliser la hausse du déficit budgétaire et à garantir la capacité de l’Etat à offrir une protection aux groupes les plus vulnérables ». Elle se contente donc de conclure à l’irrecevabilité pour défaut manifeste de fondement en estimant n’avoir aucune raison de conclure que les autorités n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre l’intérêt général de la société et les droits individuels de la requérante : non seulement la diminution de sa pension – limitée à la fois quant à son montant (supérieur au seuil minimum fixé par la loi) et à sa durée (plafonnée à quatre ans) – ne risquait pas de la priver de ses moyens de subsistance mais, de plus, cette mesure faisait partie d’un vaste plan austéritaire touchant nombre de prestations sociales de même que le salaire des fonctionnaires. Estimant impossible de conclure à l’existence d’une charge individuelle exorbitante supportée par la requérante, la Cour rejette également le grief relatif à l’article 14 en refusant de comparer la situation des bénéficiaires de pensions de service à celle des bénéficiaires de pensions de retraite, dont l’existence est constitutionnellement garantie aux personnes indigentes ou vulnérables. Paradoxalement, c’est donc lorsque la situation s’avère la plus difficile (et lorsque les prestations sociales risquent d’être le plus impactées) que son contrôle se fait le plus distendu puisque, enfermée dans le principe de subsidiarité, elle se contente de considérer que l’Etat peut réduire certaines prestations sociales, en dépit de l’existence d’une espérance légitime de leurs bénéficiaires, dès lors qu’il l’affiche comme un moyen de continuer à « offrir une protection aux groupes les plus vulnérables ».
L’affaire P. Plaisier B.V. c/ Pays-Bas (14 nov. 2017, n° 46184/16) concernait quant à elle une taxe d’austérité sur les hauts salaires, visant elle aussi, avec quelques autres (hausse de l’âge de départ à la retraite, gel des salaires dans le secteur public et hausses d’impôts), à lutter contre les conséquences de la crise économique et financière, les autorités entendant ainsi réduire de 12 milliards d’euros le déficit budgétaire pour 2013 en vue de se conformer aux critères définis à l’article 121 du Traité de Maastricht. En l’espère, deux holdings financières et le club de football professionnel du Feyenoord Rotterdam contestaient cette « surtaxe de crise » qui leur avait été appliquée en tant qu’ils employaient une ou plusieurs personnes touchant plus de 150000 € par an 44. Alléguant d’une violation de l’article 1er du 1er protocole combiné avec l’article 14, ils arguaient que cette surtaxe, votée en 2013 mais appliquée aux salaires versés en 2012 et restée en vigueur pour l’exercice budgétaire 2014, était imprévisible (car d’application rétroactive), injuste (car, ne reposant pas sur une appréciation adéquate des modalités de répartition de la charge fiscale, elle ne visait qu’un petit groupe d’employeurs et était disproportionnée au montant réellement recouvré – le Feyenoord la jugeait également « déraisonnable » par son absence de prise en compte d’éventuelles difficultés financières) et discriminatoire (car imposée arbitrairement à un petit nombre de contribuables). La Cour rejette ces griefs comme manifestement mal fondés en considérant qu’eu égard à la marge d’appréciation dont il dispose en matière fiscale, l’Etat partie n’a pas rompu l’équilibre entre intérêt général et protection des droits individuels. Relevant que « l’objectif visé était ici de ‘respecter les règles budgétaires fixées par l’UE’ », elle semble considérer le respect des critères de convergence comme l’une des « raisons spécifiques et impérieuses » dont elle avait précédemment jugé que l’intérêt du justiciable de connaître à l’avance sa charge fiscale pouvait s’effacer devant elles. Or, en faisant siens les objectifs du Traité de Maastricht (auxquels elle accorde un poids essentiellement politique en affirmant que « les considérations qui ont guidé les autorités […] n’étaient pas seulement économiques »), la Cour ne contrôle pas réellement ceux que l’Etat affirme se fixer (« provided that the legislature chose a method that could be regarded as reasonable and suited to achieving the legitimate aim being pursued, it was not for the Court to say whether the legislation represented the best solution for dealing with the problem or whether the legislative discretion should have been exercised in another way »). Ainsi, elle n’entend pas vérifier si la mesure contestée a effectivement permis aux Pays-Bas de ramener leur déficit budgétaire sous la barre des 3 % de PIB, laissant entendre qu’en matière budgétaire « c’est l’intention qui compte » … De la sorte, il semble que tout argument fondé sur la nécessité de s’adapter à la contrainte budgétaire – induite notamment par la crise – doive être perçu comme légitime, et ainsi considéré comme susceptible de prévaloir sur la protection des droits individuels. Ce choix s’avère d’autant plus problématique qu’il s’inscrit dans une tendance plus vaste de la Cour à envisager les questions économiques du point de vue suggéré par l’Etat.
B – Politique urbanistique vs liberté de circulation : ou quand la Cour confond légitimité d’une politique publique et conformité de son application à la Convention
De cette tendance récente, l’arrêt Garib c/ Pays-Bas (6 nov. 2017, Gde Ch., no 43494/09) constitue un exemple paradigmatique. Comme l’écrit le juge Kūris, « le problème essentiel de cet arrêt tient à ce que son raisonnement défie la logique et que la démarche sur laquelle il s’appuie est un affront à la liberté individuelle, et donc à la justice ». La consternation se fait d’ailleurs d’autant plus grande que le raisonnement menant à ce constat sévère concerne des faits relativement simples : désireux de le rénover pour son usage personnel, le propriétaire du logement de la requérante (qui élevait seule deux enfants) l’avait invitée à quitter les lieux pour un appartement – plus grand – qu’il proposait de lui louer dans le même quartier. Toutefois, celle-ci n’avait pu y emménager car elle ne remplissait pas le double critère nécessaire à l’obtention d’une autorisation de résidence dans ce quartier : avoir vécu pendant au moins six ans dans la région métropolitaine de Rotterdam juste avant le dépôt de sa demande, à moins de percevoir un revenu du travail. Cette exigence découlait du classement en 2006 du quartier parmi les zones dans lesquelles une telle autorisation était nécessaire en vertu de la loi sur les mesures spéciales pour les agglomérations urbaines. Limitant temporairement la liberté de résidence, cette mesure devait permettre « une répartition équilibrée et équitable des logements » afin d’« inverser le processus de saturation et de dégradation de la qualité de vie » dans certains quartiers « sensibles » « en y favorisant la mixité socioéconomique » 45.
Dans son arrêt du 23 février 2016, la chambre avait jugé la mesure proportionnée au but légitime « d’inverser le mouvement de déclin des zones urbaines déshéritées et d’améliorer de manière générale la qualité de vie » et tenu compte des garanties prévues 46, la requérante n’ayant pas été empêchée de s’établir ailleurs qu’à Rotterdam. Constatant que la mesure était prévue par la loi (même si elle n’avait pu être anticipée par la requérante lors de son installation en 2005) et qu’il n’avait pas été contesté qu’elle servait bien « l’intérêt public » conformément aux exigences de l’article 2 § 4 du Protocole n° 4 47, la Grande chambre se concentre sur un contrôle de proportionnalité. S’attachant au fait que ce système « ne prive personne de logement et ne contraint personne à quitter son habitation » et ne concerne que « les personnes qui se sont installées relativement récemment » (§ 144), elle juge non pertinent un rapport universitaire ne constatant « aucune amélioration notable » dans les quartiers concernés, au motif qu’« appelée à apprécier des choix opérés dans le domaine socioéconomique, elle doit en principe s’appuyer sur la situation telle qu’elle se présentait aux autorités à l’époque des faits et non se fonder, avec le bénéfice du recul, sur celle qui prévalait à une date ultérieure » 48.
Considérant que « la question essentielle […] n’est pas celle de savoir si le législateur aurait pu adopter des règles différentes [ce qu’elle s’affirme « disposée à admettre »], mais si, en ménageant comme il l’a fait l’équilibre entre les intérêts en jeu, le Parlement a outrepassé [s]a marge d’appréciation dont il bénéficiait » (§ 157), elle s’arrête curieusement sur la nécessité de rénover l’appartement que la requérante avait dû quitter (§ 160) et adopte « une conception de l’‘intérêt général’ identique à celle qu’elle applique dans le domaine de la protection de l’environnement ». Dans cette perspective, « pour apprécier à quel point un hébergement de remplacement était adapté, il fallait prendre en considération, d’une part, les besoins particuliers de l’individu concerné – à savoir les besoins de sa famille et ses ressources financières – et, d’autre part, les intérêts de la population locale », ce qui implique une large marge d’appréciation des autorités nationales. Or, ce faisant, elle néglige totalement les arguments relatifs à la conduite de la requérante (« toute vertueuse qu’elle fût, [elle] ne peut à elle seule emporter la décision lorsqu’elle est mise en balance avec l’intérêt public que sert l’application constante d’une politique publique légitime », § 158) et surtout au fait qu’elle résidait déjà dans le quartier (« Si les modalités spécifiques de ce système relèvent de la marge d’appréciation dont jouissent les autorités nationales […], on peut tout de même supposer que son application aux habitants de Tarwewijk a pu avoir pour effet d’en inciter certains, comme la requérante […], à quitter le quartier, […] contribuant ainsi à renforcer la mixité sociale conformément à l’objectif défini par les autorités », § 159). Considérant comme légitime que la requérante libère ainsi un logement dans le quartier à un ménage aux revenus plus élevés ou plus stables, l’argument paraît consternant. Alors que le juge Pinto de Albuquerque y voit de la « pauvrophobie », le juge Kūris évoque pour sa part une « erreur méthodologique » tenant au fait que « les intérêts de la requérante considérée à titre individuel sont mis en balance avec des restrictions découlant de la loi, c’est-à-dire des mesures générales en tant que telles, et non avec leur application à cette personne précisément ». Soulignant que « les ‘pauvres’ ne se conçoivent pas seulement comme une ‘classe sociale’, mais aussi comme des individus », il va jusqu’à citer une chanson de Leonard Cohen 49 pour dénoncer le sacrifice des intérêts de la requérante. Face à une politique de lutte contre la stigmatisation de certains quartiers qui a manifestement contribué à stigmatiser une femme en raison de sa situation socioéconomique, il est urgent en effet de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de délivrer des satisfecit aux Etats pour leurs politiques publiques mais bien de vérifier que leur mise en œuvre n’entraîne pas de violation des droits individuels protégés.
C. Husson-Rochcongar
V- Droit à la vie privée : le délicat équilibre entre intérêt de la société et droits individuels
A – Droit à la vie privée et interdiction de la discrimination à l’encontre des homosexuels : un pas en avant… ou en arrière ?
Deux arrêts récents illustrent de manière complémentaire un paradoxe concernant le traitement soi-disant non-discriminatoire des homosexuels en matière de droit à la vie privée. Basé sur le recours d’un couple hétérosexuel qui se plaignait de ne pouvoir conclure un partenariat civil 50, le premier (26 oct. 2017, Ratzenböck et Seydl c/ Autriche, n° 28475/12) met en lumière la volonté des autorités autrichiennes de distinguer la vénérable institution du mariage du plus récent partenariat civil. S’appuyant sur l’arrêt Schalk et Kopf (CEDH, 24 juin 2010, n° 30141/04), dans lequel la Cour avait considéré que le statut juridique découlant de ce partenariat était essentiellement analogue à celui du mariage, la Cour constitutionnelle jugea que, tout comme l’ouverture du mariage aux homosexuels, celle du partenariat civil aux hétérosexuels relevait du législateur. Considérant que « les cadres juridiques régissant l’une et l’autre forme de reconnaissance juridique de la relation ont été encore harmonisés » depuis lors, la Cour prolonge ici sa jurisprudence antérieure en estimant qu’« il ne subsiste entre ces deux institutions aucune différence substantielle », les requérants n’ayant d’ailleurs pas soutenu avoir été « spécialement lésés » par une différence de traitement. Le constat de non-violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 auquel elle parvient repose ainsi sur l’affirmation selon laquelle les requérants « ne se trouvent donc pas dans une situation analogue ou comparable à celles des couples homosexuels […] qui ont besoin du partenariat civil pour pouvoir faire reconnaître juridiquement leur relation », ce qui délie l’Etat de toute obligation positive d’ouvrir une même institution à l’ensemble des couples quelle que soit leur orientation sexuelle. Or, s’attachant aux catégories juridiques plutôt qu’à la réalité sociale, l’argument surprend dans la mesure où la solution dégagée dans l’arrêt Schalk et Kopf reposait justement sur le constat selon lequel les requérants se trouvaient « dans une situation comparable à celle d’un couple hétérosexuel pour ce qui [était] de leur besoin de reconnaissance juridique et de protection de leur relation » (§ 99) … Comment expliquer alors qu’un individu puisse se trouver dans une situation comparable à celle d’un autre sans que celui-ci se trouve en retour dans une situation comparable à la sienne ? 51. Si l’objectif de la Cour reste manifestement d’assurer une forme de « protection équivalente » aux homosexuels, on ne saurait cependant apporter meilleure preuve de ce que la non-discrimination demeure manifestement tout autre chose que l’égalité…
Relative à l’impossibilité pour des couples homosexuels s’étant mariés à l’étranger d’obtenir en Italie la reconnaissance légale de leur union sous quelque forme que ce soit, la seconde affaire (14 déc. 2017, Orlandi et a. c/ Italie, n° 26431/12) s’inscrit dans le prolongement de l’arrêt Oliari et a. c/ Italie (21 juill. 2015, n° 18766/11). Celui-ci a constitué un tournant puisque la Cour y a conclu à la violation de l’article 8 après avoir constaté les « progrès rapides » des législations reconnaissant les couples homosexuels au sein du Conseil de l’Europe (dont 24 Etats membres disposaient alors) et au-delà 52. Pourtant, ici encore, la jurisprudence semble paradoxale. En effet, en dépit de l’évolution législative induite par l’arrêt Oliari relativement aux unions civiles homosexuelles, l’Italie se voit à nouveau condamnée sur le fondement de l’article 8 (et non de l’article 12, ni de l’article 14) car son droit interne n’avait pas offert aux requérants une protection adaptée avant le 5 juin 2016 – date de l’entrée en vigueur de la loi 76/2016 – alors même que certains d’entre eux avaient pu depuis lors bénéficier de décrets légalisant leur union et permettant l’enregistrement de leur mariage (comme le souligne le juge Koskelo, ce n’est pas l’absence d’enregistrement de leur union qui a privé les requérants de protection légale mais l’absence de cadre légal prenant en compte cette union). Or, la Cour parvient à cette solution après avoir rappelé que l’Etat jouit ici d’une marge d’appréciation d’autant plus large que seuls trois Etats parties autorisent l’enregistrement de mariage entre individus de même sexe contractés à l’étranger (§ 192-210, sp. 205). C’est qu’en réalité, comme nous avons pu l’écrire dès 2014 53, la Cour semble désormais contraindre les Etats à tirer toutes les conséquences de leur libéralisme, imposant des obligations sans cesse plus précises à ceux qui ont entrouvert leur législation interne à une protection de couples précédemment perçus comme non-légitimes, au risque de renforcer ainsi la ligne de fracture existant, au sein du Conseil de l’Europe, concernant la préservation de l’institution du mariage.
B – Interprétation extensive de la notion de « vie privée » dans un cadre professionnel : une salutaire réaction de la Cour face au développement des mesures de surveillance
Dans la plupart des affaires dans lesquelles elle a été amenée à connaître d’allégations de violation de la Convention liées à l’usage d’internet, la Cour s’est contentée d’appliquer le droit en vigueur à ce nouveau cadre d’exercice des droits et libertés. L’approche adoptée par les différentes organisations internationales l’y invitait, le principe – posé notamment par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies dans sa résolution 20/8 du 5 juillet 2012 sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur l’Internet – étant que « les droits dont jouissent les personnes hors ligne doivent également être protégés en ligne, en particulier le droit de toute personne à la liberté d’expression ». Toutefois, confrontée à l’a-territorialité qui accompagne l’usage d’internet, la Cour dut faire face à des difficultés liées à l’imputation des faits et à leur qualification juridique, à l’établissement des responsabilités, à l’incrimination et à la détermination de la compétence territoriale, la question du droit applicable se posant à tous les niveaux. Face à ces multiples obstacles, elle n’a statué qu’avec prudence et très largement au cas par cas, affirmant par exemple que le législateur « aurait dû en tout cas prévoir un cadre permettant de concilier les différents intérêts à protéger dans ce contexte » 54 sans s’avancer à établir un standard de protection ni à dégager de véritables principes directeurs. Pourtant, la spécificité du fonctionnement d’internet l’a progressivement amenée à examiner des questions de plus en plus précises et à reconnaître certaines spécificités à l’exercice des droits sur internet. En effet, en démultipliant les possibilités de communiquer, ce dernier rend également possible une surveillance des comportements inédite tant par son ampleur potentielle que par sa possible systématisation.
C’est à ce titre que l’arrêt Bărbulescu c/ Roumanie (Gde. Ch., 5 sept. 2017, n° 61496/08) marque un tournant majeur. En effet, dans cette affaire relative au licenciement d’un salarié pour avoir échangé pendant ses heures de travail des messages de nature strictement privée avec sa fiancée et avec son frère via un compte Yahoo Messenger qu’il avait créé pour répondre aux questions de clients, la chambre avait conclu le 12 janvier 2015 à la non-violation du droit à la vie privée, par six voix contre une. C’est ici par onze voix contre six que la Grande chambre parvient au constat inverse. Considérant que l’usage d’une messagerie instantanée relève de l’exercice d’une « vie privée sociale » et que « la notion de ‘correspondance’ s’applique à l’envoi et à la réception de messages, même depuis l’ordinateur de l’employeur » 55, elle juge l’article 8 applicable et relève que, si le requérant avait bien « été informé de l’interdiction d’utiliser internet à des fins personnelles » par le règlement intérieur, en revanche il n’avait pas été « informé à l’avance de l’étendue et de la nature de la surveillance opérée par son employeur, ni de la possibilité que celui-ci ait accès à la teneur même de ses communications ». Estimant que « les instructions d’un employeur ne peuvent pas réduire à néant l’exercice de la vie privée sociale sur le lieu de travail », elle fait donc prévaloir le respect de la vie privée et de la confidentialité des communications, qui « continue à s’imposer » (§ 80) même si des limitations peuvent y être nécessaires. Ce faisant, elle prolonge la jurisprudence qui a progressivement étendu la protection du droit au respect de la vie privée en considérant que celui-ci implique « le droit d’établir et d’entretenir des relations avec d’autres êtres humains, notamment dans le domaine affectif pour le développement et l’accomplissement de sa propre personnalité » 56 et que sa protection comprend « le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables » 57 et « peut inclure les activités professionnelles » 58, ce qui l’amène à souligner que « des restrictions apportées à la vie professionnelle peuvent tomber sous le coup de l’article 8 lorsqu’elles se répercutent sur la façon dont l’individu forge son identité sociale par le développement de relations avec autrui » (§ 71).
Peu d’Etats partie à la Convention ayant choisi de réglementer spécifiquement l’exercice du droit des employés au respect de leur vie privée et de leur correspondance sur leur lieu de travail, la Cour se veut conciliante en reconnaissant une marge d’appréciation étendue à l’Etat quant à ses obligations positives. Se disant « consciente que la situation évolue rapidement dans ce domaine », elle insiste néanmoins sur l’importance de la proportionnalité et des garanties procédurales dans la protection contre l’arbitraire et procède en réalité à une application très extensive de l’arrêt Söderman c/ Suède (12 nov. 2013, Gde. Ch., no 5786/08), selon lequel cette marge se restreint lorsqu’« un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, ou que les activités en cause concernent un aspect des plus intimes de la vie privée », se livrant à un contrôle approfondi de la solution retenue par les juridictions internes.
Or, validant l’approche retenue – laquelle a fait application des principes de nécessité, finalité, transparence, légitimité, proportionnalité et sécurité figurant dans la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données 59 – elle considère en revanche que « les juridictions nationales ont omis de rechercher si le requérant avait été averti préalablement de la possibilité que l’employeur mette en place des mesures de surveillance ainsi que de l’étendue et de la nature de ces mesures » en soulignant que « l’avertissement de l’employeur » devait être donné « avant que celui‑ci ne commence son activité de surveillance » (§ 133). Et c’est après avoir posé 7 critères sur lesquels fonder son examen qu’elle parvient ici à un constat de violation : information relative à la possibilité que l’employeur prenne des mesures de surveillance de la correspondance et des autres communications de ses employés comme de la mise en place ces mesures, étendue de la surveillance opérée et degré d’intrusion dans la vie privée, raisons avancées à l’appui de cette surveillance, possibilité de recourir à des moyens moins intrusifs, conséquences de la surveillance, existence de garanties adéquates (notamment en cas de mesures intrusives) et d’une voie de recours devant une juridiction compétente.
Se concentrant sur le point de savoir si l’Etat partie a mis en place un « cadre juridique adapté » en se limitant à l’examen du contrôle pratiqué par les juridictions internes, la démarche adoptée par la majorité pourra surprendre dans la mesure où, comme le relèvent les juges dissidents, « seulement six des 34 États membres du Conseil de l’Europe étudiés encadrent explicitement la question de l’exercice de la vie privée sur le lieu de travail » 60. Ainsi, la Roumanie
– dont le cadre législatif pourtant détaillé n’a guère été examiné – pourrait sembler avoir fait les frais d’une volonté évidente de la Cour de prendre (enfin) la mesure de l’ampleur des atteintes susceptibles d’être portées aux droits fondamentaux qui s’exercent sur internet, via différents types de mesure de surveillance – qu’elles soient mises en place par des personnes publiques ou privées. Par l’importance de la solution adoptée, la Cour retrouve cependant la mesure du rôle qui est le sien dans la protection européenne et internationale des droits de l’homme. Et, de cela, il y a tout lieu de se féliciter.
Cette interprétation extensive de la notion de « vie privée sociale » se retrouve dans l’arrêt Antović et Mirković c/ Monténégro (28 nov. 2017, n° 70838/13) par lequel la Cour, faisant application de sa jurisprudence Bărbulescu, conclut par quatre voix contre trois que l’installation d’un système de vidéosurveillance dans les amphithéâtres d’une Université avait constitué une ingérence dans l’exercice du droit à la vie privée des requérants, qui y enseignaient, en violation du droit interne. Elle considère pour cela que s’il s’agissait bien de leur lieu de travail, c’est toutefois « là où ils n’enseignaient pas seulement à des étudiants, mais aussi interagissaient avec eux, y développant donc des relations mutuelles et y construisant leur identité sociale ». Dans leur opinion concordante, les juges Vučinić et Lemmens s’attachent également au fait que ce soit le doyen qui avait accès aux enregistrements pour considérer qu’il s’agissait tout autant de surveiller les activités d’enseignement que d’assurer la sécurité des personnes et des biens, concluant – avec une actualité étonnante – que « [s]urveillance as a measure of control by the dean is […] not something a teacher should normally expect »…
C. Husson-Rochcongar
VI – Précisions significatives de l’acquis jurisprudentiel en matière de liberté de religion
Au courant du second semestre 2017, la Cour européenne des droits de l’Homme aura été appelée à préciser l’acquis jurisprudentiel important en matière de liberté de religion sur deux thématiques assez classiques : le droit à l’objection de conscience et le port des signes religieux. En premier lieu, c’est dans le sillon bien balisé par l’arrêt de Grande chambre Bayatyan c/ Arménie 61 que la Cour a examiné la nature du service de remplacement proposé aux objecteurs de conscience de 2004 à 2013 en Arménie dans l’affaire Adyan et a. c. Arménie (12 oct. 2017, n° 75604/11). En effet, le test de conventionnalité appliqué a permis au juge européen de vérifier si l’Arménie a tiré toutes les conséquences de son arrêt Bayatyan (A). La Cour ajoute ainsi une pierre à l’édifice de sa jurisprudence sur le droit à l’objection de conscience. En second lieu, c’est par opposition à sa jurisprudence sur le port de signes religieux au travail, notamment par des agents publics, que la Cour examine, dans l’arrêt Hamidović c/ Bosnie-Herzégovine (5 déc. 2017, n° 57792/15), l’étendue de la liberté de manifester ses convictions religieuses dans l’enceinte d’un tribunal. (B). C’est dire, en d’autres termes, que l’autolimitation du contrôle européen topique de la démarche de la Cour sur ces questions laisse place ici à une certaine audace.
A – Raffermissement du droit à l’objection de conscience
Marqué du sceau des grands arrêts, l’arrêt Bayatyan (Gde. ch., 7 juill. 2011, n° 23459/03) avait relégué aux rangs de l’Histoire une jurisprudence pour le moins anachronique de la défunte Commission européenne des droits de l’homme selon laquelle le droit à l’objection de conscience ne relève pas des droits protégés par la liberté de religion. Pareille réécriture de la Convention était alors justifiée par l’existence d’un « consensus quasi général sur la question en Europe et au-delà » tant sur la reconnaissance du droit à l’objection de conscience que sur la nécessité de mettre en place des « solutions de remplacement viables et effectives propres à ménager les intérêts concurrents en présence ».
A l’évidence, l’Arménie n’a pas tiré toutes les conséquences de cet arrêt. Alors que dans cette affaire, était seulement en cause la condamnation d’un objecteur de conscience – témoin de Jéhovah – qui avait refusé d’accomplir son service militaire, l’arrêt Adyan et autres c/ Arménie concerne la nature du service de substitution proposé aux objecteurs de conscience. In casu, les requérants – quatre jeunes Témoins de Jéhovah – ont refusé d’accomplir un service civil de remplacement prévu en droit interne depuis 2004 au motif qu’il ne présentait pas un caractère véritablement civil. Ce qui leur a valu d’être condamnés en 2011 à deux ans et six mois d’emprisonnement. A la faveur d’une amnistie générale résultant d’un amendement législatif du 2 mai 2013 qui modifie également en profondeur les dispositions sur le service de remplacement, ils furent libérés de prison en octobre 2013. Compte tenu du revirement de jurisprudence opéré dans l’arrêt Bayatyan, l’option en faveur de l’applicabilité de l’article 9 s’impose avec la force de l’évidence, la Cour ne doutant pas que « l’objection des requérants au service tant militaire que de remplacement a été motivée par des convictions religieuses, sincères et profondes, en conflit insurmontable avec l’obligation d’effectuer un tel service » (§ 53). A vrai dire, elle entend surtout se focaliser sur la question de savoir si la mise en place d’un service de remplacement en Arménie depuis 2004 répond aux exigences de l’article 9. Car, à ses yeux, « le seul fait [d’introduire un service de remplacement] ne suffit pas pour conclure que les autorités nationales se sont acquittées [de leurs obligations conventionnelles] au titre de l’article 9 de la Convention » (§ 67). Ce faisant, par l’entremise du principe d’effectivité, elle doit s’assurer que celui-ci n’était ni dissuasif ni punitif « que ce soit en droit ou en pratique » (§ 67). L’assertion n’est évidemment pas sans évoquer le célèbre dictum de l’arrêt Airey selon lequel « la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs ».
Or, ne satisfait pas à pareille exigence le service de remplacement proposé aux objecteurs de conscience arméniens depuis 2004 (correspondant à la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 décembre 2003 sur le service de remplacement). Primo, la juridiction européenne des droits de l’homme n’a guère été convaincue par la distinction service militaire/service de remplacement dès lors que celui-ci est effectué sous la surveillance d’autorités militaires et que certains de ses aspects étaient régis par le règlement intérieur du service dans les forces armées (§ 69). Les recrues du service civil étaient même tenues de porter un uniforme. Comme elle l’avait fait dans son arrêt Bayatyan, la Cour mobilise des sources externes de nature diverse, en particulier les conclusions très nettes de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance sur cette étanchéité entre service militaire et service civil. Secundo, est stigmatisée, sur la base des travaux du Comité européen des droits sociaux et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (§ 70), la durée excessive du service de remplacement qui était environ une fois et demie plus long que le service militaire (42 mois au lieu des 24 mois du service militaire). Tertio, les lacunes du système de remplacement ont été admises par le gouvernement et le Parlement arméniens (§ 71). Ce dernier, plus critique sur les questions de la surveillance militaire et de la durée, y a d’ailleurs remédié en adoptant de nouvelles dispositions législatives en 2013. Et d’accorder une importance décisive au fait que ces insuffisances ont également été soulignées dans un certain nombre de rapports nationaux et internationaux (Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, Comité européen des droits sociaux…). Façon de dire, aussi, que l’Etat défendeur était à la traîne en la matière et que les modifications législatives de 2013 sont les bienvenues (la durée du service de remplacement est désormais de 36 mois). Parce qu’elles ne proposaient pas, à l’époque des faits, un véritable un système de service civil de remplacement respectueux des convictions des requérants, les autorités arméniennes n’ont pas « ménagé un juste équilibre entre les intérêts de la société dans son ensemble, d’une part, et ceux des requérants, d’autrepart » (§ 73). Le constat de violation de l’article 9 est sans appel. Heureusement pour l’Etat défendeur, l’intervention des modifications législatives de 2013 lui évite une condamnation pour violation systémique ou structurelle.
Dès lors, au fil des arrêts de la Cour, se construit un véritable droit européen de l’objection de conscience. Doit également être soulignée la solution de l’arrêt Hamidovic c/ Bosnie-Herzégovinequi constitue une pièce supplémentaire à verser au dossier déjà étoffé du port des signes religieux.
B – Rétrécissement de la marge d’appréciation en matière de port des signes religieux : ou l’art du distinguishing !
Relatif à la condamnation du requérant (membre d’un groupe wahhabite/salafiste), témoin dans le cadre d’un procès pénal, à verser une amende pour outrage à magistrat pour avoir refusé d’enlever sa calotte, l’arrêt Hamidovic ne devrait pas passer inaperçu tant il est patent que la démarche suivie tranche avec une attitude réservée de la Cour, voire même timorée sur la question du port des signes religieux. D’emblée, la Cour donne l’impression d’être imperméable à la sensibilité politique de l’affaire en ce qu’elle n’entend pas se laisser influencer par les mesures récentes prises en Bosnie-Herzégovine pour interdire le port des signes religieux par les juges, procureurs et officiers de justice (§ 26). En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 9, l’arrêt confirme une certaine neutralité du juge européen qui ne vérifie pas si la pratique invoquée est bien dictée par une religion ou si elle correspond à une pratique minoritaire. Ainsi, in specie, l’applicabilité de l’article 9 tient au seul fait que le requérant considère le port d’une calotte comme étant dicté par ses croyances religieuses. Il importe peu, à cet égard, que tous les membres de la communauté musulmane ne le considèrent pas comme un devoir religieux (§ 30). L’architecture de l’arrêt est des plus classique. Ayant reconnu l’existence d’une base légale tenant au pouvoir du juge de réglementer la conduite de de l’audience devant le tribunal et d’un but légitime centré sur la protection des droits d’autrui (par la défense ici des valeurs laïques et démocratiques), l’arrêt se focalise sur l’étape décisive du contrôle, à savoir la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique. Avançant avec méthode, la Cour commence par rappeler que sa retenue sur les questions relatives aux rapports entre l’État et les religions n’est pas remise en cause si bien que l’Etat se voit allouer une large marge nationale d’appréciation (§ 38). À ce stade du raisonnement, la démarche du requérant d’obtenir une violation de l’article 9 ne paraissait pas devoir faire long feu. Pourtant, il n’en est rien. Apparaît significatif, et pour tout dire décisif, le recours à la technique du distinguishing afin de ne pas suivre les arrêts rendus sur le port des signes religieux au travail, notamment par les agents publics (§ 40, sont notamment citées les affaires Eweida et Ebrahimian). Or, le requérant est un simple témoin dans un procès.
Fort de ce constat, la Cour va encore préciser sa démarche en soulignant que la fondamentalité de la liberté de manifester sa religion est indissolublement liée aux valeurs de pluralisme et de diversité. C’est donc sous les auspices du célèbre dictum de l’arrêt Young, James et Webster – « bien qu’il faille parfois subordonner les intérêts d’individus à ceux d’un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité » – qu’elle décide d’envisager l’affaire (§ 41). L’arrêt peut alors constater, par six voix contre une, l’existence d’une violation de l’article 9 au motif que le requérant n’était pas soumis à une obligation de neutralité et qu’il n’avait pas eu un comportement irrespectueux. La condamnation pour outrage à magistrat n’est pas jugée nécessaire dans une société démocratique. Est-ce à dire pour autant que toute interdiction d’un signe religieux par un témoin est inconventionnelle ? A l’évidence, la réponse est négative, l’arrêt n’écartant pas les cas de figure où une interdiction peut être justifiée. Ainsi que l’observe le Professeur Gonzalez (« Le juge, le salafiste et sa calotte », JCP G, 2018, act. 29), cela pourrait concerner le port d’une burqa ou niqab 62. Pour paraphraser une formule classique, la liberté doit rester ici la règle et la restriction l’exception. S’agissant du cas français, on relèvera qu’il appartient au président de l’audience d’apprécier si le port d’un signe religieux par une personne assistant à l’audience est de nature à porter atteinte à la sérénité de la justice 63. En revanche, une certaine obligation de neutralité s’impose aux jurés, désignés ou suppléants, du moins lors de la prestation de serment 64.
La conclusion à laquelle parvient la Cour suscite deux réflexions.
D’une part, si elle n’évoque pas explicitement dans l’affaire Hamidovic la notion de « vivre ensemble », dont on sait qu’elle a été utilisée dans plusieurs arrêts relatifs à l’interdiction du voile intégral 65, on peut se demander si la référence au respect du pluralisme, de la diversité n’en constitue pas une déclinaison. La Cour n’a-t-elle pas rappelé dans l’affaire S.A.S. qu’il « entre assurément dans les fonctions de l’État de garantir les conditions permettant aux individus de vivre ensemble dans leur diversité ». Alors oui, dans cet arrêt, le « vivre ensemble », invoqué par l’Etat français et repris par la Cour, a été mobilisé pour justifier une atteinte à l’exercice de la liberté de manifester sa religion mais il n’y a pas d’obstacle majeur s’opposant à ce que cette notion soit dotée d’une finalité protectrice …
D’autre part, et surtout, la solution de l’arrêt Hamidovic est remarquable par son audace. La Cour n’a pas été inhibée par la circonstance que les Etats disposent habituellement d’une large marge nationale d’appréciation en la matière. Il est rassurant de constater que ce principe n’a pas vocation à constituer une solution générale valable dans tous les cas. En ce sens, l’arrêt ouvre des perspectives intéressantes. Et pourtant, dans une opinion dissidente très critique, le juge Ranzoni vitupère une démarche ne faisant pas suffisamment confiance aux autorités nationales sur une question sensible : « Est-ce notre rôle de dicter, de loin (…), quelles sont les politiques qu’un État doit mener dans le contexte d’une situation nationale difficile ? ». Dans la même veine, est dénoncée une exagération du consensus sur la question puisque, à ses yeux, on ne peut pas tirer des enseignements de l’absence de réglementation du port des signes religieux dans le prétoire au sein de 38 Etats membres. Enfin, le contrôle de proportionnalité aurait été biaisé en ce que la Cour n’aurait pas pris en considération l’importance de la laïcité en Bosnie-Herzégovine. Autant dire que la Cour n’avait pas son mot à dire ! On peine à comprendre cette posture conservatrice. Au contraire, il faut savoir gré au juge européen de ne pas s’être laissée impressionner par la « sensibilité » de l’affaire. De même qu’il est impossible de faire droit à l’idée selon laquelle l’affaire aurait dû être examinée sur la base des critères « Von Hannover n° 2 » pour la simple et bonne raison qu’elle ne concerne pas un conflit entre deux droits subjectifs.
M. Afroukh
VII. Variations autour des limites de la liberté d’expression
La liberté d’expression alimente toujours un contentieux important avec peu de solutions innovantes mais plutôt des arrêts appliquant des principes solidement ancrés dans la jurisprudence européenne. On pourrait évoquer une jurisprudence “routinisée“. Pourtant, la permanence n’empêche pas de constater, dans le même temps, des évolutions importantes. Deux tendances peuvent être identifiées : la confirmation de la vitalité de l’article 17 face aux usages abusifs de la liberté d’expression (A) et l’appréhension équivoque de l’application des critères « Von Hannover n° 2 » (B).
A – Condamnation énergique d’un discours de haine en ligne
Pendant longtemps, la jurisprudence européenne a semblé s’orienter vers une « neutralisation » 66 de la clause d’interdiction d’abus de droit alors envisagée comme un simple principe d’interprétation. Il a fallu attendre 2003 et une décision Garaudy c/ France 67 pour assister à un renouveau de l’« effet guillotine » de l’article 17, la Cour n’hésitant plus à fustiger des propos incitant à la haine ou à la violence. Tel un phénix, la clause de l’article 17 renaît alors de ses cendres. En procédant ainsi, la Cour ne s’embarrasse guère d’une mise en balance des intérêts puisque le conflit de droits est par nature ici nié. La décision Dieudonné l’a confirmé, le juge européen affirmant sans détours que « que si l’article 17 de la Convention a en principe été jusqu’à présent appliqué à des propos explicites et directs, qui ne nécessitaient aucune interprétation, elle est convaincue qu’une prise de position haineuse et antisémite caractérisée, travestie sous l’apparence d’une production artistique, est aussi dangereuse qu’une attaque frontale et abrupte. Elle ne mérite donc pas la protection de l’article 10 de la Convention » (10 nov. 2015, n° 25239/13). Pareille aversion s’étend aux discours haineux en ligne. Pour la Cour de Strasbourg, en effet, « des propos clairement illicites, notamment des propos diffamatoires, haineux ou appelant à la violence, peuvent être diffusés comme jamais auparavant dans le monde entier, en quelques secondes, et parfois demeurer en ligne pendant fort longtemps » (Grd. Ch., 16 juin 2015, Delfi AS c/ Estonie, n° 64569/09, § 110).
Le point notable de la décision Belkacem c/ Belgique (27 juin 2017, n° 34367/14) est d’appliquer, pour la première fois, la clause d’interdiction d’abus de droit à un discours de haine en ligne. Etait en cause la publication par un dirigeant d’une organisation salafiste radicale d’une série de vidéos sur la plateforme Youtube appelant les auditeurs à dominer les personnes non-musulmanes et à les combattre. Il appert de la jurisprudence que si le juge européen se réfère dans ses arrêts à des définitions des discours haineux, son contrôle obéit à une démarche casuistique. En l’occurrence, l’examen du but poursuivi par l’auteur des propos et le support utilisé suffisent à justifier l’application de l’article 17. Selon la Cour, il est manifeste que « l’intéressé cherchait, par ses enregistrements, à faire haïr, à discriminer et à être violent à l’égard de toutes les personnes qui ne sont pas de confession musulmane » et qu’une « attaque aussi générale et véhémente est en contradiction avec les valeurs de tolérance, de paix sociale et de non-discrimination qui sous-tendent la Convention ». De jurisprudence constante, le fait de défendre la Charia en appelant à la violence peut constituer un discours de haine 68. Par conséquent, compte tenu du motif tiré de l’incompatibilité ratione materiae de la requête avec les dispositions de la Convention, le droit invoqué – la liberté d’expression – n’est pas protégé par la Convention. On ne peut qu’approuver la fermeté de la Cour.
B – Appréhension équivoque des critères « Von Hannover n° 2 »
Si le succès rencontré par les critères « Von Hannover n° 2 » 69 est indéniable, leur mise en œuvre par la Cour demeure encore incertaine. Depuis 2012, les critères « Van Hannover n°2 » ont pu être précisés et mis à l’épreuve de situations conflictuelles jusqu’alors inédites. Les arrêts rendus montrent que le juge européen applique de façon quasi-systématique cette grille de lecture lorsque sont en cause des conflits entre les droits à la liberté d’expression et au respect de la vie privée 70. Si bien que l’on peut avancer l’hypothèse d’une réelle attractivité des critères « Van Hannover n°2 ». D’un autre côté, il est, à nos yeux, indiscutable en y regardant d’un peu plus près, que le contrôle européen, qui porte moins sur l’application des critères que sur leur interprétation par les juges nationaux, est surtout un moyen pour la Cour de ménager « le caractère discrétionnaire de son propre pouvoir d’appréciation » 71. Inévitablement, celle-ci est amenée à vérifier si son approche des critères a été respectée par les juges nationaux. En ce sens, ce n’est pas la finalité ces critères qui sera discutée, mais leur mise en œuvre qui illustre le très grand subjectivisme de l’exercice. L’examen des arrêts rendus lors du second semestre 2017 montre que la Cour a plutôt tendance à privilégier, dans ces champs de bataille, le droit au respect de la vie privée. Or, dans la plupart des cas, cette prévalence est plus que discutable.
Plutôt que d’analyser successivement les arrêts pertinents, on se propose de présenter leur intérêt tant en ce qui concerne le champ d’application des critères « Von Hannover n° 2 » que de leur contrôle.
En premier lieu, les principes énoncés en 2012 valent pour tous les conflits entre la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée, quel que soient leur configuration et les aspects en jeu de ces deux droits. C’est ainsi que la Cour a pu reconnaître, dans l’affaire Egill Einarsson c/ Islande (7 nov. 2017, n° 24703/15) l’existence d’un conflit de droits entre le droit à la réputation, comme « élément de la vie privée, de l’article 8 de la Convention » (§ 33), et la liberté d’expression à propos du rejet d’une action en diffamation formée par un blogueur face à une accusation de viol. A l’instar de l’affaire Von Hannover n° 2, l’affaire mettait en cause sur le terrain de l’article 8 l’inaction de l’Etat à protéger le droit à la vie privée du requérant d’atteintes commises par des tiers. On sait également que des conflits ont déjà impliqué le droit à l’image 72, le droit au prénom 73, le droit à la protection des données personnelles 74…. Mais la Cour entend toutefois circonscrire cette extension du champ d’application de l’article 8 dans certaines limites. L’affaire Frisk et Jensen c/ Danemark 75, où était en cause la condamnation pour diffamation de deux journalistes en raison d’une émission ayant critiqué le traitement du cancer dans un hôpital, le prouve. En effet, la Cour ne se place pas sur le terrain d’un droit subjectif à la réputation de l’hôpital, arguant du fait que si « la réputation de l’hôpital universitaire, [est bien] couverte par la « réputation de … autrui » au sens de l’article 10 § 2, [la réputation du médecin mis en cause] [est pour sa part] couverte par la même disposition mais (…) également par le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 § 1 de la Convention » (§ 55). Autrement dit, en raisonnant en termes d’opposabilité, elle hiérarchise clairement ces deux aspects du droit au respect de la vie privée 76. Au cas d’espèce, l’importance prise par la logique des conflits de droits ne manque pas d’avoir une répercussion sur le contrôle européen focalisé ici sur le juste équilibre entre deux droits d’égale valeur, la liberté d’expression de deux journalistes et le droit à la réputation du médecin.
En second lieu, s’agissant de la résolution des conflits, il faut en convenir, la tâche de la Cour est des plus délicate. Raison pour laquelle le contrôle des critères « Von Hannover n° 2 » semble a priori placé sous les auspices du principe de subsidiarité. Ce lien a d’ailleurs été formalisé par la Cour à travers le principe selon lequel si les juges nationaux appliquent lesdits critères, « la Cour ne répétera pas le test de proportionnalité qui a été mené au niveau national » 77 sauf pour des « raisons impérieuses ». Selon la solution recherchée par la Cour, le contrôle desdits critères pourra aussi bien conforter la marge d’appréciation des autorités nationales que la résorber, témoignant ainsi d’une subsidiarité réversible.
Schématiquement, trois cas de figure peuvent être distingués.
Il est, tout d’abord, une première hypothèse où la sévérité de la Cour se justifie aisément. L’encadrement de la subsidiarité s’impose lorsque les autorités nationales privilégient de façon automatique un droit sur un autre, mettant à mal la logique du juste équilibre entre les intérêts en présence et l’absence de hiérarchie entre eux. En témoigne de manière évidente l’arrêt Novaya Gazeta et Milashina c/ Russie (3 oct. 2017, n° 45083/06) relatif à une condamnation pour diffamation d’une maison d’édition et d’une journaliste à la suite de la publication de deux articles relatifs au naufrage du sous-marin nucléaire lanceur d’engins russe Koursk. En l’espèce, il fut reproché aux autorités nationales de raisonner comme si « les intérêts relatifs à la protection de « l’honneur et la dignité d’autrui » l’emport(aient) sur la liberté d’expression en toutes circonstances » (§ 69).
Deuxième hypothèse, la neutralisation discutable de la marge d’appréciation. A cet égard, l’arrêt Egill Einarsson c/ Islande précité mérite de retenir l’attention. La question centrale était de savoir ici si l’emploi des mots « va te faire foutre, sale violeur » dans un message sur Instagram constituait une déclaration factuelle ou un jugement de valeur. Conformément à une jurisprudence bien établie, il importe de distinguer les allégations factuelles des jugements de valeurs : si la matérialité des faits peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. Privilégiant une approche contextualisée des faits de l’espèce chère à la Cour européenne, la Cour suprême était d’avis que l’expression utilisée s’analysait en un jugement de valeur, notamment parce qu’elle était intervenue dans le cadre d’un « débat public impitoyable » que le requérant, personnage public, avait lui-même lancé par des commentaires provocants livrés à un magazine sur les accusations d’infraction à caractère sexuel dont il faisait l’objet. La Cour européenne va retenir une conclusion diamétralement opposée via une approche chronologique des faits de l’espèce très discutable. A ses yeux, dès lors que les poursuites pour viol avaient été abandonnées une semaine avant
la publication du message, l’expression utilisée ne pouvait plus être considérée comme un jugement de valeur (§§ 50-51). Un autre élément intéressant de l’arrêt tient à l’affirmation inédite à notre connaissance selon laquelle « même si elles ont déclenché un vif débat, les personnes publiques n’ont pas à tolérer d’être accusées d’actes criminels violents sans que pareils propos soient étayés par des faits » (§ 52). A la majorité de cinq voix contre deux, l’arrêt retient un constat de violation de l’article 8. Une telle solution interpelle à plusieurs titres. D’abord, si l’on comprend bien la démarche de la Cour, l’analyse erronée de la Cour suprême constitue une « raison sérieuse » justifiant un nouveau test de proportionnalité. Il y avait peut-être place pour une interprétation moins rigoriste du mode d’emploi « Von Hannover n° 2 », d’autant que la Cour suprême a appliqué une approche contextualisée qui, d’ordinaire, a les faveurs du juge européen. Aussi, comment ne pas suivre le juge Lemmens lorsqu’il souligne que « compte tenu de la nature subsidiaire du rôle de la Cour européenne, il n’y a, à notre avis, aucune « raison impérieuse » de s’écarter de cette appréciation ». Ensuite, qu’advient-ildu critère relatif au comportement antérieur de la personne ? Dans la mesure où parmi les nombreuses déclarations du requérant, figuraient notamment des propos très dégradants à l’égard des femmes …
Enfin, dernière hypothèse, la valorisation excessive de la marge d’appréciation. En ce sens, peut être évoquée l’affaire Frisk et Jensen c/ Danemark relative à la condamnation pour diffamation de deux journalistes en raison d’une émission ayant critiqué le traitement du cancer dans un hôpital. Là encore, en dépit de son aspect central, la présence d’un débat d’intérêt général, qui va de pair avec une marge d’appréciation étroite, est minorée par la Cour afin d’insister sur d’autres critères ou domaines favorables au droit au respect de la vie privée. Aussi, le juge européen se focalise-t-il sur la distinction entre les allégations de fait et les jugements de valeur en s’en remettant largement aux conclusions des juges nationaux, lesquels ont estimé que les allégations, selon lesquels l’hôpital et un spécialiste en charge du traitement du cancer avaient mal soigné certains patients souffrant du cancer (en privilégiant une chimiothérapie qui s’inscrivait dans le cadre de tests au détriment d’autres options), entraînant leur décès ou le raccourcissement de leur durée de vie pour renforcer leurs propres intérêts personnels, étaient erronées sur le plan factuel (§ 67). Poursuivant le copier-coller, l’arrêt reproche aux journalistes d’avoir occulté une note d’un cancérologue aboutissant à une conclusion inverse et relève les conséquences négatives des déclarations litigieuses sur la réputation de l’hôpital et du médecin, celles-ci ayant été diffusées à une heure de grande écoute sur une chaîne de télévision nationale (§ 65). Toutefois, cette analyse, si elle est compréhensible du point de vue de la protection de la vie privée, néglige l’idée qu’il y a ici un juste équilibre à respecter et qu’il n’appartient pas à la Cour « de se substituer à la presse pour dire quelle technique de compte rendu les journalistes doivent adopter » 78. Qu’il est bien loin le temps où, se prononçant sur la conventionnalité d’une condamnation pour diffamation en raison de la publication d’une série d’articles relatant les expériences traumatisantes de plusieurs patientes chez un chirurgien plasticien, le juge européen pouvait considérer « l’intérêt évident du Dr R. à protéger sa réputation professionnelle comme [insuffisant] pour primer l’important intérêt public à préserver la liberté pour la presse de fournir des informations sur des questions présentant un intérêt public légitime » 79.
A la lecture de ces affaires, on constate une certaine rupture avec l’approche libérale dont faisait l’objet la notion de jugement de valeur. L’impression qui domine est que les critères « Von Hannover n° 2 » se révèlent finalement très malléables et sont plutôt utilisés dans un sens favorable au respect de la vie privée. Bien entendu, la jurisprudence est marquée par une casuistique qui rend difficile tout exercice de systématisation. Mais la tendance observée semble ici bien profonde…
M. Afroukh
Notes:
- « Actualité de la CEDH », AJDA, 2018, p. 150 ↩
- http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0510.asp ↩
- F. Sudre, « La Cour européenne des droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme », RDP, 2017, p. 795 ↩
- Les arrêts rendus sur ce point font d’ailleurs l’objet de développements substantiels dans le I ↩
- Issu du Protocole 14 ↩
- CM/ResDH(2017)429 ↩
- Par exemple, voy. l’indulgence difficilement compréhensible du Comité à propos de l’exécution des arrêts sur l’interdiction du droit de vote des détenus au Royaume-Uni : CM/Del/Dec(2017)1302/H46-39, 1302e réunion, 5-7 décembre 2017 (DH) ↩
- Etant précisé qu’en vertu de l’article 46 § 5 : « Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre » ↩
- Sauf sur le terrain de la preuve du détournement de pouvoir où la Cour applique le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable ↩
- Cour EDH, 7 nov. 2017, Cherednichenko et al. c/ Russie, n° 35082/13, § 72 ; voir précédemment Cour EDH, 26 janv. 2017, Ivanova et Ivashova c/ Russie, n° 797/14 ↩
- En ce sens, voir notamment l’avant-propos du président de la Cour européenne des droits de l’homme, Guido Raimondi, dans le Rapport annuel d’activités 2017, p. 7 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 12 oct. 2017, n° 35589/08 ↩
- G. Gonzalez, « Bénie soit la subsidiarité ! A propos du rapport d’activités 2017 de la Cour EDH », JCP G, 2018, Act. 169, spéc. p. 287 ↩
- n° 40454/04 ↩
- Elles seraient 120.000, selon les chiffres fournis par le gouvernement défendeur ↩
- Voir sur ce point, J.F. Flauss, « Actualités de la CEDH », AJDA, 2007, p. 902 ↩
- Résolution intérimaire du 5 décembre 2017, CM/ResDH(2017)429 ↩
- Cour EDH, gde ch., 1er mars 2010, n° 46113/99, § 69 : il n’entre ni dans la capacité ni dans les fonctions de la Cour « de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière – deux tâches, qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes » ↩
- Chiragov et autres, préc., § 51 ; Sargsyan et autres, préc., § 33 ↩
- ibid. ↩
- Chiragov et autres, préc., § 51 ; Sargsyan et autres, préc., § 56-57 ↩
- Chiragov et autres, préc., § 48 ; Sargsyan et autres, préc., § 30 ↩
- Chiragov et autres, préc., § 52 ; Sargsyan et autres, préc., § 34 ↩
- CourEDH, Gde ch., 15 déc. 2016, n° 16483/12, cette Chron., RDLF 2017, n° 13, obs. M. Afroukh ↩
- Cour EDH, Gde ch, 23 février 2012, n° 27765/09 – interception de migrants en haute mer ↩
- Cour EDH, Gde ch., 3 juil. 2014, n° 13255/07- refus d’entrée à la frontière ↩
- Cour EDH, 3 oct. 2017, n° 8675/15 et 8697/15 ↩
- Khlaifia, préc., § 248 ↩
- tels la Hongrie à ses frontières terrestres avec la Serbie et la Croatie, ou encore la Turquie à sa frontière avec la Syrie ↩
- loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000 relative aux droits et libertés des étrangers en Espagne et à leur intégration sociale – « la LOEX – telle que modifiée par .la loi organique 4/2015 du 30 mars 2015 relative à la protection de la sécurité des citoyens ↩
- voir sur ce point l’interprétation constructive de l’article 8 dans CEDH, 28 oct. 2016, B.A.C. c/ Grèce, n° 11981/15, § 37 et § 46 ↩
- Cour EDH, 2 août 2001, Boultif c/ Suisse, n° 54273/00 ; Gde ch., 18 oct. 2006, Üner c/ Pays-Bas, n° 46410/99, GACEDH, n° 55 ↩
- voir par ex. Cour EDH, 2 juin 2015, K.M. c/ Suisse, n° 6009/10 ↩
- Cour EDH, 14 sept. 2017, Ndidi c/ Royaume-Uni, n° 41215/14 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 12 sept. 2011, Palomo Sánchez et al. c/ Espagne, n° 28955/06, § 57 ; Gde ch., 7 février 2012, Von Hannover c/ Allemagne (n° 2), n° 40660/08, § 107 ↩
- Voir, par ex., Gde ch. 23 juin 2008, Maslov c/ Autriche, n° 1638/03 ; Cour EDH, 23 sept. 2010, Bousarra c/ France, n° 25672/07 ; 20 sept. 2009, A.A. c/ Royaume-Uni, n° 8000/08… ↩
- CourEDH, 17 fév. 2009, Onur c/ Royaume-Uni, n° 27319/07 ; 25 mars 2010, Mutlag c/ Allemagne, n° 40601/05 ; 2 juin 2015, K.M. c/ Suisse, préc. ↩
- Cour EDH, déc., 16 mai 2017, Hamesevic c/ Danemark, n° 25748/15, et 6 juin 2017, Alam c/ Danemark, n° 33809/15 ↩
- CourEDH, Gde Ch., 13 déc. 2012, De Souza Ribeiro c/ France, n° 22689/07- § 84 ; voir également Gde ch., 21 janv. 2011, M.S.S. c/ Grèce et Belgique, n° 30696/09, § 298 ↩
- CourEDH, 25 sept. 2012, Ahmade c/ Grèce, n° 50520/09, § 111 ; 2 oct. 2012, Singh et autres c/ Belgique, n° 33210/01, § 55 ↩
- Voir en ce sens, les conclusions de violation de l’article 2, sous son volet matériel, dans les arrêts Cour EDH, 9 avr. 2013, Mehmet et Bekir Şentürk c/Turquie, n° 13423/09 ; 5 déc. 2013, Arskaya c/ Ukraine, n° 45076/05 ; 27 janv. 2015, Asiye Genç c/ Turquie, n° 24109/07 ; 22 mars 2016, Elena Cojocaru c/ Rouamnie, n° 74114/12 ; 30 août 2016, Aydoğdu c/ Turquie, n° 40448/06 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 19 déc. 2017, n° 56080/13 ↩
- Voir B. Pastre-Belda, « L’engagement de la responsabilité étatique pour négligence médicale facilité par la Cour européenne des droits de l’Homme », RDS, n° 70, 2016, p. 254-259 ↩
- Les premières avaient chacune un unique employé, qui était également l’unique actionnaire, quant au Feyenoord, 25 personnes y étaient concernées ↩
- Voir les arguments du bourgmestre et des échevins de Rotterdam et du Tribunal d’arrondissement § 14 et 16 ↩
- Existence d’une offre de logements adaptés dans d’autres quartiers ou dans la région, sans quoi le classement d’une zone serait annulé ; limitations temporelles et géographiques ; obligation pour le ministre compétent de rendre compte de l’efficacité du système au Parlement tous les cinq ans ; existence d’une clause dérogatoire individuelle permettant d’éviter « des conséquences excessivement dures » et possibilité d’un contrôle administratif et juridictionnel ↩
- Selon lequel le droit de choisir librement sa résidence peut, « dans certaines zones déterminées, faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l’intérêt public dans une société démocratique » ↩
- § 147, Voir CEDH, 8 juil. 1986, Lithgow et a. c/ Royaume-Uni, 9006/80 et s., § 132 ↩
- « Everybody knows the fight was fixed; The poor stay poor, the rich get rich; That’s how it goes; Everybody knows » ↩
- réservé en Autriche aux couples homosexuels ↩
- En la matière, la Grande chambre a récemment précisé qu’« il y a lieu d’apprécier les éléments qui caractérisent des situations différentes et déterminent leur comparabilité à la lumière du domaine concerné et de la finalité de la mesure qui opère la distinction en cause » (Gde. Ch., 5 sept. 2017, Fábián c/ Hongrie, n° 78117/13, § 121 ↩
- ils sont désormais 27 ↩
- C. Husson-Rochcongar, « Les apports des revendications de la communauté LGBTI à l’évolution de la notion de ‘famille’ en droit européen des droits de l’homme », in C. Casonato et A. Schuster (eds.), Rights on the Move. Raimbow families in Europe, Udine, Forumeditrice, 2015, p. 81-107, sp. 106-107, consultable en ligne : href= »http://eprints.biblio.unitn.it/4448/1/Casonato-Schuster-ROTM_Proceedings-2014.pdf »>http://eprints.biblio.unitn.it/4448/1/Casonato-Schuster-ROTM_Proceedings-2014.pdf ↩
- CEDH, 2 déc. 2008, K.U. c/ Finlande, n° 2872/02, § 49 : l’affaire concernait l’impossibilité, pour les parents d’un jeune garçon, d’intenter une action contre le gérant d’un fournisseur d’accès qui avait publié sur son site de rencontre une fausse annonce prétendant que leur fils recherchait des expériences sexuelles et communiquant des informations personnelles le concernant, sans vérifier l’identité de l’auteur ↩
- § 74, Elle étend ainsi le principe de l’arrêt Copland c/ Royaume-Uni du 3 avr. 2007, n° 62617/00 ↩
- Com EDH, X. c/ Islande, 13 mai 1976 ↩
- Cour EDH, 16 déc. 1992, Niemetz c/ Allemagne, n° 13710/88, § 29 ↩
- Cour EDH, Gde ch., 12 juin 2014, Fernández Martínez c/ Espagne, no 56030/07, § 110 ↩
- Sur l’interprétation qu’en a livré la CJUE à la lumière de l’article 8 de la CEDH : Österreichischer Rundfunk et a. (C-465/00, C‑138/01 et C‑139/01, arrêt du 20 mai 2003, ECLI:EU:C:2003:294, pts 71 et s. ↩
- Ils estiment de ce fait que « la Cour est au mieux appelée à se prononcer sur la protection d’un degré élémentaire ou minimum de vie privée et de correspondance sur le lieu de travail contre une atteinte de la part d’un employeur de droit privé » ↩
- Gde. ch., 7 juill. 2011, n° 23459/03 ↩
- voir l’aff. Lachiri c/ Belgique, n° 3413/09 en cours ↩
- art. 438 et 439 du code de procédure civile ; art. 404 du code de procédure pénale ↩
- art. 304 du code de procédure civile ↩
- Cour EDH Gde. Ch., 1er juill. 2014, S.A.S. c/ France, n° 43835/11 ; Cour EDH, 11 juillet 2017, Belcacemi et Oussar c/ Belgique, n° 37798/13 ; Cour EDH, 11 juillet 2017, Dakir c/ Belgique, n° 4619/12 ↩
- O. De Frouville, L’intangibilité des droits de l’Homme en droit international. Régime conventionnel des droits de l’Homme et droit des traités, Pedone, 2004, p. 236 ↩
- 24 juin 2003 : à propos de la publication d’un ouvrage remettant en cause de manière systématique des crimes contre l’humanité commis par les nazis envers la communauté juive ↩
- Le principe est solidement ancré dans la jurisprudence depuis l’arrêt Refah Partisi ↩
- Gde Ch., 7 févr. 2012, Von Hannover c/ Allemagne n° 2, n° 40660/08; Axel Springer c/ Allemagne,
n° 39954/08 : de manière inédite, la Cour a énoncé un mode d’emploi de résolution des conflits entre les droits à la liberté d’expression et au respect de la vie privée, articulé autour de plusieurs critères et destiné aux juges nationaux ↩ - voir nos obs., précédentes livraisons de cette Chron. ↩
- J.-F. Flauss, « Actualités de la CEDH », AJDA, 2008 p. 1931 ↩
- aff. Von Hannover n° 2 préc. ↩
- 19 févr. 2015, Ernst August von Hannover c/ Allemagne, n° 53649/09 ↩
- Gde ch., 27 juin 2017, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c/ Finlande, n° 931/13 ↩
- 5 déc. 2017, n° 19657/12 ↩
- voir, également en ce sens, un arrêt Uj c/ Hongrie du 19 juill. 2011, n° 23954/10 ↩
- Document publié par la Cour le 30 janvier 2015 intitulé « Subsidiarité : une médaille à deux faces » (http://www.echr.coe.int/Documents/Seminar_background_paper_2015_FRA.pdf ↩
- Cour EDH, Gde Ch., 23 sept. 1994, Jersild c/ Danemark, A/298, § 31 ↩
- 2 mai 2000, Bergens Tidende et autres c/ Norvège, Rec. 2000-V ↩